Faire carrière en Afrique

Quels sont les profils recherchés par les entreprises qui travaillent sur le continent ? Quels sont les niveaux de formation requis ? Dans quels secteurs d’activité ? Autant de questions auxquelles les jeunes diplômés doivent répondre pour orienter au

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 6 minutes.

«La règle d’or pour espérer entrer chez nous : être très réactif à tout ce qui vous entoure. » Pour Jean Booh, directeur des ressources humaines d’Alucam, filiale de Péchiney, basée à Douala au Cameroun, l’exigence d’excellence scolaire se conjugue avec l’impérieux besoin de recruter des caractères de choix. Il importe donc avant tout « d’être innovant et de savoir faire ressortir ses talents cachés ». Une façon de dire que la voie importe peu et que seuls comptent, finalement, les qualités d’adaptation et le sérieux du candidat. Aujourd’hui, la majorité des DRH africains prône l’ouverture d’esprit comme une des clés indispensables pour faire carrière sur le continent. Reste à trouver les moyens d’y parvenir. La voie royale demeure assurément d’intégrer une grande école en France ou aux États-Unis. Dans un marché extrêmement concurrentiel, le passage à l’étranger reste toujours un « plus » sur un curriculum vitae. En intégrant les « grandes parisiennes » ou a fortiori les « prestigieuses américaines », le futur commercial ou ingénieur acquiert les armes nécessaires pour affronter le monde actuel du travail : apprendre à se fixer des objectifs, être performant et ponctuel, accepter de se remettre en question pour mieux évoluer.
Pour Indira Moudi, directrice du recrutement du service technique de Schlumberger pour l’Afrique, cette connaissance de « l’autre » est essentielle : « Un Camerounais qui travaille pour nous dans son pays devra non seulement bien connaître son environnement, mais aussi être capable de s’adapter à ses interlocuteurs francophones, ou anglophones, selon les compagnies pétrolières. Au-delà de la langue, il s’agit d’un problème de culture face auquel il faut être très adaptable, explique Indira Moudi. Avoir la chance d’être formé à l’étranger permet d’acquérir une ouverture d’esprit. Mais le plus important est de bouger, même en restant dans son propre pays… Il faut toujours se confronter à de nouveaux défis ! »
Ce qui ne veut pas dire pour autant que son bassin de recrutement exclut l’Afrique, bien au contraire. À travers des bourses d’études, Schlumberger parraine des étudiants dans de grandes écoles, notamment au Nigeria et au Ghana. Ce nouveau type de sponsoring et de soutien des entreprises vis-à-vis des écoles africaines, notamment à travers des stages, apparaît pour nombre de cadres dirigeants comme une des clés pour l’avenir : « La plupart des jeunes qui font leurs études à l’étranger s’y installent ensuite au minimum pour dix ans. Et après, quand ils veulent revenir, ils coûtent trop cher ! souligne Jean Booh. Si nous réussissons à donner un coup de fouet à nos formations locales, nous réussirons à nous affranchir des problèmes de coût à la fois en amont, pour l’étudiant, et en aval, lors de la rémunération à l’embauche. »
Le mouvement est déjà en marche. Depuis quelques années, des écoles privées de très bon niveau se développent sur le continent africain, notamment dans la partie francophone, au Sénégal ou au Cameroun par exemple. Si on fait rapidement le calcul, en prenant en compte la difficulté à décrocher un visa, les frais de scolarité et d’hébergement, sans oublier la difficulté à vivre loin de ses attaches familiales et amicales, le choix d’intégrer une école africaine peut rapidement se révéler plus judicieux. Pour Aboubacar Sédikh Sy, directeur et fondateur de Sup de Co Dakar, l’alternative est affaire d’excellence : « Je ne dirais pas à un jeune extrêmement brillant de rester chez nous, mais ces cas restent souvent des exceptions. Pour tous les autres, je peux assurer qu’il existe une réponse locale de plus en plus considérée par les recruteurs. » Pour preuve, il cite ces grands cabinets de conseil qui, pendant longtemps, n’ont embauché que des jeunes formés en Europe ou aux États-Unis, mais qui depuis quatre ou cinq ans s’intéressent aux profils africains : « Ils ont une meilleure connaissance de l’environnement, car ils sont formés par des experts qui sont en contact direct avec les réalités du terrain », poursuit le directeur.
