Sahel : quand le GSIM recrute des enfants

Dans un rapport publié ce lundi 13 septembre, Amnesty International s’inquiète du fait que les groupes jihadistes enrôlent de plus en plus de jeunes garçons, notamment dans la zone dite des trois frontières.

Située entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, Menaka est considérée comme un épicentre de la présence de l’État islamique dans la région du Sahel. © SOULEYMANE AG ANARA / AFP

Située entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, Menaka est considérée comme un épicentre de la présence de l’État islamique dans la région du Sahel. © SOULEYMANE AG ANARA / AFP

Bokar Sangareě

Publié le 13 septembre 2021 Lecture : 4 minutes.

Assiste-t-on à une inflexion de la stratégie de certains groupes jihadistes dans le Sahel, et plus particulièrement au Niger ? L’ONG Amnesty International révèle dans un rapport publié ce lundi 13 septembre que, prospérant sur la pauvreté, les pénuries alimentaires et le manque de perspectives économiques, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) recrute de plus en plus d’adolescents.

Beaucoup vont servir de guetteurs à des combattants plus aguerris

Il s’agit le plus souvent de jeunes garçons déscolarisés, selon Ousmane Aly Diallo, chercheur pour l’Afrique de l’Ouest au sein d’Amnesty International et auteur du rapport, qui explique que dans la seule région de Tillabéri, très éprouvée par la violence des groupes armés, plus de 300 écoles ont fermé. Ce qui n’est pas sans conséquences.

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Jeune Afrique : De plus en plus d’enfants sont recrutés par le GSIM. Pourquoi ?

Ousmane Aly Diallo : On parle d’enfants qui ont entre 15 et 17 ans, que les groupes armés vont former pour qu’ils participent à ce qui est, à leur yeux, une forme de résistance à l’autorité des États nigérien, malien ou burkinabè. Beaucoup vont jouer le rôle d’auxiliaires et servir, par exemple, de guetteurs à des combattants plus aguerris.

Depuis 2020, le GSIM entraîne ainsi de plus en plus d’enfants au maniement des armes lors de formations qui peuvent durer jusqu’à deux semaines. Et l’État islamique au grand Sahara (EIGS) comme le GSIM, utilise des combattants assez jeunes lorsqu’il mène des attaques pour ramener le bétail : les enfants ne participent pas directement aux opérations, mais ils sont chargés de s’occuper des bêtes volées dans les villages.

Dans la seule région de Tillabéri, près de 30 000 enfants sont déscolarisés

Mis à part le fait que ces enfants sont exposés à la violence et qu’ils risquent d’y perdre la vie, ceux qui survivent, ceux qui assistent aux attaques, ceux qui ont vu leurs parents ou leurs amis être blessés ou même tués, subissent un stress qui ne sera pas pris en charge.

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Vous expliquez dans ce rapport que les écoles sont particulièrement visées…

Oui, parce que l’EIGS ou le GSIM considèrent que l’éducation qui y est donnée est occidentale et non conforme aux valeurs traditionnelles et islamiques. Et puis détruire les écoles, c’est s’en prendre aux symboles de l’autorité de l’État. C’est pour cela que les infrastructures scolaires sont fortement ciblées dans tout le Sahel central.

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À l’heure actuelle, dans la seule région de Tillabéri, près de 30 000 enfants sont déscolarisés, la moitié étant de jeunes écolières. On estime aussi que près de 700 enseignants ne peuvent plus exercer à cause de l’insécurité. Ne reste plus, pour les populations, que l’éducation islamique traditionnelle.

Mais la stratégie des groupes armés est plurielle : en plus des écoles, les attaques ciblent délibérément les centre de santé, où les combattants s’approvisionnent en médicaments. Les ambulances et les véhicules des dispensaires, quant à eux, sont volés et réutilisés pour attaquer les forces de défense et de sécurité [FDS], notamment dans la zone dite des trois frontières.

Peut-on parler d’une nouvelle stratégie des groupes armés ?

D’une nouvelle stratégie ou en tout cas d’une nouvelle phase dans leur stratégie. Avant, ils attaquaient en priorité les postes avancés des FDS. Aujourd’hui, ils détruisent systématiquement les greniers et les moyens de production alimentaires dans la région de Tillabéri, dans les départements d’Abala, de Banibangou et d’Ayorou près de la frontière avec le Mali. Cela crée des pénuries et contraint des populations qu’ils jugent hostiles ou trop proches de l’État à se déplacer.

On dit souvent que l’EIGS se rend davantage coupable d’exactions contre les populations civiles que le GSIM…

C’est vrai que l’EIGS est le groupe qui commet le plus de violences, dans la région de Tillabéri en particulier. Depuis le début de l’année, des massacres ont été commis notamment à Tchoma Bangou et à Zaroumdarey, où 103 personnes sont mortes le 2 janvier dernier. En mars, des attaques ont été perpétrées entre Banibangou et Chinagodrar – et 58 personnes ont été tuées –, ainsi qu’à Wiye et à Darey-Daye, dans la commune de Tillia. À chaque fois, il y a eu beaucoup de victimes parmi les femmes et les enfants.

Toutes ces violences répondent à une volonté de casser net tout désir d’émancipation des communautés, qui tentent de résister aux taxes que prélèvent l’EIGS et à l’ordre social ou islamique que ses combattants leur imposent.

Mais dans cette même région de Tillabéri, le long de la frontière avec le Burkina Faso, on a constaté ces derniers mois l’activisme accru et l’influence grandissante du GSIM, dont des membres organisent des prêches réguliers dans les villages. De l’autre côté de la frontière toutefois, le GSIM s’est rendu coupable d’informations similaires, notamment contre les localités et communautés perçues comme hostiles ou soupçonnées d’abriter des VDP [Volontaires pour la défense de la patrie] à Kodieri ou encore à Solhan.

Quelles réponses les autorités du Niger ont-elles apportées à ce stade ?

La réponse a été très sécuritaire, mais cela ne suffira pas. Il faut absolument satisfaire les besoins des communautés et des personnes déplacées en matière de santé et d’éducation.

Il faut toutefois reconnaître que l’État nigérien a été très innovant dans sa manière d’appréhender la question de l’enfance dans les conflits armés. Un protocole a été signé entre l’État et les Nations unies, en 2017, qui prévoyait que tous les enfants pris lors d’opérations militaires seraient remis aux services de protection de l’enfance. Grâce à cela, beaucoup d’enfants ayant connu la violence dans le bassin du lac Tchad ou dans le Tillabéri ont été redirigés vers ces services. Ils ont pu bénéficier de formations professionnelles durant leur phase d’orientation, avant d’être réunis avec leurs familles. Le Mali ou le Burkina Faso pourraient s’en inspirer.

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