Salah Eddine Mezouar: « Comment parer à la menace des produits chinois »

Le ministre de l’Industrie et du Commerce analyse les forces et les faiblesses du royaume face aux défis de la mondialisation. Interview.

Publié le 9 mai 2005 Lecture : 6 minutes.

Salah Eddine Mezouar (51 ans), le ministre marocain de l’Industrie, du Commerce et de la Mise à niveau de l’économie, fait bouger les choses depuis sa nomination au gouvernement il y a dix mois. Titulaire d’un DEA de sciences économiques de l’université de Grenoble et diplômé en management, il s’est forgé une expérience professionnelle à la fois dans le secteur public et dans le privé. Il a notamment travaillé à Tunis pendant deux ans au sein du groupe franco-tunisien ETM, avant de rejoindre pour quatre ans l’Office d’exploitation des ports (Odep) à Casablanca. Salah Eddine Mezouar intègre ensuite la filiale textile de la multinationale espagnole Tavex et y est promu directeur général pour la zone Afrique du Nord/Moyen-Orient (Mena). Il a également été président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (Amith).

Jeune Afrique/l’intelligent : Vous avez demandé une étude au cabinet Mc Kinsey pour identifier le potentiel du Maroc. Quelles recommandations contenait cette étude, remise au mois de mars dernier ?
Salah Eddine Mezouar : Le Maroc s’ouvre à la mondialisation alors qu’il a longtemps fonctionné dans une logique protectionniste, avec un tissu industriel essentiellement composé de PME familiales. Nous avons identifié nos forces et nos faiblesses, les secteurs qui permettent de devenir un acteur régional ou mondial, et les moyens de mettre en oeuvre une politique industrielle volontariste. La tendance mondiale va vers un recentrage sur les coeurs de métier, pour développer un avantage concurrentiel sur un créneau spécifique. Le Maroc ne peut rester en marge de ce mouvement. Nous devons donc aller vers plus de spécialisation. Concrètement, cela signifie que le développement et la modernisation de notre tissu industriel passent par la capacité à agir sur la taille des acteurs. Les PME ne peuvent exporter que vers les pays proches, l’Espagne ou la France. Nous les poussons à grandir, soit à travers des regroupements (consortiums), soit à travers des fusions, partenariats ou autres. Deux secteurs phares vont tirer la croissance : l’agroalimentaire – les produits de la terre et de la mer – et le textile. Le secteur industriel représente 18 % du PIB, 8 % des emplois et 52 % des exportations du pays.
J.A.I. : Comment évolue le textile marocain depuis le démantèlement, en janvier 2005, des accords multifibre ?
S.E.M. : Il y a eu une redéfinition de la stratégie qui repose sur une modernisation accélérée, une amélioration de la productivité et une évolution vers la co-traitance et le produit fini. Sans action volontariste, tant au niveau des opérateurs qu’au niveau de l’État, le secteur risque de perdre 30 % de ses emplois et 20 % de ses exportations en cinq ans. En revanche, si nous parvenons à mettre en place la stratégie qui a été définie, non seulement ce secteur conservera ses emplois, mais il pourra en créer entre 70 000 et 100 000 sur les cinq à huit ans qui suivent le démantèlement. La nouvelle donne est porteuse certes de menaces, mais elle regorge également d’opportunités.
J.A.I. : Le Maroc a conclu des accords de libre-échange [ALE] avec divers pays. Quelles en sont les perspectives ?
S.E.M. : L’accord Maroc/États-Unis a été signé. Il entrera en vigueur en juillet 2005. L’ALE avec la Turquie a été également signé. Nous attendons sa validation par l’Union européenne. Le dossier lui a été transmis, mais il faut compter environ six mois pour obtenir l’agrément des vingt-cinq pays. C’est un pas important dans le processus d’intégration à la zone Euromed car aucun pays, à mon sens, ne peut faire face à la concurrence asiatique, chinoise en particulier, de manière isolée. D’où notre volonté d’accélérer la construction de l’espace euroméditerranéen depuis la signature des accords de Barcelone. On constate une complémentarité entre les pays et chacun développe ses atouts ; une sorte de « division du travail » s’est instaurée entre l’espace européen et l’espace Sud.
J.A.I. : La présence chinoise au Maroc est-elle déjà visible ?
S.E.M. : Depuis deux ans, l’attrait des produits chinois est devenu extrêmement important, mais c’est le cas dans quasiment tous les pays. Les coûts relativement bas de la Chine font que les importateurs marocains sont de plus en plus intéressés par ses produits. Même en payant les droits de douane, ils demeurent relativement compétitifs par rapport aux produits d’origine européenne et aux produits locaux. La Chine est en train de gagner des parts de marché, sa progression est significative, mais pas au point de déstructurer le marché. Si on raisonne au niveau local, il n’y a pas encore péril en la demeure ; si on raisonne au niveau régional – l’espace Euromed -, la Chine enlève des parts de marché au Maroc, qui est un fournisseur traditionnel de l’Europe. Là, il y a danger effectivement. Nous veillons, pour notre part, au respect des normes de qualité, de santé et de sécurité.