Mais reste que dans un contexte de plus en plus internationalisé, un bon diplôme, quel qu’il soit, ne suffit plus : « Le marché a évolué et il est devenu plus exigeant, remarque Mohamed Ikbal, responsable de la zone Maghreb à AfricSearch International, un cabinet de recrutement parisien au service d’une centaine de multinationales implantées en Afrique. Nous continuons de chercher des diplômés issus de grandes écoles, mais ils doivent pouvoir fournir, en plus, la preuve d’une expérience significative dans leur domaine. » Et a fortiori dans une entreprise à l’étranger. Histoire de se confronter à une autre culture, mais aussi d’apprendre à maîtriser plusieurs langues, dont l’anglais. Une ouverture qui passe aussi de plus en plus par des compléments de formation initiale : « La tendance actuelle est assurément aux MBA effectués en cours de carrière », assure le recruteur.
Le MBA – Master of Business Administration – est devenu un label mythique et joue aujourd’hui le rôle d’atout professionnel universel : « Avoir un bon MBA permet d’avoir une ouverture sur le monde », soutient Sunil Benimadhu, le directeur de la Bourse de Maurice, lui-même détenteur d’un MBA en finances et investissement décroché à l’université de l’Illinois, aux États-Unis. « Cet apprentissage très généraliste donne une prédisposition à bien comprendre l’entreprise et son fonctionnement. » Même s’il avoue qu’un MBA sur un CV n’est pas « déterminant » à l’embauche, il reste un « avantage certain ».
Comprenant très bien les opportunités de ce nouveau marché, certaines écoles de commerce parisiennes ont même développé des partenariats avec des écoles africaines. C’est le cas de l’Edhec (École des hautes études commerciales), qui depuis plusieurs années est liée avec l’Institut supérieur de gestion d’Alger (Iseg) : les étudiants qui effectuent tout leur cursus à l’Iseg, reçoivent certains cours dispensés par des professeurs de l’Edhec, avant de finir leur parcours par un séminaire à Paris. Cette politique de délocalisation des savoirs s’accompagne également d’un effort accru en direction de la formation continue. Depuis près de quinze ans, l’Edhec propose ainsi aux cadres algériens d’effectuer des Executive MBA en part time, c’est-à-dire tout en continuant à travailler : « Ce type de formation réjouit tout le monde ! explique Henri-Laurent Brusa, responsable de la section internationale de l’Edhec. C’est plus économique pour l’entreprise, car, pendant ce temps-là, le cadre continue de travailler ! Et c’est l’idéal pour le principal intéressé, car il reste dans son univers et avec sa famille. »
Pour Muriel Gadaut, responsable des formations MBA à l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP), l’engouement pour ce type de programme s’explique par l’évolution du marché : « Aujourd’hui, face à l’internationalisation des échanges, il faut être polyvalent tout en étant très spécialisé. » Pour répondre à la demande, l’ESCP a également créé depuis dix ans un programme Executive MBA, dont une filière basée à Casablanca : « La majorité des candidatures que nous recevons concerne de jeunes cadres âgés de 30 à 35 ans qui, arrivés à un tournant de leur carrière, éprouvent le besoin de confronter leur expérience à d’autres cultures », poursuit Muriel Gadaut. La plupart du temps, ces formations sont prises en charge totalement ou en partie par l’entreprise. Un avantage certain, comparé aux formations dites en full time : durant deux ans à temps complet, elles donnent un véritable coup d’arrêt à la carrière professionnelle et restent généralement à la charge du candidat.
Pour certains recruteurs, cette sorte de « remise à niveau » en cours de carrière est devenue presque plus importante que le diplôme initial, car elle est la preuve d’un retour sur soi et d’un recentrage indispensable sur de nouveaux objectifs. Avoir une bonne connaissance des réalités africaines tout en étant capable d’aller travailler n’importe où ailleurs : telle pourrait être la définition du nouveau « candidat type ». Et dans un marché en pleine structuration, de très belles opportunités sont à saisir pour ces jeunes cadres ambitieux : « Aujourd’hui, nous recherchons tout particulièrement des spécialistes en droit des affaires et des sociétés, ou des experts juridiques attachés à un cabinet d’avocats, explique Mohamed Ikbal. Mais les demandes restent très fortes également dans le domaine financier et logistique, pour tout ce qui est gestion des achats et des ventes. » Et pour convaincre ceux qui, après s’être exilés pour leurs études, hésitent à rentrer, Jean Booh joue la carte de la séduction : « L’avantage, c’est qu’un jour ils pourront sortir de l’anonymat. En Europe, même si le jeune est bon, il restera toujours dans l’ombre, alors qu’en Afrique, il pourra un jour espérer devenir directeur ! » Une conclusion optimiste qui sonne comme un pari sur l’avenir.

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