Et trois ans après…

Le 6 mai 2002, Marc Ravalomanana devenait officiellement président de la République. Aujourd’hui, son autorité demeure incontestée. Mais ses méthodes ne font pas l’unanimité, loin de là.

Publié le 9 mai 2005 Lecture : 7 minutes.

Depuis quand Marc Ravalomanana est-il président de Madagascar ? Sur ce point, les avis divergent. Faut-il prendre comme point de départ de son mandat sa victoire électorale sur le chef de l’État sortant, Didier Ratsiraka, revendiquée dès le 16 décembre 2001 ? Ou bien son autoproclamation devant la foule surchauffée d’Antananarivo, le 22 février suivant ? Ou encore son investiture le 6 mai 2002 ? Ou, enfin, le 5 juillet, date à laquelle l’Amiral décida de jeter définitivement le gant en optant pour l’exil ?
Peu importe. Au terme de six mois de crise, la Grande Île est finalement parvenue à se doter d’un chef, et c’est tout ce que l’Histoire retiendra. Après trois années passées à la tête du pays, Ravalomanana se trouve à une étape importante de son parcours politique, surtout si, comme on peut l’imaginer, l’intéressé souhaite rempiler.
Sur le plan intérieur, force est de reconnaître que ce « Berlusconi tropical » est parvenu à s’imposer sans rencontrer d’opposition majeure. Plutôt que d’organiser une grand-messe de réconciliation, il a préféré conserver la maîtrise du jeu en recourant à des méthodes plus expéditives, n’hésitant pas à multiplier les procès à sensation contre les barons du ratsirakisme. Au cours de l’année 2003, militaires et politiques liés à l’ancien régime ont donc dû répondre de leurs actes durant la crise postélectorale.
Simultanément, la nouvelle équipe dirigeante a su obtenir l’onction populaire qui, aux yeux de certains, lui manquait encore : les législatives du 15 décembre 2002 ont été remportées par la mouvance présidentielle, conférant à la nouvelle Assemblée une coloration très « ravalomaniste ». Avec les deux tiers des voix, Tiako’i Madagasikara (« J’aime Madagascar », en malgache) s’est arrogé la majorité absolue. Présentée comme un « vote de confirmation » par le Premier ministre Jacques Sylla, cette victoire a notamment permis au pouvoir de renforcer sa crédibilité face aux bailleurs de fonds et d’obtenir le déblocage d’une partie des 2,4 milliards de dollars promis par les partenaires.
Après ce raz-de-marée ravalomaniaque, l’opposition intérieure a encore du mal à reconstituer ses forces. Les dignitaires en exil ne sont pas mieux lotis. Le président sortant, Didier Ratsiraka, a été condamné le 6 août 2003 par contumace à dix ans de travaux forcés. Reconnu coupable de détournements de deniers publics pour une valeur de près de 50 milliards de francs malgaches (FMG, environ 7 millions d’euros), l’ex-président, jugé à la sauvette, a été condamné « entre deux voleurs de zébus, comme un prévenu ordinaire ». En fait, cette décision a surtout permis de le déclarer définitivement hors jeu, puisque le verdict a été assorti d’une peine d’inéligibilité. Ses lieutenants sont, pour leur part, astreints à respecter un certain devoir de réserve. À commencer par le premier d’entre eux, Pierrot Rajaonarivelo. Candidat officiel de l’Arema (Action pour la renaissance de Madagascar) à la présidentielle de 2007, l’ex-vice-Premier ministre, condamné par contumace et résidant en France, tente de fédérer l’opposition en exil autour de sa personne. Mais il vient de faire l’objet d’un sévère rappel à l’ordre de la part du Quai d’Orsay. Lors d’un récent passage à Tana, le secrétaire d’État français aux Affaires étrangères, Renaud Muselier, a déclaré que « le territoire français n’était pas une base arrière pour mener des offensives politiques ». Une manière de se laver, une fois de plus, des éventuels soupçons de sympathie qui pèsent toujours sur la France de Chirac à l’égard de l’Amiral et de ses proches.
Après avoir accueilli son homologue malgache lors du Sommet Afrique-France de février 2003, puis après l’avoir reçu en visite officielle à Paris au mois d’avril suivant, Jacques Chirac a profité d’un séjour à la Réunion pour faire étape à Antananarivo le 27 juillet 2004 avant de regagner la France. Il est de nouveau attendu sur la Grande Île le 22 juillet prochain, à l’occasion du Sommet de la Commission de l’océan Indien (COI).
Si Chirac et Ravalomanana ne se quittent plus, les relations avec les États-Unis sont aussi au beau fixe. Ainsi, le 14 mars, Madagascar a été désigné comme le premier pays bénéficiaire du Compte du millénaire. Ce programme d’aide américain, mis en oeuvre par l’administration Bush pour récompenser les pays en développement qui ont entrepris des réformes politiques et économiques significatives, se traduit par l’attribution d’une aide de 110 millions de dollars sur quatre ans à la Grande Île. Et, dans la foulée, les États-Unis ont effacé l’intégralité de la dette malgache, estimée à plus de 37 millions de dollars. Ce geste intervient alors que le pays a été déclaré bénéficiaire de l’initiative de la réduction de dette en faveur des PPTE.
