Les villes africaines boivent la tasse
Face à une population urbaine qui ne cesse de croître, les pays du continent peinent à satisfaire les besoins en eau de leurs populations, faute d’investissements publics suffisants. Certaines agglomérations tirent néanmoins leur épingle du jeu grâce à l’appui de partenaires privés.
Le XXIe siècle sera-t-il celui des guerres de l’eau ? Pas celles où s’affrontent des États riverains d’un même fleuve, comme l’Éthiopie et l’Égypte. Mais celles, plus incontrôlables encore, issues des insurrections populaires. En Afrique, le risque existe. Surtout dans les villes, dont la population doublera dans les vingt prochaines années. En janvier, à Brits, au nord-ouest de Pretoria, quatre manifestants ont été tués lors d’affrontements avec la police. Ils protestaient contre des coupures d’eau qui survenaient régulièrement depuis des mois. Une colère alimentée par des soupçons de malversations au moment de l’attribution du marché public. En septembre 2013, à Dakar, la rupture d’une grosse canalisation en sortie d’usine a privé d’eau la capitale sénégalaise pendant quinze jours. Résultat : des quartiers entiers ont été en proie à des émeutes.
Tout porte à croire que ces « révoltes de la soif » n’ont pas fini de se multiplier. Non seulement la population urbaine du continent croît considérablement – avec un taux de près de 4 % par an, le plus élevé au monde -, mais avec le développement économique sont apparus de nouveaux besoins. La demande d’eau en Afrique pourrait quadrupler au cours des vingt-cinq prochaines années. Problème : la Banque mondiale constate que les ressources du continent diminuent et que leur qualité se dégrade. En Ouganda, la ville de Mbale a dû rationner sa consommation d’eau, en février 2012, lorsqu’une de ses rivières s’est asséchée.
La demande d’eau en Afrique pourrait quadrupler au cours des 25 prochaines années. Problème : les ressources du continent diminuent et leur qualité se dégrade.
Des populations installées en amont avaient détourné ses affluents afin d’arroser leurs champs. Les grandes agglomérations sont de plus en plus obligées de se tourner vers des sources d’approvisionnement plus éloignées et plus coûteuses à exploiter. À Abidjan par exemple, le déficit en eau potable – 150 000 m3 par jour – sera en grande partie comblé par la nappe de Bonoua, située à plus de 50 km. La majorité du coût du projet – 50 milliards de F CFA (environ 76 millions d’euros) – est consacrée à l’achat et à la pose des canalisations.
Pour pallier la faiblesse de leurs réserves, beaucoup de pays misent désormais sur des usines de dessalement. Pionnière dans ce domaine, avec une dizaine de stations actives, l’Algérie devrait inaugurer cette année une usine produisant plus de 500 000 m3 par jour, l’une des plus importantes au monde, construite et exploitée par le singapourien Hyflux. La Tunisie, le Maroc, Djibouti, le Sénégal, la Mauritanie et le Ghana parient, eux aussi, sur cette technologie. Mais même si son prix a chuté de 30 % ces dix dernières années, l’eau ainsi produite coûte deux fois plus cher que si elle était puisée dans une nappe ou une rivière.
Gouvernance de l’eau
Mais c’est aussi la gestion de la distribution de l’eau qui doit évoluer. Selon la Banque mondiale, qui plaide pour une délégation de ce service au secteur privé, l’émergence d’une classe moyenne, plus exigeante, devrait favoriser une meilleure gouvernance et une amélioration des services.
Jusque dans les années 2000, l’approvisionnement des villes était souvent géré sous la forme de concessions. Depuis, ces accords ont été délaissés au profit des affermages (contrats d’exploitation) ou des contrats de management. « La difficulté d’exploitation des concessions tient à leur mauvaise rentabilité. Un opérateur privé ne peut assurer les investissements nécessaires à l’amélioration des réseaux sur la base des recettes collectées. Et investir de l’argent emprunté sur le marché ferait exploser le prix de l’eau », explique Vincent Le Guennou, directeur général du capital-investisseur Emerging Capital Partners (ECP), actionnaire principal des sociétés ivoirienne et sénégalaise de distribution des eaux.
