Croissance, mode d’emploi

Pour compenser son insularité, le pays s’est doté d’infrastructures de pointe. Et malgré le chômage, il affiche des performances enviables.

Publié le 10 mai 2005 Lecture : 5 minutes.

Le Cap-Vert se porte bien, merci ! Avec une croissance annuelle moyenne de plus de 6 % sur la dernière décennie, une inflation quasi nulle, voire négative (- 1,6 % en 2004), un niveau de corruption qualifié par l’OCDE de « bas, comparé aux modèles internationaux » et même « très bas, comparé à ceux du continent africain », un PIB par habitant de 1 490 dollars (contre 275 dollars en 1975), soit deux fois plus élevé que la moyenne d’Afrique subsaharienne, et des indicateurs sociaux en progression constante, l’archipel fait même figure de modèle en Afrique. Une prouesse pour un pays fortement handicapé par sa géographie, qui ressemble à un petit morceau de Sahel éclaté et dispersé au milieu des flots de l’Atlantique. La légende raconte qu’après la création du monde Dieu gardait sur les doigts encore un peu de la pâte qu’il venait d’éparpiller aux quatre coins de la Terre. Pour s’en débarrasser, il secoua négligemment les mains, donnant ainsi naissance aux îles du Cap-Vert. Mais ces rochers dénudés ne possèdent ni ressources naturelles ni eau. Les sols volcaniques et le relief escarpé de plusieurs îles ne parviennent pas à retenir les précipitations (en moyenne de 300 mm par an) qui se déversent en torrents dans la mer et n’infiltrent pas les nappes phréatiques. Les terres arables ne représentent que 10 % de la superficie du pays, et l’agriculture (8 % du PIB) ne parvient à satisfaire que 10 % des besoins alimentaires. Le Cap-Vert dépend donc fortement de l’aide alimentaire internationale. Ajoutée à son insularité, sa configuration archipélagique freine l’essor des communications et du commerce : le coût du transport et des infrastructures est très élevé. Ici, il ne s’agit pas de construire un aéroport, mais dix ; pas un hôpital, mais dix ; pas une poignée d’écoles, mais plusieurs dizaines. Autant de facteurs qui, ajoutés à l’étroitesse du marché domestique (470 000 habitants), font du développement autonome du pays un véritable défi à la nature.
Alors, quel est le secret de la croissance du Cap-Vert ? Comment dix îles isolées dans l’océan ont-elles pu se transformer, en moins de quinze ans, en l’un des pays les plus dynamiques du continent africain ? La recette est simple : en combinant une gestion économique et financière rigoureuse à une aide extérieure massive. À partir de 1991, le Mouvement pour la démocratie (MPD), au pouvoir jusqu’en 2001, puis le PAICV, réélu en 2001, ont fait du secteur privé le moteur de l’économie. Plusieurs des sociétés publiques ont été privatisées, et le pays s’est doté d’infrastructures de pointe. Citons, entre autres, l’aéroport international, sur l’île de Sal, certifié de catégorie 1 par l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci), c’est-à-dire respectant les standards de sécurité et d’efficacité des meilleurs aéroports internationaux ; les usines de dessalement d’eau de mer (indispensables à l’approvisionnement en eau potable de l’archipel) ; ou encore un système de télécommunications ultramoderne disponible grâce à un réseau de câbles sous-marins en fibre optique. Insulaire, le Cap-Vert « n’avait d’autre choix que de développer ses infrastructures, comme le souligne Humberto Bettencourt, président de Cabo Verde Telecom. Tout d’abord parce que notre île la plus peuplée se trouve à Boston, aux États-Unis [près de 300 000 Cap-Verdiens résideraient outre-Atlantique]. Ensuite, parce que nous sommes un petit pays, isolé. Pour exister, nous devons être raccordés au monde extérieur. »
