Des corps qui parlent

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 2 minutes.

À la fin du Mariage d’Alex, l’un des deux documentaires présentés sous le titre un peu trompeur Amours et résignation (car il ne s’agit pas là de sagas à l’indienne), le Camerounais Jean-Marie Teno inscrit sur l’écran un commentaire lapidaire : « Dix-huit mois après, Élise avait pris quinze kilos. » Pourquoi ?
Le film raconte ce qui s’est passé un an et demi auparavant, lorsque Alex, après dix-huit ans de mariage avec son premier amour, Élise, mère de ses six enfants, a décidé de prendre une seconde épouse, Joséphine, à peine sortie de l’adolescence. Teno, invité à assister à la cérémonie, nous fait vivre les préparatifs du mariage et la journée au cours de laquelle est scellée cette union polygame. Au fil de ce « reportage » sur le vif, il interroge tous les protagonistes de l’événement. Les divers membres des familles, les amis, le pasteur invité à officier à domicile puisque la religion interdit de le faire à l’église, etc. Tous, avec plus ou moins d’entrain, se prêtent au « jeu » et commentent la situation. À commencer par son principal « bénéficiaire », Alex, pour qui « chez les Bamilékés, un homme non polygame n’est pas marié, car un seul doigt ne peut pas prendre la nourriture dans la marmite ».
Une seule personne refuse de répondre aux questions respectueuses du réalisateur. Pendant cette journée où l’ambiance est presque toujours triste, Élise s’interdit d’exprimer ouvertement quoi que ce soit. Puisque les mots sont impuissants pour dire son désarroi, ce sera son corps qui parlera. Par des postures qui trahissent son refus d’accepter ce qui lui arrive. Et, plus tard, en prenant du poids, malgré elle, pour montrer qu’elle ne se sent plus désirée et qu’elle n’entend plus être désirable.
Ce qui fait la force du Mariage d’Alex et de la plupart des films de Teno, l’un des meilleurs documentaristes africains actuels, c’est sa capacité de donner à voir l’implicite qui se cache derrière l’explicite. Soit : savoir trouver la bonne distance, à l’intérieur même des situations décrites et au plus près des corps sans tomber dans le corps à corps.
Ce qui n’est pas le cas dans Si-Guériki, le deuxième volet d’Amours et résignation, où le réalisateur, Idrissou Mora Kpai, raconte son retour au village dans le nord du Bénin après dix ans de séjour en Europe. Le sujet évoque les surprises de l’auteur, qui redécouvre avec un regard distancié sa communauté, l’ordre patriarcal, les conditions de vie injustes des femmes et surtout le destin étonnant de sa mère. Autrefois épouse de son père parmi d’autres, femme soumise, elle est maintenant, après sa disparition, l’équivalent d’un roi. Devenue Si-Guériki (littéralement « reine mère »), elle joue désormais un rôle symbolique majeur dans sa tribu. Le récit, s’il peut intéresser, ne touche guère. Parce qu’il est mené de façon classique, parce qu’il paraît très « pensé », calibré pour démontrer autant que pour montrer, sans laisser suffisamment de place à ce que révèlent à leur insu les mots comme les corps.

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