Si Suez Environnement, concessionnaire à Casablanca, est satisfait de ses relations avec les pouvoirs publics marocains, c’est notamment parce que les travaux d’extension du réseau sont en partie financés par une redevance que paient les promoteurs de projets immobiliers. De son côté, Veolia Environnement a préféré jeter l’éponge et vendre ses activités, exploitées en concession à Rabat et Tanger, à la société d’investissement Actis. L’opération doit encore être approuvée par les autorités.
Faibles ressources financières
Quand les États ont à leur charge l’amélioration et l’extension des infrastructures, la faiblesse de leurs ressources financières affecte souvent la qualité du service. À Dakar, où la Sénégalaise des eaux, contrôlée par ECP, gère la distribution, le manque d’investissement de la société publique propriétaire du réseau a été responsable de l’énorme coupure survenue en septembre 2013.
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Et si Alger, dont la gestion de l’eau est réalisée dans le cadre d’un contrat de management avec Suez Environnement depuis 2006, est souvent cité en exemple, c’est parce que le gouvernement a consenti à réaliser des travaux d’amélioration, reconnaît Marie-Ange Debon, la directrice générale adjointe de Suez Environnement chargée de l’international.
Pour la plupart des pays, le recours aux financements des bailleurs – dons et prêts à taux concessionnel – est indispensable, et les montants disponibles sont malheureusement inférieurs aux besoins.
Autre difficulté récurrente : si les meilleurs opérateurs privés arrivent à recouvrer 95 % des factures, le tarif appliqué est souvent trop bas pour permettre la maintenance des infrastructures. C’est pourquoi il arrive que les fuites atteignent jusqu’à 50 %. « Sur le plan politique, la question de la hausse du prix de l’eau est épineuse. Les gouvernements ont tendance à renoncer lorsqu’il s’agit de l’appliquer », résume Vincent Le Guennou.
En RD Congo, le tarif est le même depuis 1982. Pour contourner les difficultés, les sociétés privées – dont les objectifs financiers tournent autour de 5 % de marge nette pour un affermage – cherchent souvent à gérer en même temps la fourniture d’eau et celle d’électricité afin de procéder à des péréquations financières entre les deux activités.
Les bons élèves sont rares
L’équilibre économique de la distribution de l’eau dans les villes africaines est si fragile que le volet de l’assainissement est largement négligé. Seulement 43 % de la population urbaine africaine bénéficie de toilettes personnelles raccordées à un égout ou à une fosse septique pour collecter les eaux usées.
Pourtant, selon une évaluation des Nations unies, chaque dollar investi dans l’eau et l’assainissement dégage un bénéfice de 9 dollars (environ 6,50 euros) en matière de santé publique. « Même au Sénégal, malgré l’appui de la Banque mondiale dès 1995, l’office chargé de l’assainissement manque cruellement de moyens », rappelle Grégoire Diouf, ex-ingénieur de la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones).
1 dollar investi dans l’eau dégage un bénéfice de 9 dollars en matière de santé publique
« Les bons élèves font figure d’exception au sud du Sahara », reconnaît Monia Moumni, experte à la Banque africaine de développement (BAD). Au Cameroun, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), le taux d’accès en zone urbaine à des installations sanitaires améliorées aurait décliné de 65 % à 56 % entre 1990 et 2008. En 2011, la Banque mondiale déplorait encore le manque d’activité de la Camerounaise des eaux dans le traitement des eaux usées.
« Les bailleurs auront un rôle important à jouer dans les cinq années à venir. Créer des réseaux dans des zones déjà urbanisées exige d’importants moyens », estime Debon. Des réflexions qui devront prendre en compte la gestion des déchets solides, dont l’accumulation dans les systèmes de collecte favorise les inondations pendant la saison des pluies. Pour les villes africaines, la coupe est pleine !
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