Bénin : mélodrame au pays du coton

D’un côté, les huileries demandent une renégociation du prix des graines. De l’autre, l’État exige le paiement de la campagne précédente. Résultat : la récolte pourrit au bord des champs et les usines sont à l’arrêt.

L’industrie cotonnière assure un revenu à plus d’un tiers de la population du pays. © Yannick Tylle/Corbis

L’industrie cotonnière assure un revenu à plus d’un tiers de la population du pays. © Yannick Tylle/Corbis

Fiacre Vidjingninou

Publié le 26 février 2014 Lecture : 3 minutes.

« Ils sont en train de casser la filière coton par autisme et de mettre à mal le tissu industriel béninois, sans compter l’effet désastreux que cela aura sur les investisseurs. » Roland Riboux, PDG de Fludor, l’une des deux huileries du pays, et président du Conseil des investisseurs privés au Bénin, ne décolère pas : « la graine de coton se raréfie et, quand elle est disponible, elle est de mauvaise qualité. Aujourd’hui, nous en avons encore besoin d’une quantité significative pour tourner, et il est désolant de penser que cela fait déjà plus de deux mois qu’ils préparent leur coup pour nous punir. »

« Ils », ce sont les pouvoirs publics, qui exigent le paiement des graines de la campagne précédente. Et si les industriels sont « punis », c’est pour avoir demandé une réfaction sur le coton de mauvaise qualité qui leur est livré. Résultat de cette mésentente : la récolte actuelle pourrit au bord des champs et les usines sont à l’arrêt.

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Et si les industriels sont « punis », c’est pour avoir demandé une réfaction sur le coton de mauvaise qualité qui leur est livré

Chronologie

Retour en arrière. À deux reprises, le 18 décembre 2013 puis le 7 janvier, Fludor et la Société des huileries du Bénin (SHB), qui emploient en tout plus de 900 personnes, ont demandé l’ouverture de négociations sur le prix de cession de la graine pour la nouvelle campagne. Quinze jours plus tard, le 22 janvier, le comité interministériel chargé de la filière a convoqué leurs dirigeants pour réclamer le paiement du solde dû au titre de la campagne précédente (2 milliards de F CFA, soit environ 3 millions d’euros), solde contesté par les triturateurs, mécontents de la mauvaise qualité des graines reçues.

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Un taux excessif d’humidité dans la récolte, exposée aux intempéries, aurait augmenté selon eux le taux d’acidité du coton, les obligeant à utiliser beaucoup plus d’intrants chimiques pour en extraire l’huile.

Faute d’accord entre les deux parties, Fatouma Djibril, la ministre de l’Agriculture, et Idrissou Bako, le directeur général de la Société nationale pour la production agricole (Sonapra), auraient décidé de vendre les graines de la campagne actuelle directement hors du territoire. Quelque 2,5 millions de sacs commandés à la société Filtisac, en Côte d’Ivoire, ont été livrés le 1er février.

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La destination logique pourrait être le Nigeria, où les clients offrent un peu moins de 80 F CFA (12 centimes d’euros) pour un kilo de graine de coton, contre 70 F CFA (10 centimes d’euros) pour les huileries béninoises. « Pour accéder aux graines de la campagne actuelle, les triturateurs doivent payer sans discuter ce qu’ils doivent à l’État au titre de la campagne précédente. Ce n’est pas négociable », affirme Fatouma Djibril.

Imbroglio

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En attendant la fin de cet imbroglio, la récolte tarde à commencer, deux mois après le début habituel de la campagne. Le 10 janvier, le gouvernement a réquisitionné les six usines d’égrenage de la Société de développement du coton (Sodeco), qui, comme la SHB, appartient à l’homme d’affaires Patrice Talon, ex-financier des campagnes présidentielles de Boni Yayi, entre-temps tombé en disgrâce.

Environ 22 000 tonnes de coton ont été égrenées en trois semaines, mais c’est toujours nettement moins que les 150 000 tonnes traitées sur la même période en 2013.

Le 3 février, une trentaine de maires originaires de la boucle du coton se sont rendus à la présidence pour exprimer à Boni Yayi leur mécontentement quant à la gestion de la campagne cotonnière. « Nous regardons pourrir le coton au bord de nos champs, sous la pluie. C’est ma dernière année dans le coton », lâche, consterné, Bio Toko, cotonculteur à Bello Tounga, dans le nord-est du Bénin.

Du côté des industriels, on a pris les devants. « Chez Fludor, cela fait maintenant des années que nous diversifions nos activités pour ne plus dépendre que du coton », souligne Roland Riboux, dont l’entreprise s’est développée dans l’huile de soja et le beurre de karité.

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