Casablanca : les avocats déchantent
Arrivés en masse à Casablanca dans les années 2000, les cabinets juridiques internationaux doivent se rendre à l’évidence : le marché marocain n’est pas assez étendu pour satisfaire tout le monde.
En toute discrétion, Bird & Bird a rompu, début janvier, son partenariat d’exclusivité avec le marocain El Amari & Associés. Annoncée en fanfare en octobre 2011, l’alliance n’aurait pas résisté, selon nos informations, à un déséquilibre dans les relations d’affaires entre les deux cabinets d’avocats et à un « refus d’investir » du géant britannique.
À Casablanca, où une vingtaine de cabinets se sont installés depuis le début des années 2000, le recul de Bird & Bird reflète une situation plus générale : plusieurs groupements d’avocats sont désormais en difficulté sur un marché qui n’a pas tenu toutes ses promesses.
« L’écrémage est inévitable », juge un avocat d’affaires
« L’écrémage est inévitable », juge un des avocats d’affaires les plus en vue au Maroc : « En haut de l’échelle, il y a de la place pour deux cabinets anglo-saxons, deux ou trois français, peut-être un espagnol. Et en bas, les cabinets locaux vont devoir se renforcer pour satisfaire la demande de correspondants de la part des internationaux. Bref, c’est le ventre mou qui va souffrir. »
Ruée
Comment expliquer l’arrivée massive de nouveaux acteurs du droit des affaires au cours de la dernière décennie ? D’importantes réformes structurelles ont été engagées par l’État marocain, et un grand nombre de projets ont été lancés, tandis qu’un changement de génération s’opérait à la tête du royaume, avec des dirigeants plus ouverts sur l’international.
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« Il y a eu une ruée vers l’or », admet un avocat. Les cabinets français sont arrivés les premiers – Gide Loyrette Nouel, UGGC, Jeantet et Lefèvre Pelletier & Associés -, suivis par les espagnols Garrigues et Cuatrecasas, venus accompagner la vague d’investissements des entreprises nationales.
Enfin, les cabinets anglo-saxons se sont réellement implantés à partir de 2011, quand Allen & Overy a débauché l’équipe de Hicham Naciri chez Gide, soit une trentaine d’avocats.
Jusqu’à un certain point, cet afflux a pu servir le marché, mais l’environnement économique n’est plus aussi bon qu’au début des années 2000. Christophe Eck, associé de Gide Loyrette Nouel, confirme : « Le pays est en crise, notamment du fait de sa dépendance vis-à-vis de l’Europe. » Le Printemps arabe a également affecté le volume d’affaires des avocats.
Réseau
Sur l’exercice en cours, plusieurs cabinets de la place ont vu leurs revenus diminuer en raison de la forte baisse de leurs activités en Afrique du Nord. Selon un observateur, « les Espagnols souffrent de n’avoir pas su élargir leur clientèle aux groupes locaux, tandis que très peu de Français tiennent la route, surtout depuis l’arrivée des Anglo-Saxons ».
En outre, un cabinet ne se monte pas en quelques années. « La qualité du réseau est fondamentale, et beaucoup n’ont pas la patience de le constituer, estime Mohieddine El Amari, l’ancien partenaire de Bird & Bird. Il faut entre quinze et vingt ans pour construire un cabinet disposant d’une clientèle corporate significative. » Valorisante sur le papier, l’association avec un cabinet international n’est pas toujours une opération gagnante.
« Cela peut même s’avérer coûteux pour les deux parties, explique Azzedine Kettani, fondateur de Kettani Law Firm. Généralement, le cabinet local va apporter à son nouveau partenaire une partie de son activité en contentieux, domaine dans lequel il n’a besoin de personne. Mais que reçoit-il en échange ? »
Afin de conquérir ou de conserver des parts de marché, certains cabinets se sont lancés dans une véritable guerre des prix. Quitte à se saborder « à force de proposer des tarifs très largement inférieurs à la moyenne », explique un avocat marocain, qui ajoute : « Dans un secteur en restructuration, la guerre des prix va avoir des conséquences négatives. »
Surtout qu’avec l’arrivée des cabinets internationaux les salaires des juristes marocains ont flambé, au point de flirter avec les tarifs pratiqués à Paris. « On constate un double mouvement, se plaint un avocat. Moins de dossiers à cause de l’attentisme des opérateurs économiques et, à cause des parasites, une difficulté à gagner de l’argent. Résultat : on se concentre sur les dossiers les plus rémunérateurs. »
Internationalisation
Pour les grands cabinets, l’issue se joue en partie hors du Maroc. « La croissance viendra de l’international », juge Hicham Naciri, qui a lui-même déjà conseillé plusieurs opérations en dehors du pays, notamment en Côte d’Ivoire, et dont le cabinet réaliserait un tiers de ses revenus ailleurs sur le continent.
Christophe Eck fait le même constat. Mais il doute que, dans l’immédiat, Casablanca puisse devenir une plateforme d’investissement panafricaine : « Le hub marocain pour l’Afrique subsaharienne n’est pas encore assez alimenté pour entretenir un vrai deal flow. » Tous les espoirs reposent sur la capacité du projet Casablanca Finance City à attirer des multinationales qui constitueront la clientèle des cabinets internationaux. « Il faut d’abord que les clients viennent, ensuite les cabinets, analyse un avocat. On a mis la charrue avant les boeufs. »
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