Afrique subsaharienne : et si on remettait le courant ?

Séparer les activités de production, de transport et de distribution de l’énergie, et répartir clairement les rôles entre secteurs public et privé. Telle est la recette mise en oeuvre dans plusieurs États subsahariens pour répondre, enfin, aux besoins des habitants.

À titre d’exemple, l’amélioration de la production électrique au Nigeria pourrait entraîner une hausse de 3% du PIB. © PHCN

À titre d’exemple, l’amélioration de la production électrique au Nigeria pourrait entraîner une hausse de 3% du PIB. © PHCN

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© Vincent Fournier pour JA OMER-MBADI2_2024

Publié le 26 février 2014 Lecture : 5 minutes.

L’Afrique subsaharienne aurait-elle commencé sa révolution énergétique ? Un peu partout, le secteur de l’électricité mobilise des moyens comme jamais auparavant. En trois ans, près de 1 milliard de dollars (environ 735 millions d’euros) ont été investis dans ce domaine en Côte d’Ivoire. Le grand barrage d’Inga III, véritable « éléphant blanc » de RD Congo, n’a jamais été aussi près d’obtenir les financements nécessaires à son démarrage.

Et le Nigeria a annoncé, le 11 février, le déblocage de 550 millions de dollars, via son fonds souverain, pour doper le secteur. Géant démographique (170 millions d’habitants) et économique du continent, le pays est un nain énergétique qui produit actuellement à peine 5 000 mégawatts (MW). « C’est presque trois fois moins que la ville de New York [13 000 MW], qui compte moins de 10 millions d’habitants », observe Rolake Akinkugbe, directrice de la recherche énergie, pétrole et gaz au sein du groupe Ecobank.

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Rationnalisation

En 2013, Abuja a lancé la réorganisation de fond en comble de toute sa filière électrique, avec l’objectif de porter sa capacité de production à 20 000 MW à l’horizon 2020. Le plan est clairement ficelé : séparation des différentes activités (production, transport et distribution), attribution de chacune d’elles à des acteurs différents et création d’une autorité indépendante chargée de réguler et de veiller au bon fonctionnement du secteur.

Résultat : l’usine à gaz qu’était devenue la Power Holding Company of Nigeria (PHCN), la compagnie publique chargée de la fourniture d’électricité, a été scindée en six sociétés de production et onze de distribution. Fin 2013, une quinzaine de ces entreprises ont trouvé des repreneurs privés, pour un montant total d’environ 2,5 milliards de dollars.

Une privatisation à marche forcée ? Non, plutôt une reconnaissance des forces et des faiblesses des secteurs public et privé. « C’est dans la production que les acteurs privés peuvent rapidement se montrer plus efficaces. Motivés par des perspectives de gains, ceux-ci gèrent leurs centrales thermiques de manière plus performante [à plus de 90 % de leur capacité, contre à peine 65 % pour les entités publiques en Afrique subsaharienne] », explique, depuis Dakar, Bertrand Heysch de la Borde, directeur infrastructures Afrique de la Société financière internationale (IFC, filiale de la Banque mondiale chargée du secteur privé).

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Limite

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Pour un grand nombre de spécialistes, l’exercice a toutefois une limite : pour que les investisseurs réussissent leur mission, il faut créer un environnement favorable, via une politique publique et une réglementation claires, et trouver un acheteur crédible et solvable. « C’est un aspect important », confirme Jean-Pierre Barral, le responsable du développement Afrique de ContourGlobal, un producteur indépendant américain.

« Par exemple, grâce à un contrat qui garantit la vente de notre électricité à la Compagnie d’énergie électrique du Togo pendant vingt-cinq ans, nous avons pu obtenir un financement à long terme de l’Opic [l’agence américaine de développement] pour la construction d’une centrale thermique [opérationnelle depuis 2010] à Lomé. »

Au Nigeria, pour gagner la confiance des producteurs indépendants, l’État a créé Nigerian Bulk Electricity Trading (NBET), une société qui achète l’intégralité de l’énergie des producteurs et la revend aux sociétés de distribution. Et pour éviter tout défaut de paiement, cette nouvelle entité bénéficie du soutien de la Banque mondiale, qui apporte une garantie partielle à hauteur de 800 000 dollars.

