Tempête onusienne

Relayée par Kofi Annan, la Suisse propose de remplacer la Commission des droits de l’homme – devenue au fil des années un « repaire de pays violateurs » – par un Conseil permanent.

Publié le 9 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

La 61e session annuelle de Commission des droits de l’homme (CDH) des Nations unies s’est achevée, le 22 avril à Genève, par le vote d’une résolution dénonçant les violations des droits humains perpétrées au Darfour par les forces gouvernementales. Pourtant membre de ladite commission, le Soudan est donc l’un des rares pays (avec la Biélorussie, la Birmanie, la Corée du Nord, Cuba, Israël et le Népal) à avoir été épinglé cette année par la CDH. Mais d’autres, comme la Russie, la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite ou les États-Unis, ont échappé à toute condamnation alors que leur comportement en la matière n’a certes pas été irréprochable. On se demande bien en vertu de quelle logique ?
Composée de cinquante-trois États élus par le Conseil économique et social de l’ONU, la CDH se réunit en session ordinaire chaque année pendant six semaines. Elle a tenu sa première session en 1946, sous la présidence de l’Américaine Eleanor Roosevelt. Elle était, à l’époque, auréolée d’un immense prestige : c’était le « Parlement international des droits humains ». On lui doit notamment la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui sera adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 10 décembre 1948.
Mais l’organisation est aujourd’hui en crise. À force d’être instrumentalisée, elle est en effet devenue un « repaire de pays violateurs ». L’admission en son sein n’étant soumise à aucun critère, beaucoup de pays notoirement peu soucieux des droits de l’homme réussissent à s’y faire élire, généralement par le biais d’alliances régionales, ce qui leur permet de torpiller la plupart des projets de résolution les concernant. Cette année, l’Arabie saoudite, la Chine, Cuba, le Népal, le Soudan, le Togo et le Zimbabwe sont membres de la CDH. Le comble a été atteint quand, en 2003, sa présidence est échue à Najat al-Hajjaji, la représentante de la Jamahiriya libyenne. Métamorphosée en une « chambre internationale de l’impunité », la CDH est aujourd’hui très largement discréditée. D’autant que ses résolutions, contrairement à celles du Conseil de sécurité, n’ont aucun caractère contraignant. Autant dire qu’elles restent le plus souvent lettre morte.
Bref, la CDH semble condamnée à disparaître, au moins sous sa forme actuelle. Emboîtant le pas aux ONG, la Suisse appelle ainsi à une réforme en profondeur de l’institution. Le 14 mars, Micheline Calmy-Rey, le chef de sa diplomatie, a ouvert les travaux de la 61e session en proposant la création d’un Conseil des droits de l’homme qui siégerait en permanence et serait placé sur un pied d’égalité avec le Conseil de sécurité. Cette solution permettrait de « traiter les droits humains à un niveau institutionnel correspondant à leur importance politique dans le monde d’aujourd’hui ».
Le projet de réforme globale des Nations unies rendu public le 20 mars par Kofi Annan va dans le même sens et préconise lui aussi la transformation de la CDH en un Conseil des droits de l’homme. La nouvelle instance serait composée de dix-neuf membres élus à la majorité des deux tiers par l’Assemblée générale, sur la base de critères très stricts en termes de respect des droits fondamentaux. Venu à Genève, le 7 avril, pour présenter son projet, le secrétaire général a estimé – avec un franc-parler assez inhabituel – que le déficit de crédibilité de la commission « nuit à l’ensemble de l’édifice onusien et risque, à terme, d’en saper les fondements ». Ses propos ont été bruyamment applaudis par le représentant des États-Unis, le sénateur Rudy Boschwitz. Exaspérée par l’élection de la Libye à la présidence de la CDH, l’administration Bush ne fait pas mystère de sa volonté d’en finir avec ce « club de pyromanes ».
Même s’ils ne se privent pas de critiquer mezza voce les dérives du système, les Européens adoptent une stratégie plus prudente. Souhaitant conserver de bonnes relations avec la Russie et la Chine, mais aussi poursuivre le « dialogue critique » engagé avec Téhéran, ils se sont abstenus de présenter la moindre résolution concernant ces pays. « Ce sont des batailles perdues d’avance, explique un diplomate, les résolutions n’ont aucune chance d’aboutir. En revanche, après de laborieuses négociations avec le groupe africain, nous avons réussi à faire passer un texte sur le Darfour. » L’Europe est également assez en retrait sur la question de la réforme de la CDH.
Les pays du Sud n’ont pas encore arrêté de position, du moins officiellement, mais tous redoutent de faire les frais de l’opération. Du Conseil des droits de l’homme préconisé par Kofi Annan au droit d’ingérence humanitaire cher à Bernard Kouchner, il n’y a qu’un pas… qui risque d’être allègrement franchi. « Il est évident que la CDH ne peut plus continuer à fonctionner comme elle l’a fait ces derniers temps, concède un ambassadeur maghrébin en Suisse. Il y a eu des moments de total égarement, mais gardons-nous de jeter le bébé avec l’eau du bain. Remplacer la CDH par un Conseil de sécurité bis spécialement chargé des droits de l’homme ? Pourquoi pas, mais sur quelle base ses membres seraient-ils désignés ? Et par qui ? Il y a fort à parier que ce Conseil ne serait, pour l’essentiel, qu’un club occidental, un directoire de pays riches et de grandes puissances dont les décisions s’imposeraient à tous les autres. Ce serait une perversion complète du système onusien, qui repose sur les notions d’universalité et d’égalité entre les États. »
L’administration Bush est manifestement tentée de liquider ce qui reste de l’esprit de la Charte de l’ONU de 1945 et du multilatéralisme. « Ces gens-là veulent des institutions qui leur obéissent au doigt et à l’oeil, s’indigne notre interlocuteur. Quand une résistance se manifeste, ils se vengent. C’est ce qui est en train d’arriver à la CDH. Et comme Kofi Annan est aujourd’hui très affaibli, il est contraint de devancer leurs désirs. Les Suisses, eux, ont pris les devants, car ils redoutent que la réforme se fasse sur le dos du canton de Genève et que le nouveau Conseil parte s’installer à New York. »

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