Science-fiction africaine : « Les auteurs francophones doivent se lancer »
Nnedi Okorafor, N.K. Jemisin, Tade Thompson… En science-fiction, fantasy et fantastique, les auteurs africains anglophones et africains-américains ont imposé leur imaginaire. Mais qu’en est-il des francophones ? Réponse avec Mame Bougouma Diene, éditeur de la revue « Omenana », qui a lancé un appel à textes.
Le magazine de science-fiction, fantasy et fantastique (SFFF) Omenana (« divinité », en igbo) a lancé un appel à nouvelles à destination des auteurs africains francophones, qu’ils aient déjà publié ou non. Son éditeur francophone, le Franco-Sénégalais-Américain Mame Bougouma Diene, dresse un premier bilan des œuvres reçues.
Jeune Afrique : Où en est votre appel à textes ?
Mame Bougouma Diene : Le dernier appel est clôturé depuis le 20 août. Nous allons publier certaines des propositions reçues dans le numéro qui doit sortir cette semaine. Nous avons récolté relativement peu de nouvelles, mais nous constatons une nette amélioration par rapport au premier appel lancé plus tôt cette année. Nous avions alors réceptionné sept textes, mais trois venaient du même auteur, et une seule femme nous avait répondu.
Cette fois-ci, nous en avons recueilli huit, chacun écrit par une personne différente. Et femmes et hommes sont représentés en proportions égales. On nous a aussi proposé des nouvelles qui ne correspondaient pas à notre demande.
Nous travaillons avec deux autrices et un auteur très motivés ! Je suis particulièrement content de travailler avec une jeune autrice franco-malienne de 17 ans qui a énormément de talents et propose des réflexions profondes sur la société africaine. Je suis impatient que vous la lisiez également !
Les réponses émanaient-elles plutôt de la diaspora ou du continent ?
La majorité des auteurs qui ont participé à cet appel se situe sur le continent. Les œuvres proviennent aussi bien d’Afrique subsaharienne (Congo, Guinée, Sénégal, Maurice, Mauritanie) que du Maghreb (Algérie, Maroc) ou des Caraïbes (Guadeloupe, Martinique). Les textes issus du continent lui-même sont aussi plus nombreux car la diaspora afro-caribéenne francophone n’est pas aussi importante que les diasporas anglo-hispanophone ou lusophone.
Sur votre compte Twitter, vous promettiez fin août une réponse prochaine, cela représente-t-il beaucoup de travail ?
Chose promise chose due, les réponses ont commencé à circuler à partir du 5 septembre, en commençant par les histoires rejetées. Et même quand nous rejetons une proposition, nous essayons d’inclure dans notre réponse un avis utile sur les raisons de notre refus, notre but étant d’encourager les auteurs avant tout et d’aider la scène littéraire à progresser.
Toutes les plumes sans exception sont « prometteuses ». Elles écrivent bien et ont de bonnes idées
Délibérer sur celles que nous retenons prend plus de temps, et le processus éditorial est bien entendu plus poussé. Nous sommes six à revoir ce qu’on nous a soumis. Woppa Diallo, mon épouse, qui est juriste en droits humains et militante feministe, Ketty D. Steward, autrice et psychologue martiniquaise, Alain Ducharme, enseignant et directeur littéraire du magazine canadien La République du Centaure, Youssef et Anne Rachedi, qui travaillent dans le cinéma en Algérie, et moi-même. Pour le reste, j’en ai parlé dans l’éditorial du dernier Omenana.
Avez-vous d’ores et déjà remarqué des noms en particulier, des plumes prometteuses ?
Oui, mis à part celles que vous pouvez lire dans le magazine, je désirais voir ce qui se tramait au niveau des textes rejetés, qui sont par nature beaucoup plus nombreux. Toutes les plumes sans exception sont « prometteuses ». Les gens qui se sont manifestés écrivent bien et ont de bonnes idées. Le problème qui se pose est celui de toutes les scènes artistiques en développement. D’un côté, il y a ceux qui ont un talent naturel et de l’expérience. Ils se démarquent d’entrée de jeu : leurs œuvres sont formatées correctement, l’écriture est clairement travaillée et le texte en lui-même est bien une nouvelle à proprement parler.
Les propositions recalées, de l’autre côté, ne le sont pas parce que l’écriture est mauvaise, mais parce que leur auteur n’a jamais été publié et n’a jamais collaboré avec des éditeurs. Les histoires manquent de consistance malgré de très bonnes idées. C’était vrai aussi pour Omenana en anglais au départ. Il y a en réalité plus de personnes en mesure de soumettre des textes, il faut juste le temps que le mot circule et qu’elles voient que nous proposons des histoires de qualité. Cela les encouragera à se lancer et aidera celles qui le font mais manquent encore d’expérience à progresser.
D’un point de vue plus large, on connaît peu d’auteurs africains francophones de SFFF. Quels écrivains recommanderiez-vous ?
Là est le problème ! Nous-mêmes en connaissons peu, d’où cette initiative qui s’inscrit dans un cadre plus large et en est seulement à ses débuts.
Je recommande notamment le jeune auteur sénégalais et étudiant en médecine Moustapha Mbacke Diop, que nous avons publié avec Le Pacte du fleuve dans l’édition précédente. Le numéro à paraître contient pour sa part une histoire de l’auteur algérien Rachid Ouadah et un texte de Michael Roch, qui nous vient des Caraïbes. Mais je n’en dis pas plus, vous découvrirez de nouvelles plumes dans notre nouvel opus.
Hormis bien sûr les auteurs que nous publions, je mentionnerai aussi le Guinéen Hamidou Bah, la Sénégalaise Amélie Diack et l’Ivoirien Yann-Cédric A. Aolio. Tous trois sont romanciers et n’écrivent pas de forme courte, à ma connaissance. J’espère qu’Omenana et, à terme, Dunya Magazine, permettront d’en faire sortir d’autres du bois.
Avez-vous déjà été publié en français ?
J’écris 99 % du temps en anglais. J’ai été publié dans la revue française Galaxies il y a deux ou trois ans, pour « Le Migrant volant », une comédie sur l’immigration récente en France – j’ai travaillé au sein de l’Organisation internationale pour les migrations pendant un moment. Et, il y a bien des années, Gaal Gui est paru chez Édilivres. Je collabore par ailleurs avec Alain Ducharme sur une histoire pour La République du Centaure.
J’ai deux ou trois petites choses en chantier, mais j’ai tendance à ne pas me concentrer sur le français. L’anglais est ma langue natale et la scène francophone n’est pas la plus attractive, peu de magazines ou anthologies rémunèrent les auteurs, les textes ont très peu de visibilité, etc. J’édite Omenana, je ne vais donc pas y soumettre mes créations non plus. Comme dit Amonbophis dans Mission Cléopâtre : « Pas de palais… pas de palais ! »
Sans une scène littéraire abordable il n’y aura que très peu d’auteurs. Mais, malgré ses défauts, il existe une scène francophone, un circuit, même s’il est restreint. En Afrique, aucun. On espère pouvoir y remédier un tant soit peu.
Comment voyez-vous l’avenir des littératures de l’imaginaire africaines ?
Je suis confiant. Le talent est là, mais on va toujours plus loin en travaillant son art qu’en misant sur le premier seulement. Espérons que les auteurs qui nous ont envoyé leurs histoires continueront à écrire, à cultiver leur style, à développer leur imaginaire et, par là même, le nôtre.
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