Immortelles légendes

Les pères de la musique africaine contemporaine ressuscités à Rabat. Pour des concerts pleins de verdeur.

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Wendo Kolosoy, Fataï, Boubakar Traoré, Mahotella Queens, Orchestra Baobab… les belles au Bois dormant de la musique africaine sortent d’un long sommeil. Ces artistes qui ont connu gloire et consécration il y a des décennies reviennent sous les feux de la rampe et investissent les festivals. Un brin nostalgique, la deuxième édition de Mawazine, qui s’est tenue à Rabat du 16 au 25 mai, participe à la résurrection de ces musiciens longtemps contraints au silence.
C’est pour ne pas avoir à chanter les louanges du régime de Mobutu que Wendo Kolosoy, le père de la rumba congolaise, avait renoncé à la scène. Retiré loin de la capitale et de ses dancings, il avait repris son métier de mécanicien naval. Ce n’est qu’en 1997 qu’il entame une seconde carrière grâce au producteur français Christian Mousset, qui a notamment relancé le mythique Bembeya Jazz National de Guinée. Interrogé sur les raisons qui l’ont poussé à sortir de sa retraite anticipée, Wendo Sor, déformation de Windsor, explique pour sa part que c’est « Jésus qui lui a demandé de remonter sur scène ». Quoi qu’il en soit, les remparts du Chellah à l’abri desquels il a donné un concert se souviendront longtemps des roucoulements et de la verve de ce jeune homme qui fêtera ses 78 ans le 15 août prochain. Parcours quasi identique pour Fataï Olaguju, dit Rolling Dollar, qui a été une véritable star dans le Lagos des années cinquante avant de sombrer dans l’oubli pendant vingt-cinq ans. C’est au public rbati que le roi de la « juju music » a réservé le privilège de découvrir qu’à 75 ans il est toujours rugissant. Quant à Kar Kar, dont les tubes « Mali Twist » et « Kayeba » ont fait swinguer le tout-Bamako à l’heure de l’indépendance, tout le monde le croyait mort il y a dix ans.
Ne parvenant pas à vivre de son blues, Boubakar Traoré s’était, lui, résolu à abandonner sa guitare. Tour à tour tailleur, vendeur ambulant puis maçon, il a connu l’exil et les foyers d’immigrés de Belleville. « Je ne pensais plus remonter sur scène », confesse-t-il avant un concert au Jardin d’essais à Rabat. Après une éclipse de vingt ans, il a repris les tournées et les enregistrements grâce au producteur anglais Robert Bernel. Le réalisateur suisse Jacques Sarasin lui a consacré un très beau film, Je chanterai pour toi, sorti début 2003 sur les écrans français.
D’Afrique du Sud, ce sont les voix des Mahotella Queens qui résonnent à nouveau. Ces énergiques mamas qui furent de véritables idoles pendant l’apartheid ont inventé le mbaquanga, un genre métissant les musiques traditionnelles au jazz, au rythm’n blues, à la soul et au gospel. Elles avaient interrompu leur carrière en 1971 pour élever leurs enfants et sont revenues en force en 2000 avec un nouvel album intitulé Sebai Bai, qui leur a valu le Womex Award la même année. Depuis, le trépidant trio vocal enchaîne les festivals.
Né en 1970 dans un club sélect de Dakar, Orchestra Baobab a connu un succès phénoménal et a enregistré plus de vingt disques, avant d’être dissous en 1987. Réunie, la formation sénégalaise entame avec bonheur sa deuxième vie grâce à Nick Gold, le producteur de Buena Vista Social Club. D’ailleurs Ibrahim Ferrer, membre de ce groupe qui dut un temps gagner sa vie en cirant des chaussures, était attendu à Mawazine. Mais le septuagénaire cubain a fait faux bond suite aux attentats perpétrés à Casablanca la veille de l’ouverture du festival…
Est-ce une pure coïncidence si toutes ces stars oubliées, puis ressuscitées, figuraient en tête d’affiche de Mawazine ? « Une programmation n’est jamais le fruit du hasard. Chacun de ces artistes constitue une pièce d’un puzzle où se mêlent les influences africaines et latino-américaines », explique Chérif Khaznadar, qui a concocté le menu du festival. « Je ne suis pas surpris qu’on éprouve aujourd’hui le besoin de se tourner vers ces musiciens parce qu’ils sont à l’origine de tout ce qui s’est fait par la suite. Ils ont su s’imprégner de leurs racines et rester eux-mêmes, et s’ouvrir sans atteindre les excès du tout électrique et électronique. À présent, l’oreille a besoin de retourner aux sons. Tous ces musiciens étaient peut-être en avance sur leur époque. »
Si Mawazine est un jeune festival, il n’a pas la mémoire courte. Mais ce n’est là qu’un de ses mérites : maintenue malgré les événements tragiques de Casablanca, la manifestation s’est érigée comme un rempart face à l’obscurantisme.

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