J.A.I. : Le Maroc a-t-il réussi à s’intégrer dans cet espace ? Quel bilan depuis le processus de Barcelone ?
S.E.M. : Le Maroc a toujours été un acteur agissant avec conviction dans ce processus, mais celui-ci est dominé par la dimension politique, et non pas économique. Aujourd’hui, il faut inverser cette logique. Lorsque j’étais président de l’Amith [Association marocaine des industries du textile et de l’habillement], je militais pour accélérer la mise en oeuvre du processus de Barcelone au niveau économique en disant : « Fixons une date butoir, le 1er janvier 2007, pour que l’intégration économique devienne une réalité, même si tous les pays n’adhèrent pas en même temps. En 2010, il sera peut-être trop tard. » L’impact de la fin de l’accord multifibre est en train de me donner raison.
J.A.I. : Le consommateur marocain n’a pas encore atteint le degré de maturité du consommateur européen, ni son pouvoir d’achat. A-t-il les moyens de refuser l’offre chinoise ?
S.E.M. : Le consommateur devient plus exigeant, mais on peut craindre un risque de banalisation de la demande et d’uniformisation des modes de consommation à cause de la Chine, dont la stratégie consiste à se positionner d’abord sur le facteur prix. Nous voulons nous maintenir sur le moyen et haut de gamme et élever le niveau d’exigence du consommateur.
J.A.I. : Votre département a élaboré un projet de loi pour la protection du consommateur. Que prévoit cette loi et quand sera-t-elle effective ?
S.E.M. : Notre objectif est que cette loi entre en vigueur avant la fin de l’année 2005. Elle instaurera l’obligation d’informer le consommateur (informations sur la sécurité, risques liés à l’utilisation d’un produit…) et encouragera le développement des associations de défense des consommateurs et leur pouvoir. Le gouvernement s’est d’ailleurs déjà engagé dans le travail d’accompagnement,de structuration et de formation des associations.
J.A.I. : Certains secteurs tels que le textile ou les centres d’appels connaissent une évolution similaire en Tunisie et au Maroc. L’approche entre ces deux pays est-elle concurrentielle ou bien partenariale ?
S.E.M. : Jusqu’à aujourd’hui, l’approche était concurrentielle, mais nous oeuvrons de sorte que les choses changent. La concurrence n’exclut pas le partenariat. Les deux pays ont pris conscience de cette évidence. Chaque pays travaille pour développer ses atouts, et c’est de bonne guerre. Nous avons signé un accord de libre-échange – l’accord d’Agadir, qui est entré en application cette année – afin de renforcer les flux commerciaux et les investissements entre quatre pays : la Tunisie, l’Égypte, la Jordanie et le Maroc. Le Maroc prépare par ailleurs un accord avec le Mercosur – Brésil, Argentine, Bolivie (et le Chili, qui devrait le rejoindre). Nous ouvrons ainsi une fenêtre d’opportunités pour capter l’investissement international, mais également pour diversifier les flux d’exportations. Auparavant, les exportations marocaines étaient essentiellement destinées à trois ou quatre pays européens. Or cette concentration est dangereuse dans un marché qui se globalise.
J.A.I. : Quels sont vos prochains objectifs ?
S.E.M. : Nous allons agir sur la restructuration financière des entreprises, stimuler le capital-risque et accompagner les PME dans leur développement. Des programmes de formation spécifiques sont prévus. Le gouvernement a également décidé de mettre en place un plan – non pas répressif, mais incitatif – de lutte contre l’informel et d’aide à la migration vers le formel. Les TPE (très petites entreprises) doivent aller vers la sédentarisation. Trois grandes tendances se dégagent : le développement des grandes et moyennes surfaces qui sont en train de reconfigurer le paysage commercial, le développement des franchises et l’émergence des marques propres. Nous allons donc moderniser le commerce traditionnel et de proximité, qui est malmené ; en réaménageant par exemple les espaces de vente pour les rendre conformes aux normes d’hygiène et de sécurité, en créant des centrales d’achat pour que les petits épiciers puissent optimiser leurs coûts. Le programme de modernisation du commerce traditionnel sera intensifié comme celui de la sédentarisation des commerçants ambulants.

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