Autoamnistie américaine

Publié le 10 mai 2005 Lecture : 3 minutes.

Il y a un peu plus d’une année, le scandale des sévices infligés à des détenus irakiens à la prison d’Abou Ghraib avait été révélé par la publication, le 28 avril 2004, de photos
prises à l’intérieur de l’établissement ayant fait la triste réputation du régime de Saddam Hussein. Depuis, les investigations internes du Pentagone ont établi que la torture était une pratique courante dans les centres de détention de l’US Army. Abou Ghraib n’avait plus l’exclusivité de la honte, l’attitude des geôliers américains obéissant aux mêmes techniques d’interrogatoire à Guantánamo (Cuba), au Camp Bucca (Irak) et à Bagram (Afghanistan).

Toutefois, la justice américaine s’en est, semble-t-il, beaucoup moins émue que l’opinion internationale. Si le caporal Charles Graner, principal accusé dans l’affaire d’Abou
Ghraib, a été condamné à dix ans de réclusion, sa compagne, Lynndie England, rendue célèbre par des photos la montrant tenant en laisse, entre autres humiliations, des
prisonniers irakiens, encourt une peine plus « clémente ». Un deal, dont la justice américaine a le secret, entre son avocat et le parquet militaire a permis de ramener le nombre de chefs d’inculpation de 19 à 9. Le procureur n’a pas jugé utile d’expliquer les
raisons de l’abandon des principales charges. Furieux, le juge a renvoyé le procès en exigeant une nouvelle instruction.
S’agissant de la chaîne de commandement, elle a tout simplement été blanchie. Le 23 avril, une cour de justice relevant de l’armée de terre a considéré que le lieutenant général Ricardo Sanchez, chef du corps expéditionnaire américain au moment des faits, n’est coupable d’aucun manquement. Même verdict pour ses quatre adjoints. Hormis la générale Janet Karpinski, responsable des centres de détention en Irak en 2003, relevée de
ses fonctions et seul officier à avoir été « réprimandé », tous les militaires américains
condamnés dans ce dossier sont des lampistes.
La clémence de la justice militaire américaine a déclenché un tollé. Dénonçant l’impunité
dont bénéficient les GI’s et leurs officiers, Amnesty International et Human Rights Watch (HRW) ont exigé, le 24 avril, une enquête indépendante pour établir la responsabilité de
la chaîne de commandement. HRW a diffusé un rapport présentant des preuves concluantes justifiant de nouvelles investigations sur l’ambiguïté de l’attitude de Donald Rumsfeld, du lieutenant général Ricardo Sanchez, du général Geoffrey Miller, ex-commandant du camp
de Guantánamo, et, enfin, de George Tenet, ancien patron de la CIA.

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Les techniques d’interrogatoire, jargon officiel du Pentagone pour évoquer les mauvais traitements et la pratique de la torture dans les centres de détention américains à l’étranger, ne constituent pas la seule cause des soucis actuels de Donald Rumsfeld. Il y a aussi les bavures. Le marine ayant achevé, dans une mosquée de Fallouja, en novembre 2004, un blessé qui ne présentait aucune menace a échappé à toute condamnation. La justice américaine a jugé qu’il n’avait violé aucune règle et qu’il était en légitime
défense. L’incident, filmé par un journaliste embarqué, ne laissait pourtant aucune place au doute. Le militaire américain aurait dû tomber sous le coup d’une inculpation pour crime de guerre. La médiatisation de l’affaire n’a pas empêché l’armée américaine, juge et partie dans ce dossier, de s’autodisculper par un argumentaire des plus contestables :
la menace en Irak prend des formes si diverses qu’elle est permanente, cela autorise les soldats exposés de ne pas respecter la règle imposant au préalable un tir de sommation. Mieux, ou pis : depuis l’offensive contre Fallouja, en novembre 2004, une nouvelle règle de tir, appelée double top, permet désormais aux militaires de mettre deux balles dans le
corps de la cible. En termes moins techniques, cela signifie : si Abou Ghraib pose problème, il faut faire moins de prisonniers, et si les blessés sont encombrants, il faut les achever. Le tout sans se faire filmer. Mais que les vaillants soldats se rassurent : la présence d’une caméra ou d’un témoin ne remet pas en question les promesses d’impunité.

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