Francophonie à la hausse

Dirigeants et hommes d’affaires en tête, le pays se lance dans l’apprentissage de la langue de Molière. C’est bon pour sa diplomatie et c’est encore mieux pour son rayonnement économique sur le continent.

Publié le 10 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

« Bon voyage ! » C’est dans la langue de Molière que Thabo Mbeki a salué ses hôtes ivoiriens à la fin du sommet qui les a réunis à Pretoria, du 3 au 6 avril. On ne connaissait pas les capacités francophones du président sud-africain, mais il s’est lui-même fait un plaisir de souligner en public qu’il comprenait de mieux en mieux le français, ce que ses interlocuteurs d’Afrique de l’Ouest ont pu aisément constater, en privé.
Le chef de l’État n’est pas le seul à s’être attelé au Bescherelle et autres précis de grammaire. Depuis un an, deux de ses proches collaborateurs s’y sont mis. Nkosazana Dlamini-Zuma, la ministre des Affaires étrangères, se rend environ tous les six mois dans l’Hexagone depuis plusieurs années pour perfectionner sa maîtrise de la langue, et elle a même prononcé un discours en français lors de sa dernière visite en Algérie au début du mois d’avril, devant des Algériens stupéfaits.
Après avoir été coupée du monde pendant plus de vingt ans, l’Afrique du Sud commence à assumer son rôle de puissance continentale et, plutôt que d’imposer l’anglais, qui est l’une de ses onze langues officielles*, comme instrument de travail, elle s’est résolue à admettre que ce qu’une campagne de publicité des Alliances françaises a habilement désigné comme « l’autre langue d’Afrique » était indispensable pour se faire accepter au nord de l’Afrique australe. Ainsi, dans la perspective de l’ouverture de nombreuses ambassades, le ministère des Affaires étrangères a contacté les dix-huit Alliances françaises d’Afrique du Sud à la fin 2004. Quatre-vingts diplomates doivent apprendre le français au cours de l’année 2005 ; entre quatre cents et six cents d’ici à trois ans – soit la moitié du personnel du ministère. La fibre francophile touche également le ministère du Tourisme, qui souhaite qu’entre deux cent cinquante et quatre cents guides accrédités parlent français dans les années à venir, ainsi que le Parlement du Cap, qui devrait lancer prochainement une action de formation en direction des députés.
De plus en plus souvent confrontés à des Francophones notamment dans leur implication dans les négociations de paix, au Burundi, aux Comores, en République démocratique du Congo (RD Congo) et plus récemment en Côte d’Ivoire, les Sud-Africains ne veulent plus être en reste, et se doivent de comprendre les apartés de leurs partenaires.
Pour autant, la demande de cours de français se fait encore plus pressante de la part du secteur privé. « En plus de la clientèle traditionnelle que représentent les entreprises françaises implantées dans le pays, les sociétés sud-africaines font de plus en plus appel à nos professeurs », explique Christophe Le Du, directeur de l’Alliance française de Johannesburg. Pick and Pay, le réseau de supermarchés, Nandos, la chaîne de restauration rapide, les grands magasins Woolworth, MTN, le géant de la téléphonie, mais aussi la société d’assurances Momentum font partie de ces nouveaux venus. Ce n’est plus un secret pour personne, après avoir franchi leurs propres frontières régionales, les géants sud-africains s’attaquent dorénavant aux marchés attirants que représentent l’Afrique de l’Ouest, via le Nigeria ou la RD Congo. Là-bas, les investissements sud-africains sont désormais les plus importants. L’enjeu du marché continental est tel que les banques et les grandes entreprises ont formé des think-tanks depuis environ deux ans, qui fournissent des informations et des analyses au président de la République sur les pays africains francophones et soutiennent ardemment la médiation de Mbeki engagée, par exemple, en Côte d’Ivoire (il est d’ailleurs à la mode de désigner le pays d’Houphouët en français et de ne pas parler d’Ivory Coast).
« Les multinationales installées à Johannesburg s’intéressent aussi à nos cours », ajoute Christophe Le Du. En ce moment, l’Alliance forme deux groupes de quatre-vingts employés de Coca-Cola et d’autres de Sony, compagnies qui concentrent dorénavant leurs bureaux africains à Johannesburg.
Le chiffre d’affaires du réseau des Alliances, principal pourvoyeur de cours de français en Afrique du Sud, a ainsi été multiplié par quatre entre 2003 et 2004, et il faut recruter des enseignants à tour de bras. Une aubaine qui bénéficie aussi aux Africains francophones présents au pays de Mandela : sur les 70 professeurs engagés, on en compte une vingtaine. C’est également la présence importante d’immigrés (on estime à plus de 110 000 les francophones du continent qui vivent en Afrique du Sud) qui favorise l’attrait pour l’« autre langue d’Afrique », pratiquée notamment dans les églises congolaises des townships et chantée par les musiciens.
Surfant sur cette vague, la chaîne de télévision sud-africaine SABC Africa, diffusée sur le réseau câblé DSTV (présent sur tout le continent), a décidé de lancer très prochainement des programmes en français, « afin de devenir une réelle chaîne panafricaine ». Elle y consacrera quelques heures par jour pour commencer.
Car, si la tendance est manifeste, elle reste modeste. On considère qu’environ 30 000 Sud-Africains parlent ou apprennent le français à l’école ou sur leur lieu de travail, sur 48 millions d’habitants. Seuls 2 700 étudiants à l’université suivaient des cours de français en 2004. Le ministère de l’Éducation n’a pas dégagé de moyens supplémentaires pour maintenir les cours déjà présents dans les écoles ou en développer de nouveaux.
Dans les kiosques ou les librairies, il est encore rare de trouver des publications en français. Au cinéma, certains films à succès (récemment, Un long dimanche de fiançailles ou Les Triplettes de Belleville) trouvent leur public, mais on est loin de l’engouement suscité par les superproductions américaines.
Et, pour remercier ses interlocuteurs francophones et les gratifier de quelques mots dans la langue de Molière, l’un des collaborateurs de Thabo Mbeki dit encore : « Bon appétit ! » Allez, juste un petit effort !

* Afrikaans, anglais, ndebele, xhosa, zoulu, sepedi, sesetho, setswana, siswati, tshivenda, xitsonga.

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