Ouyahia : ce que je vais faire

Le programme du nouveau gouvernement a suscité d’âpres débats à l’Assemblée. Mais a finalement été adopté à une écrasante majorité.

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 5 minutes.

On s’attendait à une simple formalité et l’on se trompait. Il n’a pas, en effet, fallu moins de trente heures de débat, l’intervention de 135 députés et un discours-fleuve d’Ahmed Ouyahia pour que le programme du nouveau gouvernement soit enfin adopté par l’Assemblée populaire nationale. Ledit programme était pourtant presque identique au précédent, celui d’Ali Benflis, adopté sans coup férir par l’APN en août 2002. Mais le terrible tremblement de terre du 21 mai a bouleversé la donne. La plupart des intervenants ont réclamé l’adoption de nouvelles dispositions réglementaires pour faire face à ce type de catastrophe (notamment dans le domaine des assurances) et souligné la nécessité de réformer le plan Orsec, dont le séisme à mis en évidence les insuffisances criantes.
Même s’ils ont fini par voter la déclaration de politique générale du gouvernement, les députés n’ont pas caché leur hostilité à certains de ses aspects, notamment en matière économique : certains jugent les réformes en cours trop libérales, d’autres déplorent leur lenteur. La réforme du système éducatif ne fait pas davantage l’unanimité. L’introduction, dès le primaire, de l’enseignement du français et d’une seconde langue étrangère est très critiquée, nombre de députés s’inquiétant d’une possible « dépersonnalisation » de l’élève algérien. Les trotskistes du Parti des travailleurs (PT, de Louisa Hanoune) soupçonnent pour leur part les pouvoirs publics de vouloir mettre fin à l’enseignement gratuit et obligatoire au profit d’un système qui ferait la part belle aux établissements privés, « de la crèche à l’université ». Ce sont pourtant les islamistes du Mouvement de la réforme nationale (MRN-Islah,) le parti d’Abdallah Djaballah, qui se sont montrés les plus virulents. Certains élus de ce parti rejettent en bloc le programme du gouvernement, qu’ils jugent irréalisable et exclusivement destiné à favoriser la réélection du président Abdelaziz Bouteflika. L’un d’eux est allé jusqu’à accuser les ministres d’apostasie. Selon lui, le récent séisme n’était nullement une catastrophe naturelle, mais… une punition divine. À cause des tenues vestimentaires de moins en moins strictes des Algériennes. On entend décidément de bien étranges propos à la tribune de l’APN !
Quant aux députés de l’autre formation islamiste représentée au Parlement, le Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas) de Mahfoud Nahnah, ils reprochent au programme d’Ouyahia d’occulter la question de la réconciliation nationale et de se focaliser sur le renforcement de la sécurité. Oublient-ils que leur parti est membre de la coalition gouvernementale ?
Les élus indépendants, qui disposent d’un groupe parlementaire, ont mis l’accent sur la lenteur de la réforme de la justice. « Il est inconcevable que les textes relatifs au Conseil supérieur de la magistrature et au statut du magistrat dorment dans les tiroirs depuis des mois, alors qu’ils sont les garants de l’indépendance de la justice », s’est indigné l’un d’eux. Quelques heures plus tôt, Ouyahia avait pourtant indiqué que ces textes seraient soumis à l’Assemblée au cours de l’actuelle session parlementaire.
Dans sa réponse, Ouyahia a dénié au MRN-Islah le droit de distribuer « les bons et les mauvais points » aux membres de son gouvernement en fonction de leur religiosité supposée. « Contrairement à vous, je n’ai jamais fait du Coran mon fonds de commerce », a-t-il indiqué.
Mais le Premier ministre a surtout tenté de répondre aux critiques de la presse concernant sa gestion de l’après-séisme : « Le 21 mai, à 19 h 44, nous avions en tout et pour tout deux mille tentes, alors qu’il en aurait fallu dix fois plus. Nous avons donné la priorité au sauvetage des survivants ensevelis sous les décombres. Entre les militaires, les sapeurs-pompiers, le corps médical et paramédical, près de soixante mille hommes et femmes ont été mobilisés. Il est vrai que l’établissement de camps de toile pour les sans-abris a pris quarante-huit heures de retard, mais je vous assure que les sinistrés ont été plus compréhensifs que les politiques et les journalistes. »
Son action future, a-t-il expliqué aux députés, comportera six grands axes : la poursuite de la lutte antiterroriste ; la réforme de la justice ; celle de l’école ; celle de l’économie et des institutions de l’État ; le règlement de la crise kabyle ; enfin, la reconstruction des zones sinistrées.
Sur le premier point, le Premier ministre a été très clair : « Quand je parle de réconciliation nationale, il ne s’agit pas d’ouvrir une négociation avec les groupes armés. Certains élus m’ont reproché de faire deux poids et deux mesures parce que j’ai solennellement appelé à dialoguer avec les Arouch [comités de village qui représentent les contestataires, en Kabylie, NDLR] et pas avec les terroristes islamistes. S’ils assimilent les GIA aux Arouch, c’est leur problème, mais qu’ils le disent ouvertement. » Y a-t-il des divergences au sein de l’appareil d’État sur la manière de poursuivre la lutte contre le terrorisme ? Réponse catégorique : « La présidence, l’armée, le gouvernement, les corps constitués et le peuple sont les cinq doigts de la main qui combat la barbarie dans notre pays. Ce ne sont pas des bouchers qui réussiront à nous diviser. »
Pour ce qui concerne les réformes économiques, Ouyahia a regretté que Hamid Temmar, le ministre des Privatisations dans le précédent gouvernement, ait vu trop grand en prétendant privatiser 340 entreprises publiques en même temps. Le programme de privatisations sera certes maintenu, mais « on prendra le temps d’y associer le partenaire social ». « Il ne faut pas diaboliser les privatisations, a poursuivi Ouyahia. Que les sceptiques regardent ce qui se passe au complexe sidérurgique d’El- Hadjar, qui fut longtemps, pour l’État, un gouffre financier. Jamais l’entreprise n’avait jamais pu atteindre son objectif de produire 1 million de tonnes d’acier par an. Depuis la cession de 70 % de son capital à un groupe indien, il produit 1,4 million de tonnes. Et les salaires des travailleurs, hier si réticents à la cession, ont triplé. »
Évoquant le dialogue social, le chef du gouvernement a déploré que la « tripartite » (qui regroupe gouvernement, patronat et syndicats) ne se soit pas réunie depuis plus de deux ans. C’est le seul reproche qu’il a adressé à son prédécesseur. Mais cette volonté d’écouter n’exclut pas la fermeté : « Quand il a fallu réduire les salaires, je l’ai fait. Quand il a fallu fermer des entreprises et licencier, je l’ai fait. Je ne suis pas de ceux qui cherchent coûte que coûte à être populaire. S’il faut à nouveau prendre des mesures impopulaires, je le ferai. »
Ouyahia a appelé les Arouch à désigner leurs représentants afin d’engager un dialogue sérieux sur la mise en oeuvre de la plate-forme de revendications dite « d’El-Kseur ». Mandaté par le chef de l’État, il souhaite manifestement surmonter rapidement cette crise qui paralyse la Kabylie depuis le mois d’avril 2001.
Enfin, s’agissant du plan de reconstruction, il a annoncé le dépôt d’une loi de finance complémentaire pour la réalisation de vingt mille logements et rappelé que Bouteflika s’est engagé à ce que tous les sans-abris soient relogés avant l’hiver prochain. « Je trouve désolant que cet engagement soit perçu par certains comme une démarche électoraliste », a commenté Ahmed Ouyahia.

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