La charia au menu

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Hauwa Ibrahim arrive, très élégante dans une robe traditionnelle orange, coiffée d’un foulard jaune, un châle diaphane noir jeté sur les épaules. Hauwa, 36 ans, est l’avocate des causes parmi les plus affligeantes de la planète, et sa vie est tout sauf tranquille. En ce moment, elle représente quinze femmes qui risquent différents châtiments corporels au nom de la charia, la loi islamique, aujourd’hui en vigueur dans le nord du Nigeria. Sa cliente la plus connue est Amina Lawal, une jeune mère condamnée à la lapidation pour relations sexuelles hors mariage.
Le restaurant choisi par Me Ibrahim est le Shagalinku, dans la capitale nigériane, Abuja. La cuisine est traditionnelle, mais il y a de la pop en musique de fond. Une sorte de grosse gazelle en peluche donne un air kitch au décor. Nous sommes assis sur des tapis persans posés dans une petite salle latérale.
Hauwa aime emmener ses amis européens dans cet endroit. Le monde entier peut la considérer comme le héraut du combat contre les excès du fondamentalisme islamiste, elle est attachée aux traditions musulmanes dans lesquelles elle a grandi, dans l’État de Gombe, au nord-est du Nigeria. Louchant sur le bol de riz qui vient d’arriver avec une viande en sauce épaisse, elle me raconte comment elle a réussi à échapper à la pression familiale qui voulait qu’elle quitte l’école tôt et se marie. Adolescente, elle a acheté un jour un gâteau aux haricots enveloppé dans un journal, sur lequel il y avait la photo d’une jeune diplômée coiffée du mortier, le très typique chapeau universitaire. L’image l’a marquée : « Cette étudiante semblait avoir une grande confiance en elle-même et c’est ce qui m’a attirée. »
Hauwa a continué à fréquenter l’école, puis l’université, jusqu’à terminer ses études de droit. À un mariage malheureux avec un camarade de faculté a succédé un remariage heureux avec un entrepreneur en bâtiment. Il lui a donné le capital de départ pour lancer son propre cabinet en 1996. Ses clients étaient tous des entreprises, jusqu’à ce jour de 2000 où une femme de l’organisation humanitaire Baobab lui a téléphoné.
L’élection à la présidence d’Olusegun Obasanjo, l’année précédente, avait mis fin à quinze années de dictature militaire et rouvert la porte aux libertés publiques. Mais la liberté a de curieuses façons de se manifester. L’une d’entre elles a été la décision prise par certains gouverneurs d’États du Nord d’instaurer des châtiments corporels pour sanctionner les comportements contraires à la charia.
Hauwa affirme pouvoir travailler gratuitement grâce aux confortables honoraires versés par ses clients habituels. Son succès le plus remarquable a été l’acquittement, en mars 2001, de Safiya Husseini, la première femme condamnée à mort pour relations sexuelles hors mariage.
Sa technique de défense est originale. Au lieu de porter les procès devant les cours d’appel fédérales et voir déclarer les jugements anticonstitutionnels ou en contradiction avec les droits élémentaires de la personne humaine, elle plaide sur des points de procédure, comme le droit des accusées à avoir un représentant légal.
Interrogée sur les risques d’une telle stratégie, qui signifie implicitement une validation de ce type de punitions, Me Ibrahim réplique qu’elle « n’approuve rien du tout », tout en ne condamnant pas le recours aux châtiments corporels. Au contraire, elle prend la défense de la charia et affirme que les controverses sur la lapidation et les amputations ont masqué « beaucoup de bonnes choses » apportées par ce système.
Hauwa aime néanmoins parler aux journalistes étrangers, persuadée qu’elle peut, par ce biais, faire pression sur les autorités religieuses. Mais elle n’est pas à l’aise avec ceux qui prennent ce problème comme un volet de la dispute entre l’Occident et l’islam. « Lorsque vous avez affaire à des journalistes dont l’objectif est de porter le discrédit sur la charia, le débat est faussé, explique-t-elle. Beaucoup de Nordistes nigérians détestent qu’on leur dise que les États ont « introduit » la loi islamique dans leur système juridique. Elle était déjà le code de conduite des musulmans dans la région bien avant l’indépendance de 1960. »

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