Dialogue de sourds

La journaliste et romancière Kenizé Mourad a recueilli les mots de Palestiniens et d’Israéliens. Un récital de voix discordantes.

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 2 minutes.

«Il ne s’agit pas de juger, il s’agit de comprendre » : cette phrase de Spinoza qui ouvre Le Parfum de notre terre – Voix de Palestine et d’Israël de Kenizé Mourad en donne d’emblée le ton : l’auteur du best-seller De la part de la princesse morte et du Jardin de Badalpour renoue ici avec son ancien métier de journaliste spécialiste des conflits du Proche-Orient en optant pour une nouvelle démarche : celle du terrain et du témoignage direct. Loin de l’analyse politique ou du commentaire généraliste.
Avec le tact de la romancière et le regard de l’investigatrice, Kenizé Mourad décrit le quotidien de Palestiniens et d’Israéliens ordinaires, dont elle entend « comprendre les besoins, les angoisses, et les façons d’appréhender le présent ». Les premiers sont victimes de la violence et de l’oppression de l’occupant, les deuxièmes sont enfants de Juifs rescapés des camps de la mort, obnubilés par leur propre sécurité.
De villes en hameaux, de colonies en camps de réfugiés, Mourad se déplace, écoute et enregistre. Sans pouvoir se retenir, parfois, de décrire un coucher de soleil ou de faire résonner le rire d’un enfant. Face aux malheurs de Selim dont la maison fut plusieurs fois détruite, aux tracasseries administratives rocambolesques de Christine Khoury, à des jeunes qui ont pour seuls souvenirs d’enfance des images de soldats, face aux femmes de Jénine qui perdent leurs bébés au cours des sièges, aux tirs des snipers israéliens, aux couvre-feux et autres périls dans les Territoires, les discours et les gesticulations des colons semblent sortir d’un mauvais scénario policier, et leurs devises exterminatrices paraissent surréalistes au regard de ce que leurs parents ont subi sous les nazis. Le courage des défenseurs de la paix et de certains rabbins qui protègent les paysans palestiniens est quant à lui exemplaire.
Le tableau est celui de deux peuples s’accusant mutuellement d’alimenter le conflit et vivant dans la peur. « Ils ne veulent pas la paix, ils veulent nous éliminer » : d’un peuple à l’autre, le leitmotiv est le même. Et lorsque la jeune Naomie déclare sans ciller : « Dieu nous a donné ces terres », Maha répond en écho : « Le sumud [« résistance »], c’est envers et contre tous, continuer à croire à la Palestine. »
Roman du réel – on pourrait dire aussi envers du roman ou roman à l’envers -, Le Parfum de notre terre se lit comme une sombre chronique, mais il s’agit d’une démarche de paix : celle qui exige d’identifier les injustices et de crever les abcès, de confesser les rancoeurs et les hantises. Après quoi, on ne peut plus se gargariser de discours, on ne peut plus suivre sans discernement les débats sur l’antisémitisme ou le terrorisme, on ne peut plus se voiler la face devant la douleur. On apprend qu’on ne met pas fin à la violence avec des prouesses militaires et policières, mais en arrachant les racines du mal : rendre à un peuple sa terre et sa dignité.
Mais combien de lecteurs, de journalistes, de politiques sont prêts à emboîter le pas ? Combien liront ce livre ? Seul le Dieu de Palestine le sait. Et encore, ça dépend lequel.

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