Bush s’est-il fait piégé?

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 4 minutes.

Il est difficile de ne pas voir avec quelque scepticisme la double acceptation de la feuille de route par Ariel Sharon et Mahmoud Abbas. Dans le cas d’Abbas, ce scepticisme a moins à faire avec ses intentions qu’avec son aptitude à satisfaire aux obligations du document : celle, notamment, qui demande la fin du terrorisme. Abbas doit tenir compte de la probable obstruction de Yasser Arafat, tout autant que de l’état déplorable des forces de sécurité palestiniennes, détruites par Israël.
Dans le cas de Sharon, en revanche, ce scepticisme n’a rien à voir avec son aptitude – qui ne fait pas de doute – à obéir aux exigences de la feuille de route, mais avec ses intentions. Depuis qu’il est devenu Premier ministre, en mars 2001, Sharon a accepté toutes les initiatives de paix, qu’il s’agît des accords d’Oslo, des propositions de la commission Mitchell ou des directives de George Tenet, puis il s’est employé à les torpiller à coups de « réserves » et de « conditions ». Paradoxalement, les réserves qu’il a attachées à son acceptation de la feuille de route sont bien moins destructives que les conditions qui lui ont permis antérieurement de liquider les autres initiatives de paix, tout en évitant habilement d’en être blâmé.
Le scepticisme quant à la franchise du Premier ministre se trouve renforcé par les informations de la presse israélienne sur les « faits accomplis » créés chaque jour sur le terrain et qui contredisent sa toute nouvelle « conviction » qu’Israël ne peut continuer à tenir sous occupation 3,5 millions de Palestiniens.
Selon la journaliste du Ha’aretz Amira Hass, il s’agit notamment du nouveau mur de séparation qui détruit des milliers d’acres des plus productifs vergers et terres agricoles, vitaux pour le futur État palestinien, et enserre nombre de villages aussi bien que toute la ville de Qalqilya. Israël a construit aussi des « barrières de sécurité » autour des colonies juives et des routes dites de contournement qui coupent les villages palestiniens les uns des autres et les villages de leurs terres agricoles. Les colonies elles-mêmes couvrent désormais près de la moitié du territoire de la Cisjordanie.
Ces « faits » semblent avoir déjà déterminé que l’« État » accepté par Sharon et qui a tant scandalisé l’opinion de droite, en Israël, sera composé en Cisjordanie de trois enclaves séparées les unes des autres (sans compter une quatrième enclave à Gaza), sans débouchés sur les pays arabes voisins et moins encore sur le reste du monde.
Un autre expert israélien des affaires palestiniennes, Danny Rubinstein, conclut dans le Ha’aretz que la présence israélienne dans les Territoires est devenue permanente. Une affirmation endossée par Emunah Elon, opposante de droite à un État palestinien et qui écrit dans Yediot Aharonot : « La feuille de route n’est plus en jeu ; tout ce qui compte est ce que fait le Premier ministre. » Elon confirme que Sharon vise à « diviser les territoires de Judée-Samarie [la Cisjordanie] en minuscules cantons isolés les uns des autres, enserrés dans des barrières et entourés d’une pléthore de colonies juives ». Elle rassure les colons inquiets en ajoutant que l’excitation soulevée par les déclarations controversées de Sharon sur la fin de l’occupation ne sera qu’un « épisode éphémère ».
À l’exception du noyau idéologique dur du mouvement des colons, la grande majorité des Israéliens comprend que la sécurité et la viabilité d’Israël dépendent de l’amitié américaine. En conséquence, un Premier ministre qui serait vu comme responsable d’un refroidissement de cette amitié ne survivrait pas longtemps.
Le problème des colonies nous dit ce que nous devons savoir sur les véritables intentions de Sharon, mais aussi ce qu’il nous faut savoir sur celles de Bush. Il n’y a aucune justification pour différer le gel de la colonisation ou le démantèlement des « avant-postes », ce qui ne compromettrait en rien la sécurité d’Israël. En fait, plus que tout autre facteur, les colonies sont responsables de la violence palestinienne et de l’absence de toute opposition populaire aux groupes terroristes. L’entreprise de colonisation n’a été rien d’autre qu’un vol de terres palestiniennes, commis en pleine lumière et rendu seulement possible par l’écrasante supériorité militaire d’Israël. L’idée que Mahmoud Abbas pourrait affronter et soumettre les groupes terroristes tandis que ce vol continue est simplement absurde.
Si Sharon trouve le moyen de différer ou de détruire les obligations de la feuille de route touchant les colonies et les avant-postes, cela indiquera clairement que sa véritable intention est de prendre Bush au piège en obtenant le soutien américain à sa conception d’un État palestinien composé de plusieurs cantons sur un territoire fragmenté par les colonies. Mais si Bush insiste sur une pleine application de la feuille de route, en commençant par l’exigence du gel de toute colonisation, cela montrera clairement qu’il reste pleinement engagé à faire ce qu’il faut pour mettre fin au conflit séculaire entre Juifs et Palestiniens.

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