Envers et contre tous ?

En recevant officiellement le ministre israélien des Affaires étrangères, le président Ould Taya a démontré qu’il entendait assumer au grand jour les relations nouées avec Tel-Aviv. N’en déplaise à ses détracteurs.

Publié le 10 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Ce fut une décision solitaire et cela demeure, très largement, une politique solitaire. En recevant, le 3 mai, à Nouakchott, le ministre israélien des Affaires étrangères Sylvan Shalom pour une visite de quelques heures, Maaouiya Ould Taya a une nouvelle fois démontré qu’il était aussi difficile de le faire changer de cap que de dévier une caravane de son but. Lorsqu’il prit la décision, en octobre 1999, d’établir des relations diplomatiques avec Israël, le président mauritanien n’avait informé, encore moins consulté, aucun de ses « frères arabes ». Cette fois, Ould Taya est allé plus loin. À l’inverse du climat de discrétion, presque de secret, qui avait entouré le court séjour de Shimon Pérès dans la capitale mauritanienne en octobre 2002, l’arrivée de Sylvan Shalom a été officiellement annoncée, trois semaines à l’avance, presque revendiquée en somme. Comme si le chef de l’État estimait le moment venu d’assumer au grand jour une relation qu’il sait encore incomprise, mais qu’il juge cohérente, utile, voire pionnière.
À l’aune de la Mauritanie, la réaction a été spectaculaire. La « cause » palestinienne étant d’autant plus mobilisatrice que les Mauritaniens sont loin du front, les activistes islamistes et nationalistes arabes, très présents en milieu scolaire et universitaire, n’ont eu aucun mal à mobiliser leurs troupes. Rassemblés au sein de l’« Initiative contre l’infiltration sioniste en Mauritanie » et du « Pacte national pour la défense de la Palestine et de l’Irak », relayés par les partis de l’opposition, des petits groupes de manifestants maures se sont efforcés, les 2 et 3 mai, de perturber la visite de l’« ennemi ». Pour les chaînes de télévision arabes, qui ont largement couvert l’événement, cela avait des allures d’Intifada – ce qui n’était évidemment pas le cas. Reste qu’une partie de la rue nouakchottoise a fait savoir bruyamment qu’elle n’adhérait toujours pas à cet aspect de la politique étrangère du pouvoir, ce qui ne surprend personne.
Personne, et Ould Taya moins que personne. Depuis toujours, en cette matière comme en d’autres, le président mauritanien cultive une démarche de gouvernance très volontariste : il prend une décision, montre le chemin et s’y engage, sans tenir compte de l’impopularité éventuelle et momentanée de sa politique. La pédagogie et l’Histoire, estime-t-il, finiront toujours par lui donner raison. À ses interlocuteurs arabes, qui ne se privent pas, en privé, de critiquer son « tropisme » israélien, Ould Taya a toujours fourni la même explication : il travaille pour la paix et la sécurité, il dialogue avec l’adversaire et il se fait un devoir de plaider en détail auprès de ses visiteurs en faveur des droits légitimes du peuple palestinien. Le président mauritanien, convaincu depuis longtemps que son pays n’a pas grand-chose à attendre de la part de ses collègues de la Ligue arabe, n’ignore pas, en outre, que la quasi-totalité de ces donneurs de leçons et de remontrances parlent en réalité avec Israël. Y compris, et non sans hypocrisie, les Libyens, pourtant les plus acharnés à le fustiger. Enfin, il va de soi que des considérations d’ordre beaucoup plus pragmatique sont entrées en jeu lorsque Ould Taya s’est engagé, il y a une dizaine d’années, sur la voie qui allait l’amener vers une normalisation de ses relations avec Tel-Aviv. Ce choix est, en effet, la conséquence d’un autre : le rapprochement avec les États-Unis, afin d’échapper au tête-à-tête exclusif – et, à l’époque, difficile – avec la France. Ce n’est évidemment pas un hasard si la signature de l’accord israélo-mauritanien d’établissement des relations diplomatiques, le 28 octobre 1999, a eu lieu à Washington et en présence de la secrétaire d’État d’alors, Madeleine Albright…
Côté israélien, le bénéfice engrangé est net. En échange d’une coopération, volontairement réduite de part et d’autre à son aspect humanitaire, Sylvan Shalom et son ambassadeur à Nouakchott, l’ancien correspondant à Paris du quotidien Yediot Aharonot, Boaz Bismuth, ont rivalisé d’éloges sur le « modèle à suivre » mauritanien et sur le « courage » d’un gouvernement qui, à la différence de certains de ses pairs, a refusé de rompre ses relations avec Israël pendant toute la période de la seconde l’Intifada. Les Israéliens, qui n’ont jamais été chiches dans leur exploitation médiatique de ce type de visite, y voient même un prélude à une percée dans le monde arabe. « Dès que nous aurons achevé notre retrait de Gaza, a estimé Shalom, c’est-à-dire en août prochain, d’autres États vont suivre l’exemple mauritanien ; nous sommes très près d’y parvenir. » Prié de préciser, le ministre a cité quatre pays : Maroc, Tunisie, Qatar et Oman. De quoi conforter Maaouiya Ould Taya dans ses certitudes.

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