Sharon maître du jeu

C’est maintenant au Premier ministre israélien de décider si la rencontre d’Aqaba débouchera sur un accord avec les Palestiniens ou si la feuille de route finira dans les corbeilles à papier de l’Histoire.

Publié le 12 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

Au lendemain de la rencontre d’Aqaba, en Jordanie, entre George W. Bush, Mahmoud Abbas et Ariel Sharon, tout confirme le sentiment qu’on pouvait avoir en l’attendant : le Premier ministre d’Israël tient désormais entre ses mains le sort de la feuille de route. Il lui appartient, et à lui avant tout, de décider si cet ambitieux projet du Quartet international débouchera sur un loyal accord israélo-palestinien ou si, habilement saboté, il ira rejoindre les précédentes initiatives de paix dans les corbeilles à papier de l’Histoire.
Bien sûr, on observera que la feuille de route impose aux deux parties des obligations parallèles : fin du terrorisme d’un côté et démantèlement des colonies créées depuis mai 2001, de l’autre. Mais c’est là une fausse symétrie qui ne doit pas abuser. Mahmoud Abbas, au nom du gouvernement palestinien, a appelé, d’Aqaba, à mettre fin à l’Intifada armée, après avoir négocié avec le Hamas une trêve (hudna) d’un an. Ce que confirment des porte-parole du mouvement et même, à sa manière, Moshe Ya’alon, le chef d’état major israélien. Certes, les trois organisations radicales palestiniennes (Hamas, Djihad, Front populaire) ont annoncé qu’elles ne cesseraient la lutte armée qu’avec la fin de l’occupation, mais cela ne contredit pas la promesse de trêve. Et si l’on ne peut jamais exclure la possibilité d’un attentat « sauvage », on ne saurait en rendre responsable Mahmoud Abbas, sauf si Israël cherche un prétexte pour se soustraire à ses propres obligations.
Sous cet angle, Ariel Sharon connaît parfaitement le défi qu’il doit relever s’il veut tenir des promesses qu’il n’a d’ailleurs pas faites aussi clairement. Le Yesha, c’est-à-dire le « Conseil des colons », a appelé les partis de droite et les députés du Likoud à quitter le gouvernement dès qu’il commencera à appliquer la feuille de route.
À la fin d’une longue réunion, le Conseil rendit publique les deux « lignes rouges » dont le franchissement devrait entraîner la démission des ministres de droite, notamment ceux du Parti national religieux (PNR). La première serait l’acceptation de « mesures qui conduiraient à l’établissement d’un État palestinien ». La seconde « l’expulsion de Juifs de leurs maisons et de leurs terres », autrement dit le démantèlement de colonies ou d’avant-postes. « Les partis et les membres de la Knesset qui sont loyaux à la terre d’Israël, ajoute la déclaration, ne peuvent accepter de sigraves développements. La feuille de route acceptée par le cabinet est un plan désastreux pour la nation juive et sa sécurité. Le Conseil Yesha s’opposera de toutes ses forces à sa mise en œuvre et le rejettera dans les poubelles de l’Histoire. »
Un premier test, encore timide, ne devrait pas beaucoup tarder. En ligne avec les déclarations d’Ariel Sharon à Aqaba, le ministre israélien de la Défense Shaul Mofaz a réuni les hauts responsables de l’institution militaire en vue d’organiser l’évacuation de douze à quinze avant-postes « non autorisés » en Cisjordanie, ce qui risque, redoute-t-il, de provoquer une opposition armée. Il est vrai qu’Effi Eitam, président du PNR, le plus proche des colons, a condamné par avance « toute violence contre les représentants de l’État ». Notre opposition au démantèlement des avantpostes, a-t-il répété, « se déroulera dans le cadre de la loi », sans préciser plus avant les moyens qu’il compte employer.
Ces assurances n’ont pas totalement convaincu le Shin Beth, qui s’alarme de voir diffusés parmi les colons des portraits de Sharon coiffé d’un keffieh, comme cela avait été le cas pour Itzhak Rabin, et d’entendre de plus en plus d’expressions telles que « Sharon suit la voie de Rabin ». Mais, ajoute-t-il, il n’est pas nécessaire d’augmenter le niveau de sécurité personnelle du Premier ministre : il est actuellement protégé du mieux possible, conformément aux recommandations du Comité Shamgar, créé en 1995 après l’assassinat de Rabin.
Reste que le démantèlement annoncé, s’il a lieu et s’il provoque des troubles – fussent-ils limités –, constituera un franchissement de la première « ligne rouge » du Yesha. Quant à la seconde, elle a été franchie dans le discours d’Ariel Sharon à Aqaba : « Ce n’est pas l’intérêt d’Israël de gouverner les Palestiniens, mais que les Palestiniens se gouvernent eux mêmesdans leur propre État. » Il sera intéressant de voir si les amis des colons mettent à exécution leurs menaces de démission : ce qui pourrait amener d’utiles remaniements dans la direction du pays.
Tout cela, cependant, demeure encore de l’ordre des « words, words, words ». Et le résultat repose, en fait, sur la capacité du président Bush – qui a paru s’engager avec chaleur – à exercer sur Ariel Sharon une pression suffisante, à laquelle il s’est jusqu’à présent refusé. Très officiellement chargés de suivre le dossier, il appartiendra au secrétaire d’État Colin Powell et à la conseillère pour la sécurité nationale Condoleezza Rice de faire à cet égard les propositions nécessaires.
Dans l’attente de gestes concrets, on ne manquera pourtant pas d’être intrigué par une étrange controverse sémantique, involontairement suscitée par George W. Bush. Dans son discours de Charm el-Cheikh, la veille du Sommet d’Aqaba, il déclara notamment : « Israël assume des responsabilités. Israël doit s’occuper de la question des colonies. Israël doit garantir qu’il y aura un territoire continu que les Palestiniens pourront considérer comme leur partie. »
Sur quoi Ari Fleischer, porte-parole de la Maison Blanche, précisa que Bush avait voulu employer le mot « contigu » pour parler du territoire palestinien.Curieuse rectification, car, pour une fois, il apparaît que linguistiquement, c’est Bush qui a raison. « Contigu » (du latin contingere, « toucher à ») s’applique à quelque chose qui touche à une autre chose. Parler de « territoire continu » a un sens. Dire simplement qu’il est « contigu » n’en a pas, si l’on ne précise pas à quoi il l’est.
Mais on craint, sous ce jeu sémantique, de suspecter une orientation politique. « Contiguïté » est en effet le terme employé par Sharon dans ses discours, notamment celui d’Aqaba : « Nous comprenons l’importance d’une contiguïté territoriale en Cisjordanie pour un État palestinien viable. » Ce qui, dans l’esprit du Premier ministre, vise probablement à amender sa vision d’un État palestinien composé de plusieurs cantons en promettant qu’ils seront, de quelque manière, « contigus », c’est-à-dire pas complètement isolés. On n’en a jamais fini de jouer entre les mots et les choses.

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