Et le train siffle de nouveau…

Après neuf mois d’interruption, le trafic ferroviaire reprend sur le territoire national. Malgré les actes de sabotage de « jeunes patriotes ».

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Neuf mois de paralysie, des semaines d’âpres négociations et, finalement, une victoire. Depuis le 22 mai, le train de la Société internationale de transport africain par rail (Sitarail) siffle à nouveau dans les gares de Côte d’Ivoire. Même les « jeunes patriotes », membres d’organisations proches du président Laurent Gbagbo et fermement opposés à la reprise du trafic, interrompu depuis le 19 septembre, semblent avoir fait machine arrière. Semblent seulement, parce que leur entrevue le 5 juin avec la direction de Sitarail a tourné court. Charles Blé Goudé et ses « troupes » ont prétexté l’absence d’Abdel Aziz Thiam, directeur général de l’entreprise, pour quitter la gare de Treichville. Quarante-huit heures plus tôt déjà, de « jeunes patriotes » avaient encore déboulonné quelques mètres de rails. D’où la prudence affichée côté Sitarail.
Pas question aussi pour l’entreprise de courir le moindre risque avant que le nord du pays soit complètement sécurisé : les passagers attendront. Seul reprend, pour l’instant, le trafic marchandises jusqu’aux villes de Ferkessédougou et de Ouangolodougou, à quelques kilomètres de la frontière burkinabè. Le train y convoiera engrais et hydrocarbures et en rapportera du coton et du sucre. Il faudra en revanche patienter jusqu’à la fin juin pour que Ouagadougou soit, à son tour, relié à la capitale économique ivoirienne. D’ici là, la frontière restera fermée.
Peu importe ces nouvelles semaines d’attente. L’essentiel est que le train circule à nouveau, se réjouit-on dans les milieux d’affaires ivoiriens, même si la reprise n’est que partielle. Les efforts déployés par l’entreprise, qui gère la ligne Abidjan-Ouagadougou, n’auront de toute façon pas été vains. Ceux des bailleurs de fonds (la Banque mondiale en tête, qui a investi 40 milliards de F CFA dans la réhabilitation des infrastructures ferroviaires) non plus. Encore fallait-il pouvoir inspecter la portion de voie ferrée située en zone rebelle.
Première tentative le 8 avril. Partie rallier La Laréba, dernière bourgade – et cours d’eau – avant la frontière burkinabè, la locomotive de chantier doit s’immobiliser à Raviart, à 60 km au sud de Bouaké. Pendant deux jours, elle attend dans la chaleur moite du pays baoulé. Les combats qui ont repris, quarante-huit heures plus tôt, dans l’ouest du pays incitent à la prudence. Abdel Aziz Thiam préfère ne pas prendre de risque. Il ne veut ni mettre en péril la vie des officiers loyalistes montés à bord de la draisine, ni être accusé de chercher à les introduire en zone rebelle. Le 10 avril, la locomotive fait marche arrière.
Nouvelle – et discrète – tentative le 11 mai. Quatre jours plus tard, le convoi ferroviaire rejoint Treichville en fanfare. À son bord, des techniciens du rail, des soldats ivoiriens (rebelles et loyalistes), des éléments du contingent de la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et des militaires français. Un à un, ils descendent sur le quai, sous les applaudissements des personnalités politiques, diplomatiques et militaires venues l’accueillir. Et signifier par la même occasion leur soutien officiel à la reprise du trafic ferroviaire. Parmi elles, des représentants de l’état-major ivoirien dont la présence montre bien le changement d’attitude des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) jusque-là plutôt opposées à la reprise du trafic. En ce début de matinée, à Treichville, l’atmosphère est à la fête. Le ministre des Transports, Anaky Kobenan, en est convaincu : « On ne s’arrêtera plus, nous irons de l’avant, n’en déplaise à des excités. »
Les trois locomotives désolidarisées, le wagon de marchandises et le plateau roulant « affrétés » par Sitarail ont en effet permis d’inspecter la portion de voie ferrée située en zone rebelle. Jusqu’à Bouaké, parce qu’elles ont été entretenues de manière quasi quotidienne, les voies sont en parfait état. Même chose jusqu’à la frontière burkinabè, a expliqué Angoua Yobouet, chef de la mission de reconnaissance : « Au plan technique, les cheminots sont prêts à reprendre le trafic ; l’état des rails est bon. » Mieux : dans chaque ville traversée, le convoi a été acclamé. Un accueil d’autant plus enthousiaste que la majorité des localités dépendent du train et de l’activité commerciale qu’il génère. « On a vu des populations en liesse qui nous saluaient, nous baisaient les mains, poursuit Angoua Yobouet. On sentait dans leur visage qu’ils attendent leur train quotidien, pour ne pas dire le pain quotidien ».
Le Premier ministre ivoirien Seydou Diarra avait, dès le 24 mars, autorisé cette reprise dans une lettre adressée à Sitarail. Le gouvernement s’engageait également à ouvrir, dans un délai de trois mois, des négociations pour que soit trouvé un accord qui permettrait à l’entreprise de revenir à sa situation financière d’avant la crise. Les autorités ivoiriennes laissaient même entendre qu’un dédommagement pour le préjudice subi serait possible. Seulement voilà : ladite lettre avait été rédigée en réponse à un précédent courrier de l’entreprise sans que le Burkina, également actionnaire de Sitarail, soit consulté. Ce qu’il n’aurait guère apprécié.
Du côté de Ouagadougou, les choses avançaient – et avancent toujours – moins vite. Certes, le nord de la Côte d’Ivoire n’est plus, depuis le 10 mai, une « zone de guerre ». Une mesure à laquelle le Burkina avait conditionné la réouverture de la frontière et la reprise du trafic. Aujourd’hui, assure le Premier ministre burkinabè Paramanga Ernest Yonli, le pays « mène toutes les actions pour relancer le train ». Mais son gouvernement doit encore « s’assurer que les conditions de sécurité et de sérénité sont réunies avant de dire que la frontière est ouverte et que le trafic commercial peut commencer ».
Il n’empêche. Ce qui aurait pu n’être qu’un problème économique est devenu une question éminemment politique. Entre la Côte d’Ivoire et son voisin du Nord, accusé de soutenir les rebelles, mais aussi au sein du pouvoir qui, selon des opérateurs économiques locaux, aurait volontairement fait traîner les choses en longueur.

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