Destination en vogue

De plus en plus fréquenté par les visiteurs européens, l’archipel doit assurer son développement sans sacrifier son identité.

Publié le 10 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

Depuis quelques années, les rêveurs qui feuillettent les catalogues de voyage en vue de leurs prochaines vacances ont découvert l’existence du Cap-Vert : plages de sable blanc, eau transparente ou turquoise, champs de canne à sucre, photos de Cesaria Evora pieds nus devant la baie de Mindelo… Le kit parfait du petit paradis pour vacanciers occidentaux.
En dix ans, la « destination Cap-Vert » est sortie de l’anonymat. En 2004, la presse spécialisée britannique a même classé l’archipel parmi les vingt meilleurs endroits dans le monde où acheter une maison de vacances ! Au milieu des années 1990, le pays accueillait à peine 30 000 touristes par an. En 2004, ils étaient plus de 170 000, dont une grande majorité (plus de 60 %) d’Italiens. Sur la même période, la part du secteur touristique dans le PIB a bondi de 2 % à près de 11 %. L’objectif étant de dépasser la barre des 50 %.
Pour y parvenir, le gouvernement met le paquet. Il propose des incitations fiscales alléchantes aux investisseurs (exemption fiscale de 100 % pendant les cinq premières années et rapatriement de la totalité des bénéfices) et lance un vaste programme de modernisation et d’extension des aéroports. Le pays comptera bientôt quatre aéroports internationaux, contre un seul aujourd’hui (à Sal). Celui de Praia, la capitale, sera inauguré dans les prochains mois. Ceux de Boa Vista, où les travaux sont en cours, et de São Vicente devraient être prêts en 2006. Par ailleurs, la compagnie aérienne nationale, la TACV, sera privatisée en 2006. Ce qui pourrait permettre de faire baisser les coûts, encore prohibitifs, du transport aérien. Il n’existe à ce jour que trois vols charters hebdomadaires avec l’Italie et un avec le Portugal.
Mais, déjà, les investisseurs affluent. Et la construction est en plein boom (6 % du PIB en 2004). À Sal, l’île la plus touristique, les hôtels ont poussé d’un coup, comme des champignons. La plage du sud de l’île – 8 km de sable blanc et fin – est presque entièrement bordée de constructions. Jusqu’en 1986, l’île ne comptait qu’un seul hôtel. Aujourd’hui, il en existe plus d’une trentaine totalisant 1 600 chambres. L’objectif est d’en construire jusqu’à 6 000 dans les dix prochaines années. Ce qui ne devrait pas poser de problème. Le géant qu’est le tour-opérateur allemand Tui et ses filiales espagnole et italienne ont déjà investi dans la construction d’un hôtel 5 étoiles à Santa Maria (au sud de Sal), le premier du pays, qui ouvrira ses portes en septembre 2005 avec près de 1 000 chambres supplémentaires. Le groupe italien Stefanina s’apprête, quant à lui, à investir 80 millions d’euros pour la construction d’un immense complexe immobilier près des salines de Pedra de Lume, à l’est de Sal.
Autres îles à vocation touristique : Boa Vista (où plusieurs hôtels doivent ouvrir en 2005) et Maio, qui bénéficient d’un climat et d’un environnement identiques à ceux de Sal. Là encore, les investisseurs guettent les opportunités. Début avril, l’hebdomadaire capverdien indépendant A Semana s’inquiétait de la spéculation immobilière qui sévissait sur les deux îles, incitant les habitants à céder leurs terrains à bas prix.
Et pour cause : il n’existe ni cadastre ni plan national pour le développement du tourisme dans l’archipel. Une loi réglemente l’aménagement du territoire, mais elle n’est pas toujours respectée par le gouvernement et les municipalités, faute de moyens. D’autre part, « les deux institutions qui gèrent le secteur, la Direction générale du tourisme au sein du ministère de l’Économie et l’Agence de promotion des investissements, sont installées à Praia. Elles ne disposent pas de représentation dans les autres îles », regrette Nelson Nunes Evora, directeur d’Unotur, qui regroupe les principales entreprises touristiques de l’archipel. De même, il n’existe aucune structure assurant la formation des professionnels du secteur, pourtant appelé à devenir le moteur de l’économie. La création d’une école d’hôtellerie à Sal est toutefois à l’étude.
Autant de lacunes qui font craindre à certains le développement d’un tourisme sauvage qui mettrait en péril l’environnement et les spécificités du Cap-Vert. D’autant que l’envolée du secteur a également des conséquences sociales importantes. Entre 1995 et 2005, par exemple, la population de Sal a plus que doublé, passant de 8 000 à 18 000 habitants. Ce qui pose problème pour l’accès au logement, aux services sociaux ou encore à l’eau. Les ressources hydriques du Cap-Vert étant très limitées, le développement d’infrastructures de production et de distribution est une priorité. L’Union européenne y consacre d’ailleurs l’essentiel de sa coopération. L’argent du tourisme attire également une population immigrée venant des pays côtiers africains, notamment du Sénégal. Mais dans les rues de Sal les Sénégalais sont plutôt mal vus. Jorge, un chauffeur de taxi, résume un sentiment d’antipathie généralisé : « Les Sénégalais importunent sans cesse les touristes sur la plage pour vendre leur marchandise. Jamais un Cap-Verdien ne ferait cela. C’est très mauvais pour le tourisme et l’image du pays. Au Sénégal, les vendeurs ambulants n’ont pas accès aux plages. » Les Sénégalais, eux, rétorquent que dans leur pays on laisse les Cap-Verdiens tranquilles.
Avec le tourisme, le Cap-Vert s’enrichit, mais se trouve également confronté à de nouveaux enjeux, notamment sociaux et environnementaux. Comme dans d’autres domaines, la planification et la législation peinent à suivre le rythme effréné de la croissance. Le pays élabore peu à peu des réponses ad hoc. Mais il doit agir vite. Car c’est toute la maîtrise de son développement qui est en jeu.

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