Jean-Yves Gadras : « Les Chinois sont nos partenaires »
En matière d’eau potable, les besoins de l’Afrique sont immenses. Concurrence, investissements : Jean-Yves Gadras, directeur du développement pour l’Afrique et l’océan Indien chez Degrémont, filiale de Suez Environnement, analyse l’évolution du secteur.
Spécialisée dans la conception et la construction de stations de traitement de l’eau, Degrémont, filiale du groupe Suez Environnement, est présente sur le continent depuis soixante ans. En mars 2013, la société y a renforcé sa présence en signant quatre nouveaux contrats de construction et de réhabilitation d’usines de traitement d’eau en Angola, en Tanzanie, au Burkina et en Éthiopie, pour un montant total de 40 millions d’euros. Jean-Yves Gadras, qui pilote depuis treize ans le développement de l’entreprise en Afrique, revient sur les tendances du secteur.
Jeune Afrique : Boom démographique, urbanisation galopante… Où en est le continent en matière d’accès à l’eau potable ?
Jean-Yves Gadras : L’Afrique du Nord est plutôt bien lotie. Le Maroc et la Tunisie ont stimulé le marché, et l’Algérie a réalisé de grands progrès ces dix dernières années. Du coup, ces pays se sont penchés sur le traitement des eaux résiduaires [usées].
En Afrique subsaharienne, exception faite du Sénégal, qui a développé l’assainissement, la grande priorité reste l’accès à l’eau potable dans les villes comme dans les campagnes. Cela dit, concernant l’assainissement – une problématique essentiellement urbaine -, on évolue à l’échelle du continent vers une démarche qui associe collecte et traitement. Actuellement, le traitement des eaux usées, qui vise à préserver l’environnement, représente environ 15 % de notre activité en Afrique.
En Afrique subsaharienne, la grande priorité reste l’accès à l’eau potable dans les villes comme dans les campagnes.
Quelle est l’évolution du chiffre d’affaires de Degrémont en Afrique ?
Il avoisine les 60 millions d’euros par an, soit près de 15 % de notre chiffre d’affaires mondial pour la construction d’usines de traitement de l’eau – une part qui croît depuis dix ans. En 2004, il ne dépassait pas les 20 millions d’euros. La tendance va encore s’accélérer durant les dix prochaines années grâce aux investissements des États en matière d’accès à l’eau potable et d’assainissement. Les besoins sont importants, mais le délai de mise en application est long : cinq à six ans séparent l’identification d’un besoin et la réalisation du projet.
Comment vous adaptez-vous aux besoins locaux ?
Avec nos unités de traitement des eaux compactes [prêtes à monter], nous avons été les premiers à nous positionner sur un modèle particulièrement adapté aux situations postcrise. Envoyées en conteneurs et assemblées sur place en moins de six mois, elles permettent à des villages d’un millier de personnes d’accéder à l’eau potable.
Le dessalement de l’eau de mer représente-t-il une voie d’avenir ?
Ces dix dernières années, l’Algérie a axé une partie de son activité de production d’eau potable sur le dessalement grâce à des partenariats public-privé [PPP]. Le Maroc a fait de même, mais sans recourir à des PPP. Djibouti, où l’eau des nappes souterraines commence à être surexploitée, pourrait leur emboîter le pas, mais n’a pas encore lancé d’appel d’offres. Le Sénégal, qui a opté pour l’adduction d’eau pour alimenter sa capitale, envisage aussi cette solution. Cette activité va être amenée à se développer, notamment au sud du Sahara.
Mais au départ, vous n’avez pas été partie prenante de ces projets de dessalement. Pourquoi ?
À l’époque où l’Algérie a lancé son programme de dessalement, nous n’étions pas en capacité d’investir. Aujourd’hui, notre situation nous le permet.
Les États ont-ils les budgets nécessaires pour financer des projets ?
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Traditionnellement, ce sont surtout les bailleurs de fonds internationaux, multilatéraux ou bilatéraux qui financent les infrastructures de traitement de l’eau. Depuis une dizaine d’années, on voit apparaître des financements de pays émergents, notamment de la China Exim Bank.
Très récemment, l’Inde a commencé à financer des projets d’infrastructures dans ce secteur. Seule une minorité de projets est autofinancée, comme en Angola ou en Algérie. Dans de très rares cas, c’est le concessionnaire qui s’en charge.
Les groupes chinois sont-ils devenus vos principaux concurrents ?
Dans le domaine du traitement de l’eau, on voit arriver des sociétés européennes – espagnoles, italiennes et portugaises en tête – qui ont comme atouts des coûts inférieurs aux nôtres.
Les Chinois, quant à eux, développent des projets complets d’adduction d’eau, du pompage à la distribution, ou d’assainissement. Ils bénéficient de technologies adaptées et de moyens financiers importants.
Mais plutôt que de les considérer comme des concurrents, nous signons des partenariats avec eux, comme au Cameroun, en Tanzanie et au Congo. C’est ainsi que notre filiale Degrémont Chine vient de terminer la construction de la station d’eau potable de Djiri, qui alimente Brazzaville dans le cadre d’un projet d’adduction d’eau financé par la China Exim Bank et monté par la société chinoise CMEC, qui réalise l’ensemble du projet.
Vous avez remporté quatre gros contrats africains l’année dernière, actuellement en cours d’exécution. Sur quels projets vous positionnez-vous désormais ?
Nous accompagnons l’Algérie dans son développement de l’assainissement. Nous avons élaboré divers projets de construction ou d’extension d’usines à Djibouti, au Mali, au Burkina, au Kenya, au Nigeria et en Côte d’Ivoire, en coopération avec des partenaires locaux.
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