Guinée : le retour des cadres de la diaspora
Les cadres expatriés sont généralement peu enclins à revenir travailler Guinée. Pourtant, certains sautent le pas. Petit aperçu.
« Ne jamais abandonner ce qu’on a en main pour ce qu’on espère avoir », dit le proverbe guinéen. Un adage que nombre de cadres de la diaspora, estimée à 2 millions de personnes, semblent suivre. Contrairement à certains de ses voisins ouest-africains comme la Côte d’Ivoire, le Ghana ou le Sénégal, la Guinée a du mal à convaincre ses ressortissants les plus diplômés de rentrer. Si quelques grands groupes privés internationaux, notamment miniers, parviennent à les attirer avec de très bons salaires, c’est une tout autre histoire dans le public. Quant à revenir pour créer sa propre entreprise, c’est encore plus rare.
Principaux freins : le niveau des rémunérations, le risque d’instabilité politique et la crainte d’une trop grande différence de style au travail
Pourtant, les choses bougent. Ainsi, Ibrahima Khalil Kaba, 40 ans, ministre-chef de cabinet civil à la présidence de la République (que l’on dit proche d’Alpha Mohamed Condé, fils unique du chef de l’État), travaille depuis plus d’un an sur la question. « La problématique des ressources humaines est fondamentale en Guinée. Notamment dans le secteur public, où il y a toujours une part de sacrifices à faire accepter aux candidats potentiels, surtout sur le plan salarial », précise-t-il.
Outre le faible niveau des rémunérations, les principaux freins évoqués sont le risque d’instabilité politique ainsi que la crainte d’une trop grande différence de mentalité au travail. « C’est pourtant la solution idéale pour les Guinéens de l’étranger qui veulent se sentir utiles et participer au redressement du pays », souligne Ibrahima Khalil Kaba.
Ancien professeur de mathématiques à l’Embry-Riddle Aeronautical University de Floride, aux États-Unis, où il a vécu près de vingt ans, Ibrahima Khalil Kaba est lui-même rentré en Guinée en 2012. Actuellement, il travaille sur le « Transfert des connaissances par l’intermédiaire des expatriés » (Tokten), un projet du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) qui devrait débuter fin février, ainsi que sur le plan pilote de l’ »Appui au changement », financé par l’Africa Governance Initiative (AGI), l’ONG de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair. Lancé depuis près d’un an, ce programme incite les Guinéens rentrés depuis peu pour travailler dans le secteur privé à intégrer l’administration. À ce jour, seuls quatre d’entre eux en ont profité pour sauter le pas.
Alhassane Bah
Fondateur et directeur associé de Fiduxis, 37 ans
Il a toujours su qu’il reviendrait. Né en Guinée, Alhassane Bah a grandi entre son pays et le Sénégal, avant de poursuivre ses études en France. Membre de l’ordre des experts-comptables de Paris et, depuis 2011, de celui de Guinée, il a fait ses armes dans plusieurs cabinets parisiens, avant d’intégrer Aplitec Audit Associés, puis le fonds d’investissement XAnge Private Equity (filiale de La Banque postale), où il est resté trois ans, jusqu’en 2011, lorsqu’il a décidé de rentrer au pays. « Je voulais me rendre utile, raconte Alhassane Bah. Et je savais aussi qu’il y aurait de bonnes opportunités. »
En effet, la Guinée ne compte que 40 experts-comptables pour près de 12 millions d’habitants, soit 3 experts environ pour 1 million d’habitants (la France en compte 300 par million). À son retour, Alhassane Bah travaille d’abord quelques mois pour Grant Thornton Guinée, avant d’ouvrir son propre cabinet, Fiduxis, spécialisé en audit, accompagnement comptable et conseil en organisation. « Il a fallu se réadapter, comprendre les relations d’affaires et composer avec les lenteurs de l’administration locale, se souvient le jeune patron.
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Mais malgré une économie plutôt morose, notamment à cause du ralentissement du secteur minier, les deux premières années d’activité, 2012 et 2013, ont été correctes. » De quoi rendre l’entrepreneur encore plus confiant pour les prochaines années. Fiduxis emploie une dizaine de collaborateurs, tous en CDI et, même si la majorité de ses clients sont des filiales d’entreprises européennes – le cabinet dispose d’ailleurs d’une antenne à Paris -, Alhassane Bah tient à recruter de jeunes Guinéens formés dans le pays.
Thierno Diallo
Fondateur et associé-gérant d’AddValis, 36 ans
« C’est un pari un peu fou, mais le jeu en vaut la chandelle », assure Thierno Diallo. Consultant en systèmes d’information, le Franco-Guinéen a quitté son très confortable emploi parisien pour s’installer à Conakry et y monter, en décembre dernier, son entreprise.
Diplômé en sciences de gestion à la Sorbonne et formé au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), Thierno Diallo a enchaîné pendant treize ans les postes à responsabilités chez Thales Services, puis au sein de Micropole et d’Aneo, sociétés de conseil en intelligence économique installées à Paris. « J’avais envie de me mettre à mon compte et, tout comme les entreprises françaises et européennes qui se tournent vers l’Afrique et ses très enviables taux de croissance, le choix du continent – et de la Guinée dans mon cas – a été une évidence », analyse-t-il.
Thierno Diallo a créé AddValis, une agence de conseil spécialisée dans les systèmes d’information et les solutions organisationnelles. Les démarches administratives ont été simples et rapides. « En quelques heures à peine, mon cabinet était créé. »
Depuis le lancement, fin 2011, de l’Agence pour la promotion des investissements privés (Apip) et de son guichet unique centralisant les formalités, les conditions de création d’entreprises se sont considérablement améliorées en Guinée – le pays a gagné 14 places en un an dans le classement relatif à ce domaine dans le « Doing Business 2014 » de la Banque mondiale. AddValis maintenant sur pied, Thierno Diallo prospecte, recrute et se montre plutôt optimiste. « Avec la fin de la transition et l’installation de l’Assemblée nationale, on espère une reprise de l’activité économique. La diaspora guinéenne a énormément de choses à apporter. Elle mérite qu’on lui tende un peu plus souvent la main. »
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