Résultat de ces politiques : depuis 1990, la croissance ne se dément pas. De 4,5 % en 2004, elle devrait, selon le FMI, remonter à 6 % en 2005. D’autre part, l’introduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au 1er janvier 2004 a permis de dégager des recettes fiscales plus importantes que prévu et de contenir le déficit public à 2,6 % seulement – dans le respect des critères de Maastricht. Une référence qui n’est pas anodine, car nombre de Cap-Verdiens espèrent adhérer un jour à l’Union européenne. Le Premier ministre José Maria Neves n’a-t-il pas évoqué, à plusieurs reprises, l’éventualité d’adopter l’euro comme monnaie officielle, alors que l’escudo bénéficie déjà, en vertu d’un accord signé en 1998 avec le Portugal, d’une parité fixe avec l’euro ?
Les défenseurs de l’adhésion du Cap-Vert à l’UE comptent parmi eux des figures de poids, dont l’ancien président socialiste du Portugal, Mario Soares. Ils sont convaincus que le pays est au moins aussi européen que la Turquie et estiment que l’archipel fait partie de la Macaronésie, ensemble d’îles volcaniques de l’Atlantique qui regroupe aussi les Canaries espagnoles et les archipels portugais des Açores et de Madère. Et si l’adhésion reste très hypothétique, la conclusion d’un « partenariat spécial » pourrait être envisagée.
Les bonnes performances du Cap-Vert, à l’instar de celles des Maldives, ont par ailleurs décidé, en décembre dernier, les Nations unies à le rayer de la liste des PMA (pays les moins avancés) à partir de 2008. Une décision toutefois à double tranchant, car, en devenant un PDM (pays à développement moyen), le Cap-Vert recevra moins d’aide étrangère et n’aura plus accès aux prêts les plus concessionnels, ainsi qu’à certaines facilités sur les marchés internationaux. Cependant, des délais de mise en application pourront probablement être négociés avec certains bailleurs de fonds, notamment la Banque mondiale, qui a déjà annoncé qu’elle laisserait au Cap-Vert l’accès à son guichet concessionnel d’aide au développement jusqu’en 2015.
Ce changement de statut constitue un défi considérable pour un pays qui reste largement tributaire de l’extérieur. Tant de l’aide internationale (20 % du PIB en 2004) que des transferts financiers de sa diaspora (12 % du PIB). Ces deux apports représentent environ 60 % des ressources extérieures en devises du pays. « Nous possédons une Porsche, mais nous n’avons pas de quoi payer l’essence », résume Mario Maros, secrétaire général du PAICV. De fait, 90 % des investissements publics sont financés par l’aide internationale. Quant aux transferts des émigrants, ils représentent une source de revenus incertaine, car elle peut diminuer au fur et à mesure de l’intégration des émigrés dans les pays d’accueil.
Pour réduire cette dépendance, le gouvernement s’attache à stimuler la croissance du secteur privé et à promouvoir l’investissement étranger, particulièrement dans le domaine des services, par nécessité prépondérants dans la structure économique cap- verdienne (68 % du PIB en 2004), à la différence du reste de l’Afrique. Le Cap-Vert a d’ailleurs une vocation historique de prestataire de services, notamment dans le domaine maritime. Au XIXe siècle, le port de Mindelo, sur l’île de São Vicente, était le principal port de ravitaillement en charbon pour les navires sur les routes atlantiques. Les perspectives sont prometteuses. Toutefois, elles ne suffiront pas à résoudre la question de l’emploi, principal souci des gouvernements successifs avec un taux de chômage qui stagne autour de 25 %. Seul l’essor d’un tissu d’entreprises locales permettra de régler durablement le problème. Et cela passe par un soutien fort du gouvernement. Un soutien financier, bien sûr, mais aussi des facilités d’accès à l’information et une véritable promotion de la formation professionnelle. En l’absence d’université, l’enseignement supérieur a toujours été assuré à l’étranger. Mais un projet de création d’université publique est en gestation. Le nouveau campus regrouperait la poignée d’instituts supérieurs existants en y ajoutant de nouveaux cursus.
Dans ce domaine comme dans d’autres, le Cap-Vert se trouve à la croisée des chemins. Candidat sérieux à la catégorie enviée des pays émergents, il est sorti de la pauvreté massive, mais découvre les défis d’un développement encore insuffisamment maîtrisé. Pour y faire face, l’archipel a encore besoin d’aide.

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