Clichés africains

Des aventuriers blancs, des animaux, des tribus bizarres : les films américains actuels restent dans l’ensemble conformes aux vieilles conventions.

Publié le 9 mai 2005 Lecture : 4 minutes.

A sa sortie en novembre 2004 aux États-Unis, Hôtel Rwanda, de Terry George, a obtenu un grand succès d’estime. On a particulièrement admiré l’interprétation de Don Cheadle et de Sophie Okonedo. Le film a décroché trois nominations aux Oscars et de nombreux prix. L’évocation du génocide de 1994 a incontestablement marqué beaucoup de spectateurs. Pourtant, ils n’ont pas été assez nombreux pour qu’Hôtel Rwanda soit aussi un succès au box-office. Son exemple va-t-il encourager les producteurs à traiter de vrais sujets africains, ou bien conforter la logique financière qui, depuis soixante-dix ans, incite Hollywood à accumuler les clichés sur le Sud-Sahara ?
Depuis Johnny Weissmuller et les Tarzan dans les années 1930 et 1940, Les Mines du roi Salomon dans les années 1950 jusqu’aux Brendan Fraser récents, les films d’aventure ayant l’Afrique pour décor ont toujours eu pour protagonistes des héros blancs qui combattent le mal dans des déserts inhumains ou des jungles surpeuplées. Plus récemment, avec Out of Africa de Sydney Pollack et Sur la route de Nairobi (White Mischief) de Michael Radford, le continent a été le théâtre des tumultueuses amours de vedettes blanches.
L’Afrique a aussi été le point de départ de comédies à succès comme Un prince à New York (Coming to America) ou Ace Ventura. Dans l’une et l’autre, le continent paraît essentiellement peuplé de tribus bizarres. Dans Le Roi Lion (Lion King), le dessin animé de Disney, qui est le plus gros succès commercial des films « africains », il n’est peuplé que d’animaux.
William Horberg, le producteur de Retour à Cold Mountain et du Talentueux Mr. Ripley, souligne un problème de fond : « Les studios considèrent que les films destinés à un vaste public, d’abord américain, doivent nécessairement avoir pour héros des personnages américains. » Il travaille cependant sur une adaptation de The Kite Runner (« Les Cerfs-Volants de Kaboul »), un best-seller qui se passe en Afghanistan.
Quatre films sur l’Afrique doivent sortir ce printemps aux États-Unis. Ils sont tous les quatre conformes aux conventions sur ce continent : deux films d’animaux, deux films d’aventure. Duma, de Carroll Ballard, raconte l’histoire d’un petit garçon qui veut remettre un guépard apprivoisé dans la nature. Madagascar a pour héros un lion et un zèbre. La vedette de Sahara est Matthew McConaughey. Il joue le rôle d’un chasseur de trésors sous-marins qui met fin à une épidémie de peste mondiale, chasse le méchant dictateur du Mali, renfloue une épave chargée d’or et récupère de ses fatigues sur une plage ensoleillée dans les bras de Penelope Cruz. Quant à la vedette de L’Interprète (The Interpreter) de Sydney Pollack, Nicole Kidman, elle doit affronter les plus grands périls parce qu’elle a découvert un complot mortel contre le président de son pays (un État africain imaginaire).
Commentaire désabusé de Terry George, qui, lui, avait financé Hôtel Rwanda avec des capitaux britanniques, italiens et sud-africains : « On reprend les mêmes et on recommence. » Ce n’est pas tout à fait l’avis de Sydney Pollack, qui sent l’amorce d’un effort pour présenter l’Afrique avec davantage de respect et de sensibilité. Les Américains, estime-t-il, sont mieux avertis qu’en 1985, lorsqu’il tournait Out of Africa, des problèmes que connaît le continent : dirigeants corrompus, enfants-soldats, réfugiés et « disparus ». « C’était peut-être déjà le cas avant dans les pays émergents, dit-il, mais aujourd’hui, tout se sait instantanément. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les gens sont au courant de ce qui se passe. »
Le seul réalisateur qui soit sorti des sentiers battus, c’est John Boorman, avec Afrique du Sud, ma douleur (In My Country), qui met en scène la Commission Vérité et Réconciliation. Ayant obtenu l’accord de deux stars internationales, Samuel Jackson et Juliette Binoche, il a fait le tour des producteurs de Hollywood. Ni les majors ni les indépendants n’ont sorti un dollar. Boorman a réussi à tourner le film avec 57 millions de dollars réunis en Europe.
« Ils m’écoutaient avec la plus grande attention, raconte-t-il. Ils trouvaient même l’histoire et le scénario passionnants. Mais deux jours plus tard, ils n’étaient plus intéressés. » Même après l’accueil très favorable réservé par la critique et un certain public à Hôtel Rwanda, estime Boorman, le résultat serait identique aujourd’hui : « Ils me feraient remarquer qu’Hôtel Rwanda n’a pas rapporté beaucoup d’argent. Du reste, In My Country non plus. Donc, ils avaient probablement raison. »
Edward Zwick, le réalisateur du Dernier Samouraï (The Last Samourai), un film que se passe dans le Japon du XIXe siècle et qui a très bien marché, est pourtant décidé maintenant à jouer la carte africaine. Blood Diamond, dont il doit commencer le tournage à l’automne, aura pour cadre la guerre civile de la Sierra Leone à la fin des années 1990. Le personnage central sera un paysan africain impliqué dans le conflit entre un contrebandier de diamants américain et la mafia qui a mis la main sur l’industrie minière de la Sierra Leone. Zwick explique qu’il a l’intention de « bien expliquer ce qu’était la situation sociale et politique, de décrire les forces qui mettaient le pays à feu et à sang ».
S’il y arrive et si le film fait suffisamment d’entrées, peut-être donnera-t-il enfin à Hollywood une raison de tourner sur l’Afrique des films qui ressemblent davantage à l’Afrique : la possibilité de gagner de l’argent.

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