Miliciens, casques bleus et mouvements rebelles

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Hemas et Lendus. La rivalité entre ces deux ethnies qui se vouent une haine ancestrale présente bien des similitudes avec celle qui oppose Tutsis et Hutus au Rwanda. Les pasteurs hemas sont nilotiques, grands de taille et minoritaires partout sauf à Bunia, alors que les paysans lendus sont bantous, petits de taille, et plus nombreux. La rivalité, attisée par les ingérences de l’Ouganda et, dans une moindre mesure, du Rwanda, s’est intensifiée, et les comptes qui se réglaient à la machette sont maintenant soldés à coups de rafales de kalachnikovs. À l’indépendance, en 1960, et plus encore sous Mobutu au milieu des années soixante, les Hemas, qui formaient l’élite de la province, se sont accaparés les concessions agricoles appartenant aux colons belges. Les sédentaires lendus, qui se considèrent comme les natives de la région, ont été dépossédés des terres qu’ils occupaient sans titre. Le conflit foncier a tourné à la guerre ethnique quand les troupes étrangères ont soufflé sur les braises et commencé par armer les Hemas pour les transformer en supplétifs. Les Hemas de l’UPC, parrainés d’abord par l’Ouganda et ensuite par le Rwanda, sont bien équipés et relativement organisés. Ils ont contrôlé Bunia et sa région entre août 2002 et mars 2003, date à laquelle ils en ont été chassés par les Ougandais, devenus leurs ennemis. Ils ont procédé à un début de nettoyage, s’en prenant notamment aux villages lendus de Lipr, Nyangaraye, Bambou et Kobu, encerclés et détruits en janvier 2003. Bilan : plus de 250 morts. Les guerriers lendus, plus instinctifs, attaquent en bandes mal organisées mais redoutables. Ils ont récemment abandonné les armes traditionnelles, arcs, flèches et machettes dont ils savaient user avec une cruauté sans égale, pour des fusils et des kalachnikovs. Ils sont responsables d’horribles exactions contre les églises de Bunia, et du massacre de Drodro, qui a fait 400 morts en avril 2003. Impitoyables, ils persécutent aussi les tribus neutres qu’ils soupçonnent de collaboration avec l’ennemi, comme les Nyalis qui vivent aux alentours de la mine de Kilo. Ils sont fortement soupçonnés du meurtre rituel de deux observateurs militaires de la Monuc, survenu à Mongbwalu en mai 2003.

Monuc et Force multinationale
La Monuc, la Mission des Nations unies au Congo, a été créée en 1999 pour aider au respect du cessez-le-feu de Lusaka (30 juillet 1999) signé par Kinshasa et par les principaux mouvements rebelles. Ses Casques bleus sont arrivés à Bunia en avril 2003 pour superviser le retrait des troupes d’occupation ougandaises, et pour faciliter la pacification du territoire de l’Ituri. Participant à une opération de maintien de la paix décidée sur la base du chapitre 6 de la Charte des Nations unies, ils n’ont le droit d’ouvrir le feu qu’en cas de légitime défense. Envoyer des Casques bleus dans le guêpier de l’Ituri relève au minimum d’une grave erreur de jugement. Les 700 soldats uruguayens ont réussi à instaurer un semblant de sécurité autour des périmètres qu’ils protégeaient, et ont dû gérer un afflux imprévu de réfugiés terrorisés. Ils n’ont pas essayé d’empêcher ou d’arrêter les tueries qui se déroulaient à l’extérieur du périmètre de sécurité. Ils n’en avaient ni le mandat ni les moyens. Le secrétaire général de l’ONU a invité les grandes puissances à réagir et à décider, sur la base du chapitre 7 de la Charte, l’envoi d’une force de rétablissement de la paix, pour épauler la Monuc. Cette force multinationale, puissamment armée, dotée de tanks, fera la police, et au besoin la guerre. Le chapitre 7 autorise l’usage de la force pour imposer la paix. Les 1 400 soldats seront placés sous commandement français et seront constitués par 700 militaires tricolores, et par des troupes d’autres pays européens, dont la Grande-Bretagne, l’Afrique du Sud et le Nigeria. Ils ne porteront ni casque ni béret bleu, mais des tenues de combat. Leur mandat court jusqu’au 1er septembre, mais ne couvre que Bunia et ses environs.
RCD-ML et MLC
Le RCD-ML, le Rassemblement congolais pour la démocratie-Mouvement de libération, est un groupe armé et financé par Kinshasa qui dispute à l’UPC le contrôle de l’Ituri. Dirigé par le chef nandé Mbusa Nyamwisi, ennemi juré de Lubanga, il est en conflit avec l’UPC mais aussi avec le RCD Goma, qui armerait en ce moment les Hemas. Le MLC, Mouvement de Libération du Congo, de Jean-Pierre Bemba, est l’autre allié historique de Lubanga. Furieux d’avoir perdu l’Ituri, situé à la frontière de sa zone d’influence, Bemba a lancé, en novembre-décembre, l’opération « Effacer le tableau ». Objectif : récupérer les territoires abandonnés, faire jonction avec l’UPC, et, « accessoirement », punir les Pygmées et les Nandés accusés de collaboration avec l’ennemi. À Mambasa, ses soudards ont commis d’effroyables atrocités, et se sont livrés à des actes de cannibalisme. Les témoignages recueillis par la Monuc ont abouti au dépôt de la première plainte jamais enregistrée devant la Cour pénale internationale, qui vise directement Bemba. « Les faits ont été établis avec certitude dans douze cas, racontent Sonia Bakar et Kristin Peduto, chargées de l’enquête. Les victimes étaient tuées en public, devant les familles et les voisins. Les tortionnaires mangeaient les organes vitaux, le coeur, le foie, les organes sexuels, et ils obligeaient ensuite les parents à manger le reste des corps. Ceux qui refusaient de participer au repas et qui n’avaient pas les moyens de payer pour avoir la vie sauve étaient exécutés. Les militaires de Bemba sont allés jusqu’à éventrer une femme enceinte pour manger son foetus. »

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