Horticulture en danger

Les politiques commerciales européennes menacent la culture des fruits, des légumes et, surtout, des fleurs, deuxième source de devises après le thé.

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 3 minutes.

Naivasha, Kenya. Eli Getz dirige une ferme horticole, près d’un lac, à une centaine de kilomètres de Nairobi. À 56 ans, il gère 37 hectares à haut rendement, où il produit des fleurs d’ornement comme les solidagos (« gerbes d’or ») et les gypsophiles, que les fleuristes ajoutent aux roses et aux oeillets pour créer des bouquets. Getz pourrait se plaindre de l’interruption des vols britanniques et israéliens, liée aux risques d’attentats. Mais si 85 % de sa récolte est envoyée à Amsterdam pour être mise aux enchères, les liaisons aériennes dont il dépend n’ont pas été annulées. Pour lui, les politiques commerciales européennes constituent une menace bien plus grave que ces éventuels attentats.
L’impact du risque terroriste sur son exploitation (Beauty Line), possédée par des investisseurs israéliens, a jusqu’à maintenant été minime. Ce qui le gêne le plus, c’est une décision récente des autorités néerlandaises. À la demande de l’Union européenne, elles inspectent désormais les fleurs importées et envoient la note directement aux producteurs. « Ces nouveaux règlements ont été établis dans le seul but de rendre nos exportations plus difficiles », affirme Getz. Avec ce système, les producteurs doivent payer aux autorités néerlandaises 14 euros pour 10 000 fleurs inspectées afin de détecter insectes et maladies. Un montant multiplié par deux si la cargaison arrive un week-end ou un jour férié.
Pour une entreprise comme celle de Getz, cela représente des dizaines de milliers de dollars par an. Pour l’un des plus gros producteurs du Kenya, l’Oserian Development Company, dont les 70 hectares de serres gérées par ordinateur ne se situent pas très loin, le chiffre s’élèverait à 200 000 dollars (171 000 euros) par an pour les 130 millions de roses que la compagnie exporte chaque année. Oserian, propriété d’investisseurs néerlandais et kényans, emploie 4 500 personnes.
Reste que les petits producteurs n’ayant pas accès aux charters exploités par Oserian et d’autres compagnies seront les plus touchés par l’annulation des vols sur Londres, un marché capital.
Cela explique pourquoi les nouvelles inspections aux Pays-Bas, premier producteur où se situe la plus grande Bourse aux fleurs, inquiètent tant. Leur mise en place tombe vraiment mal : elle coïncide avec une surproduction sur le marché mondial, qui a entraîné « une chute des prix de 3 % par an, en moyenne, depuis cinq ans », affirme Rod Jones, directeur financier d’Oserian. « Dans ces conditions, les producteurs n’ont aucun espoir de faire supporter les coûts des inspections aux acheteurs. »
Un troisième facteur handicape les producteurs : l’augmentation du shilling kényan par rapport au dollar américain au cours des derniers mois. « Un producteur qui gagnait 1 000 dollars recevait 78 000 shillings ; aujourd’hui, il n’en reçoit que 65 000 », affirme Erastus Mureithi, président du Kenya Flower Council.
La concurrence sur les marchés européens est devenue très rude depuis que les supermarchés proposent, tout au long de l’année, des produits qui, autrefois, n’étaient disponibles que selon les saisons. Israël, les Pays-Bas et d’autres producteurs d’Afrique de l’Est vendent tous sur le marché européen. Dans les grandes surfaces britanniques, les légumes frais du Kenya voisinent avec ceux de la Zambie et de l’Égypte, et les épiciers ont de plus en plus de marge pour demander des prix inférieurs.
Malgré cela, l’horticulture kényane ne cesse de croître. De nouvelles entreprises éclosent tous les mois. « La production augmente plus vite que la demande », selon Rod Jones. Par exemple, alors que les fermes près de Naivasha produisent des fleurs pour l’exportation depuis vingt ans, l’entreprise Beauty Line se situe sur un terrain où l’on n’avait pas fait pousser une seule fleur avant 2001. Maintenant, il en fleurit tous les jours. Un chargement typique de fleurs cueillies, rangées, empaquetées et réfrigérées dans la ferme peut partir en camion à midi, atteindre Amsterdam à midi le lendemain et être vendu dix-huit heures plus tard en Bourse.
« Il y a deux ans, cet endroit était une savane avec des girafes, des zèbres et des gazelles. Maintenant, regardez ! » s’exclame Eli Getz en montrant les rangées de fleurs, plantées et élevées selon des horaires échelonnés afin de pouvoir fournir le marché en continu.

© The New York Times et J.A./ l’intelligent 2003. Tous droits réservés.

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