Monde noir, regards blancs

Comment les journalistes du Nord traitent les sujets africains. Tel était le thème d’une rencontre organisée à Dakar à la fin de mai.

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Fabrizio Gugliemini, du quotidien italien Corriere della Sera, raconte : « Du 10 octobre 1999 au 31 mars 2000, nous avions en Italie un gouvernement de gauche, en général sensible aux questions africaines. Or, sur un total de 22 000 nouvelles transmises par les télévisions italiennes, seules 126 [soit 0,6 %] ont été consacrées à l’Afrique. Et, dans la plupart des cas, il s’agissait de conflits et de catastrophes. »
À l’initiative du Centre d’orientation des études africaines (Cosa) de Milan et du Centre culturel français (CCF) de Dakar, des Journées économiques et culturelles se sont tenues au Sénégal du 21 au 23 mai 2003 autour du thème « Images de l’Afrique/ Développement durable ». Cette édition, la seconde après la rencontre organisée en avril 2002 à Milan, regroupait intellectuels, universitaires, journalistes et politiques venus de Belgique, de France, d’Italie, du Burkina Faso, du Mali. Objectif : réfléchir sur la façon dont le reste du monde en général et l’Europe en particulier se représentent l’Afrique.
Une table ronde a débattu de la manière, souvent expéditive, dont les journalistes du Nord traitent les sujets africains. Si le débat n’est pas récent, la nouveauté est que les critiques viennent cette fois de professionnels européens. Ceux-ci déplorent le « manque cruel de lexique » des journalistes travaillant sur l’Afrique qui pousse à user de raccourcis.
Tshiteya Mbiye, directeur de Échanges et Productions radiophoniques (Epra), une structure basée en France qui coordonne l’action de cent cinquante radios communautaires, a démontré, statistiques à l’appui, le déficit d’actualité africaine dans les médias français entre le 1er mars 2002 et le 1er mars 2003. « Certains pays africains où il se passait des choses positives ont été superbement ignorés par les médias français, alors que la Côte d’Ivoire et la République démocratique du Congo revenaient sans cesse dans les titres. »
Un déséquilibre que l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop a tenté d’analyser en ces termes : « La presse occidentale fait des efforts pour inverser la tendance. Il n’est pas rare qu’un grand quotidien dépêche un reporter dans telle ou telle région du Sud pour donner une idée plus précise de sa situation politique et sociale. En général, le journaliste sait à quels risques de distorsion il s’expose et s’applique à faire correctement son travail. Il se trouve qu’il est souvent prisonnier des questions que se posent ses lecteurs au sujet des pays du Sud. Même s’il est conscient que ce ne sont pas les bonnes questions, il est forcé de leur trouver des réponses en très peu de temps. »
Les clichés ne se limitent pas au traitement de l’information : ils débordent jusque dans le domaine des arts. Anne-Marie Bouthiaux, conservatrice au Musée d’art africain de Tervuren, en Belgique, a dénoncé « une véritable imposture, celle du regard occidental sur l’art africain, celle des démiurges occidentaux qui s’arrogent le droit de sortir des oeuvres [africaines] de leur contexte, de n’en plus admirer que la composition plastique ».
Une meilleure image de l’Afrique pourrait passer par une coopération universitaire accrue. Durant ces journées, l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) a fait se rencontrer Italiens et Africains. But de l’exercice : explorer les possibilités de collaboration, contribuer à la valorisation de l’image des établissements d’enseignement supérieur et de recherche africains en Europe et dans le monde. Les deux parties sont convenues de s’engager dans le partage d’expériences, l’organisation d’activités scientifiques (colloques, séminaires, ateliers, etc.), l’échange d’enseignants et de chercheurs, le développement de projets de recherche communs, la création de réseaux… Le ministère sénégalais de l’Industrie et de l’Artisanat, maître d’oeuvre des journées, a pris bonne note des conclusions et promis qu’elles ne resteront pas lettre morte.

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