Aux origines de l’Afghanistan

Ces figurines en marbre ont été achetées chez des antiquaires de Kaboul et de Herat. Seraient-elles l’oeuvre d’un faussaire moderne ? Peu probable.

Publié le 10 juin 2003 Lecture : 2 minutes.

Les petites statuettes en marbre reproduites ci-contre n’ont pas été trouvées au cours de fouilles archéologiques. Elles ont été achetées chez des antiquaires de Kaboul et de Herat, qui ne savaient rien de leurs origines et encore moins de leurs créateurs.
Il est fort peu probable qu’elles aient été taillées dans l’atelier d’un sculpteur contemporain. Ce métier était devenu trop dangereux dans l’Afghanistan des talibans. Pourtant, l’esprit entrepreneur des Afghans ne permet pas de rejeter complètement cette possibilité. L’art de tailler les pierres est connu dans ce pays montagneux depuis des temps immémoriaux. Malgré tous les interdits, il aurait pu renaître dans un centre artisanal en réponse à la demande touristique.
Pour l’instant, le style des figurines est la source unique d’information sur leurs origines. Du point de vue ethnique, l’Afghanistan constitue une zone de brassage de peuples turcs, mongols et indo-européens. La majorité d’entre eux sont liés à la branche iranienne de la famille linguistique indo-européenne. En regardant la forme des visages, l’ovale parfait des yeux, les nez aquilins, on peut supposer que les sculpteurs appartenaient au groupe iranien des proto-Afghans.
Comment dater ces oeuvres ? De toute façon avant l’arrivée de l’islam. Peut-être même ont-elles été créées avant la naissance du style gréco-bactrien (du nom de Bactres, la ville d’Alexandre le Grand), car elles ont l’air vraiment très archaïques. Surtout la statuette de l’homme debout. Avec sa posture figée évoquant la mort, avec ses disproportions qui devraient rendre son corps laid, même monstrueux, mais au contraire donnent l’impression d’une beauté étrange, d’une force intérieure mystérieuse, elle rappelle quelque peu certaines pièces africaines ou mélanésiennes. L’esprit qui anime ce morceau de marbre est résolument païen. Le contraste entre la précision réaliste des détails et l’image fantastique de l’objet est frappant.
Pour donner à la statuette un air ancien, l’antiquaire l’avait baignée dans le gasoil. Lorsque la couche noire a été enlevée, on a pu constater avec quelle patience l’artisan a travaillé et poli la pierre dure et fragile.
Par son style, cette figurine semble s’apparenter aux têtes de marbre de l’homme et de la femme (voir ci-dessus). Les visages sont défigurés par l’empreinte de la mort. Ces statuettes rappellent les têtes mortuaires en argile que les Agnis de la région frontalière entre le Ghana et la Côte d’Ivoire sculptaient pour représenter des ancêtres vénérés. On peut imaginer qu’une coutume similaire existait chez les ancêtres des Afghans contemporains.
La figure la plus énigmatique est celle de l’animal qui ressemble étrangement à un dinosaure. Son corps massif et trapu est couvert d’écailles. Il est posé sur des pattes courtes, mais puissantes. Paradoxalement, sa tête énorme a l’air d’appartenir à un être humain. Elle est coupée en deux par un sourire méchant qui dévoile des dents humaines à moitié gâtées. Les yeux globuleux jettent un regard inquiétant vers l’avant.
Quelle mythologie pouvait inspirer cette image ? Il est impossible pour l’instant de répondre à une telle question. Même si le doute est toujours possible, ces objets ne proviennent certainement pas du travail talentueux d’un faussaire moderne, mais constituent les modestes restes d’une culture très ancienne. Et disparue dans le gouffre de l’Histoire.

* Vladimir Iordansky est journaliste et historien.

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