Présidé par Ngozi Okonjo-Iweala, la ministre des finances, NBET devrait recevoir plus de 350 millions de dollars – sur les 550 millions que vient de débloquer le gouvernement pour renforcer sa trésorerie. Autant de mesures qui ont convaincu de richissimes hommes d’affaires du pays de prendre part au processus.

Production et distribution

C’est justement le schéma nigérian que le Cameroun tente de reproduire en séparant production et distribution. Jusque-là, toutes les activités de la filière étaient gérées par AES-Sonel.

AES Sonel, un échec camerounais

Au siège d’AES-Sonel, à Douala, on brandit les chiffres comme des trophées. Plus de 630 milliards de F CFA (960 millions d’euros) investis en douze ans, essentiellement dans la construction de centrales thermiques. Plus de 400 000 nouveaux abonnés, soit un doublement du portefeuille existant lorsque l’américain AES Corporation avait repris 56 % de l’entreprise, en 2001.

Reste que la réalité ressemble plutôt à une contre-performance. AES l’a bien compris, qui vient de vendre ses parts au fonds d’investissement britannique Actis. Quelque 600 000 clients auraient dû être raccordés depuis 2001.

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Après la cession au fonds d’investissement britannique Actis des 56 % détenus par l’américain AES Corporation, en novembre 2013, Philémon Yang, le Premier ministre, a demandé au tandem formé par Electricity Development Corporation (EDC, public) et l’Agence de régulation du secteur de l’électricité (Arsel) de réfléchir à la création d’une entreprise publique gestionnaire du réseau de transport. Celle-ci devrait démarrer ses activités le 1er juillet au plus tard.

Dans ce tableau, les multinationales n’ont plus vraiment la cote. AES a globalement échoué au Cameroun (lire p. 121). Ailleurs, l’expérience a même parfois tourné au cauchemar.

À Libreville, le français Veolia, qui détient 51 % de la Société d’énergie et d’eau du Gabon (Seeg) depuis 1997, a souvent été en conflit avec les autorités, qui l’accusent régulièrement de manquer à ses obligations d’investissement pour l’entretien du réseau et l’ont à plusieurs reprises menacé de mettre un terme à sa concession.

À Lomé, GDF Suez a plié bagage en 2005, cinq ans après avoir racheté Togo Électricité à l’État : l’affaire s’est réglée au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi).

Alchimie

D’après un économiste d’une institution internationale, « malgré certains succès, comme en Côte d’Ivoire ou en Ouganda, les premières tentatives de privatisation du secteur en Afrique subsaharienne ont aussi échoué parce qu’elles concernaient l’activité de distribution, plus complexe à gérer ».

L’accès à l’électricité étant un sujet socialement sensible, certains États refusent de la faire payer à son véritable coût. Mais la politique de subventions étant souvent défaillante et mal ciblée, la viabilité du secteur est régulièrement mise en jeu.

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Ces derniers temps, les conditions se seraient toutefois améliorées. « De plus en plus d’États prennent des engagements qui incitent à l’investissement dans le secteur de l’électricité et s’efforcent de les respecter », constate Vincent Le Guennou, codirecteur du capital-investisseur Emerging Capital Partners, actionnaire majoritaire de la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) et de la Compagnie ivoirienne de production d’électricité (Ciprel).

Les institutions financières de développement, quant à elles, apportent systématiquement leur appui aux grands projets. L’IFC assure ainsi avoir injecté près de 2 milliards de dollars dans le secteur entre 2012 et 2013.

Les investisseurs sont là, les financements aussi : c’est de la délicate alchimie entre États, producteurs, distributeurs et clients que naîtra un début de solution.

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