Parallèlement à l’assainissement des finances publiques, le gouvernement poursuit sa politique de réformes structurelles, avec l’accélération du processus de privatisations. Le chemin de fer Tana-Toamasina a été mis en concession au profit de la société Madarail, appartenant au groupe Bolloré, au 1er janvier 2004. Dans le domaine agro-industriel, la gestion des unités de production sucrière de Sirama a été confiée à des opérateurs français et mauriciens. En septembre 2004, la compagnie cotonnière Hasyma a été reprise par son actionnaire majoritaire, le groupe français Dagris. En février 2005, la gestion de la Jirama, le distributeur public d’eau et d’électricité, a été confiée à l’opérateur allemand Lahmeyer pour deux ans. Celui-ci a pour mission d’améliorer la gestion de la compagnie avant privatisation. Enfin, depuis septembre 2002, selon ce même schéma, le destin de la compagnie nationale Air Madagascar est entre les mains de l’allemand Lufthansa Consulting pour une durée de quatre ans.
Les investissements publics ne sont pas en reste. Grâce à l’aide internationale, près de 5 000 kilomètres de route ont été réhabilités en deux ans et demi, les enfants issus des familles les plus démunies bénéficient de la gratuité de leur scolarité, et des fonds substantiels ont été attribués au secteur de la santé. Les investissements publics dans les secteurs sociaux ont dépassé le seuil de 8 % du PIB en 2004, ce qui a eu un effet d’entraînement non négligeable sur la croissance : selon le FMI, malgré une violente saison cyclonique et une forte dépréciation de la monnaie, la croissance est restée supérieure à 5 % au cours de l’année écoulée. Tout porte à croire que cette tendance se maintiendra en 2005.
Pourtant, l’édifice reste fragile. Le 1er janvier 2005, l’ariary est devenu la seule unité monétaire en vigueur à Madagascar. Équivalent à 5 FMG, il était en usage sur la Grande Île avant la colonisation française. Les anciens billets libellés en FMG ont donc été progressivement remplacés par de nouvelles coupures. Mais si la monnaie nationale a changé de nom, elle n’en a pas moins poursuivi sa chute, perdant plus de 85 % de sa valeur par rapport à l’euro au cours de l’année écoulée.
Cette situation est d’ailleurs imputée par certains à la Banque centrale, accusée d’être restée passive alors que de fortes turbulences monétaires se faisaient sentir dès la fin de 2003. Celles-ci ont été entretenues par des mouvements spéculatifs tout au long de l’année écoulée. L’inflation galopante rend la vie de la population très difficile. Les prix de l’essence à la pompe ont flambé, et cette hausse s’est répercutée massivement sur les produits de consommation courante, notamment les aliments de base comme le riz. Conséquence : le pouvoir d’achat des Malgaches s’est considérablement érodé. Sous l’effet de la dépréciation du taux de change, le revenu par habitant aurait chuté à 268 dollars en 2004, contre 338 dollars l’année précédente.
Mais si l’année écoulée s’est soldée par un taux d’inflation de 14 %, les indicateurs pour 2005 semblent plus prometteurs. En ce qui concerne la croissance, les prévisions du gouvernement et celles du FMI sont sensiblement similaires : le premier table sur un taux soutenu d’au moins 7 %, et le second sur 6,4 %. Il est vrai que Ravalomanana bénéficie de la confiance des bailleurs de fonds et peut compter sur une économie relativement diversifiée. L’essentiel des recettes du pays provient de l’agriculture, du tourisme, des mines et du textile. Cependant, la fin des quotas de textile survenue avec le démantèlement de l’accord multifibre (AMF), le 1er janvier 2005, est un sujet de préoccupation. Difficile de dire si les industries implantées dans la zone franche industrielle de Tana pourront faire face à la concurrence asiatique.
Autre inconnue, la capacité de l’équipe gouvernementale à doper les investissements privés. Certes, le président, qui a toujours affiché ses convictions libérales, cherche à favoriser les entrepreneurs. Mais son entourage compte des personnalités plutôt rétives au changement, alors même que les investisseurs, échaudés par la crise de 2002, rechignent encore à injecter les capitaux susceptibles de créer des emplois et de stimuler la croissance.
Si l’épopée du petit laitier devenu président est devenue une véritable légende pour le petit peuple de Tana, le « tycoon du yaourt » affiche un appétit que ses détracteurs dénoncent avec de plus en plus de virulence. « Avant d’arriver au pouvoir, les affaires de Ravalomanana se limitaient à l’agroalimentaire, explique l’un d’entre eux. Depuis trois ans, le groupe Tiko, dont il est propriétaire, est devenu omnipotent. Il multiplie les prises d’intérêts et diversifie ses activités. Celles-ci vont désormais des médias au transport aérien en passant par les travaux publics. »
Certains de ses proches ont d’ailleurs commencé à prendre leurs distances. Parfois malgré eux, à l’instar du vice-Premier ministre, Zaza Ramandimbiarison, en charge des programmes économiques, qui a été limogé le 17 mars. Décrit comme impulsif et « réfractaire aux conseils de son entourage », ce self-made man volontariste bénéficie toujours de la sympathie d’une bonne part de la population, qui veut croire en sa réussite. Mais il est de plus en plus critiqué par ses alliés. Et la perspective de la présidentielle de 2007 pourrait bien susciter des appétits. Surtout si, d’ici là, le prix du riz continue de grimper.

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