Guinée : pourquoi les militaires doivent retenir les groupes miniers

Le nouveau régime à Conakry doit préserver la production de bauxite – dont le pays possède d’immenses réserves. Mais le rapport de force n’est pas aussi équilibré qu’on l’imagine.

Travailleur du consortium franco-sino-singapourien SMB, dans le port minéralier de Katougouma, près de Boké,en Guinée, en janvier 2019 . © Youri Lenquette pour JA

Travailleur du consortium franco-sino-singapourien SMB, dans le port minéralier de Katougouma, près de Boké,en Guinée, en janvier 2019 . © Youri Lenquette pour JA

David Whitehouse © The Africa Report

Publié le 9 septembre 2021 Lecture : 3 minutes.

La Guinée fournit environ un quart de la bauxite mondiale, utilisée dans la fabrication de l’aluminium. Elle dispose également d’importantes réserves inexploitées de minerai de fer dans la chaîne de Simandou, dans le sud-est du pays. De fait, le coup de force qui a eu lieu le 5 septembre, portant au pouvoir le colonel Mamady Doumdouya, inquiète producteurs et acheteurs.

Pour autant, la junte militaire a tenté de rassurer les mineurs en annonçant être « très désireuse de consolider les relations avec ce qui constitue des contributeurs très importants aux revenus fiscaux et aux recettes étrangères en Guinée », explique Simon Hudson-Peacock, analyste des investissements miniers chez S2 Research au Cap. « Il est possible que le régime fiscal soit révisé, mais l’expropriation est peu probable », poursuit-il.

Cette Guinée que les opérateurs considéraient autrefois comme un environnement opérationnel statique et stable a vécu

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Ainsi, la junte militaire a maintenu les portes ouverts aux exportations, levé le couvre-feu dans les zones minières et exhorté les mineurs à poursuivre leurs activités. Enfin, cette dernière a promis la poursuite des contrats signés sous l’administration Condé. « Il n’y a aucune raison de penser que les contrats sont sur le point d’être rompus », affirme Indigo Ellis, directrice associée d’Africa Matters à Londres.

Pénurie de nouveaux capitaux ?

Pour autant, de nombreuses interrogations subsistent. « Cette Guinée que les opérateurs considéraient autrefois comme un environnement opérationnel statique et stable – avec un leadership relativement prévisible malgré une mauvaise gouvernance – a vécu », déplore pour sa part l’analyste Indigo Ellis.

Au demeurant, le financement de projets dans le pays sera plus difficile à court terme car le profil de risque-pays est très élevé, complète Simon Hudson-Peacock. En dehors du secteur minier, le pays dispose de peu de sources de devises étrangères. « Les nouveaux dirigeants manqueraient de perspicacité s’ils n’adoptaient pas une approche financièrement pragmatique de la « poule aux œufs d’or », a expliqué l’analyste.

Les détenteurs de licences réfléchiront « deux fois plus » avant d’engager de nouveaux capitaux dans le pays

Il n’en reste pas moins que les accords négociés par les groupes miniers en Guinée sont désormais soumis au bon vouloir d’un nouvel exécutif autoproclamé. Les détenteurs actuels de concessions sont « certainement nerveux à l’idée de perdre leurs droits », estime François Conradie, économiste politique principal chez NKC African Economics, en Afrique du Sud.

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Ce dernier ajoute que tout accord conclu avec le Comité national pour la réorientation et le développement (CNRD) de Doumbouya, considéré comme une « junte anticonstitutionnelle », sera plus vulnérable à une contestation ultérieure que les accords conclus avec le gouvernement déchu du président Alpha Condé. Pour François Conradie, les détenteurs de licences réfléchiront « deux fois plus » avant d’engager de nouveaux capitaux dans le pays, tant qu’un nouveau gouvernement constitutionnel ne sera pas mis en place. Ce qui selon cet économiste peut prendre au moins un an.

Le plus inquiétant pour l’industrie minière est le remplacement des gouverneurs provinciaux par des officiers militaires, juge la directrice associée d’Africa Matters. Elle s’attend à une augmentation de la recherche de rentes à bas niveau de la part des responsables militaires, probablement en utilisant des barrages routiers autour des zones d’exploitation de la bauxite.

Si les pays choisissent d’éviter la Guinée, il y aura beaucoup d’autres gisements à évaluer

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Pouvoir de négociation

L’impact du coup d’État se fera sentir sur le calendrier de l’approvisionnement, ajoute Simon Hudson-Peacock. Il faut de nombreuses années entre l’exploration et la production. De fait, cela pourra avoir un impact sur l’approvisionnement à court et moyen terme. Mais, selon cet analyste, le pouvoir de négociation appartient aux groupes miniers.

La bauxite et le minerai de fer étant parmi « les minéraux les plus omniprésents sur terre. Si les pays choisissent d’éviter la Guinée, il y aura beaucoup d’autres gisements à évaluer », explique-t-il. En conclusion : la junte militaire a plus besoin des miniers que l’inverse.

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