Villes et campagnes en concurrence ?

Le secteur mobilise, et gaspille, une grosse partie des ressources. Pour assurer la consommation des centres urbains, il va falloir faire des économies.

Publié le 10 février 2004 Lecture : 5 minutes.

Le secteur agricole est traditionnellement le principal consommateur d’eau. Sur l’ensemble du continent, il utilise 85 % de l’eau totale prélevée quand l’industrie, peu dévelopée, n’en consomme que 6 %. La situation est cependant très variable suivant les climats. En Afrique centrale, où la pluviosité est plus forte, la consommation agricole de l’eau ne représente que 43 % de l’ensemble.
Les paysans du nord de l’Afrique et de la région soudano-sahélienne sont les plus dépendants des réseaux d’irrigation. Pendant plusieurs décennies, la politique de grands travaux a porté ses fruits. De grands barrages ont été édifiés, le cours des fleuves a été détourné, et de gigantesques réseaux de canaux ont vu le jour, afin de distribuer l’eau à grande échelle aux agriculteurs. Il est difficile aujourd’hui d’augmenter encore les capacités, particulièrement dans les pays du pourtour méditerranéen, déjà bien équipés. En revanche, la gestion pourrait être rationnalisée. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), près de 60 % de l’eau utilisée pour l’irrigation est gaspillée, soit par évaporation dans les retenues et par infiltration dans les canaux, soit du fait de mauvaises pratiques des agriculteurs et de la surconsommation encouragée par la quasi-gratuité de l’eau.
Cette irrigation mal contrôlée a des conséquences graves sur l’environnement. Le drainage, pour débarrasser le sol de son excès d’eau, est souvent insuffisant et provoque dans plusieurs pays une accumulation des sels dans la terre. L’Égypte, où la salinisation a gagné 30 % des terres cultivées, s’est lancée depuis les années 1970 dans un des plus grands programmes de drainage au monde. Plus de deux millions d’hectares sont déjà équipés, et l’investissement total dépasse 1 milliard de dollars. Mais l’irrigation continue à progresser plus vite que le drainage.
Cette irrigation massive a aussi un coût sanitaire. Si le paysan d’Afrique subsaharienne n’a pas toujours les moyens d’utiliser des engrais et des produits chimiques, en Afrique du Nord, en revanche, la pollution de l’eau par l’agriculture devient préoccupante.
Autre problème, les canaux d’irrigation et de drainage récupèrent les eaux non traitées des habitations et des industries, favorisant le développement de certaines maladies. La concentration en métaux lourds et en bactéries, dans les eaux d’irrigation et de drainage, dépasse souvent les normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
En parallèle, du fait d’un accroissement rapide de la population urbaine, la demande d’approvisionnement en eau des villes va continuer à croître de manière exponentielle. D’ici à 2025, les deux tiers des villes africaines connaîtront de graves pénuries d’eau, malgré le retraitement des eaux usées et la surexploitation des nappes souterraines. Au Maghreb, l’agriculture devra s’adapter en renonçant à une partie de l’eau qu’elle utilise aujourd’hui. La Libye ou l’Algérie épuisent des réserves fossiles souterraines non renouvelables, et des pays comme le Maroc ou la Tunisie vivent à la limite de leurs capacités. Au Maroc, où l’agriculture représente 90 % de la consommation d’eau douce, le pays pourrait se retrouver en situation de pénurie d’ici à quinze ans. D’autant que les sites industriels exercent une pression croissante, comme en Algérie le complexe sidérurgique d’El-Hajar et la zone pétrochimique d’Arzew, ou en Tunisie la filière chimique et la cimenterie de Gabès.
Or les fuites sur les réseaux urbains sont elles aussi importantes, du fait du mauvais état des conduites. De l’ordre de 40 % à 50 % à Alger, elles peuvent atteindre 80 % dans certains quartiers de grandes capitales. La régulation des pénuries chroniques s’effectue par des coupures d’eau qui sont d’autant plus longues et fréquentes que le quartier est plus pauvre. Les options techniques pour mobiliser de nouvelles ressources en eau sont encore trop coûteuses, comme le dessalement d’eau de mer. Le retraitement des eaux usées ouvre de réelles perspectives, mais surtout à destination des villes. Au final, les agriculteurs sont perdants. Alger prend toute l’eau de la Mitidja, Tunis accapare la majeure partie des débits dérivés depuis la Medjerda. Même si de grands travaux devaient acheminer l’eau du Nord pluvieux vers les régions du Sud semi-arides, à moyen terme, Tunis risque d’absorber toute l’eau prévue pour le secteur agricole.
La question est de savoir dans quelle mesure le secteur agricole pourra s’adapter. Car c’est sur le secteur primaire que peuvent se faire les plus grosses économies. Les experts estiment possible d’économiser assez facilement 30 % de l’eau d’irrigation. La première étape est de faire prendre conscience aux utilisateurs de la valeur de l’eau. Or un principe, généralement admis, est de ne pas faire payer aux agriculteurs l’eau à son véritable prix. Le mode de tarification classique consiste à les taxer au forfait en fonction de la superficie arrosée. C’est une forme de subvention accordée par les États au secteur agricole, employeur d’une nombreuse main-d’oeuvre et garant d’une certaine autonomie nationale, ainsi que de revenus à l’exportation. Mais ce système est déresponsabilisant. Pour ne pas pénaliser les petits exploitants, il faudrait donc subventionner davantage la production agricole en échange d’une augmentation des coûts de l’eau utilisée.
Les techniques d’irrigation devront aussi évoluer, le goutte-à-goutte, ou procédé localisé, est cinq à sept fois plus économe en eau que l’irrigation gravitaire, par simple écoulement, et deux fois plus économe que l’arrosage par aspersion. Mais, là encore, se pose la question du financement du matériel. Il faut aussi encourager la culture de plantes économes en eau, adaptées au climat : le maïs réclame beaucoup d’eau, et même deux fois plus dans un pays chaud que dans un pays tempéré. En Égypte, l’essor rizicole va à l’encontre de la politique gouvernementale d’extension des réseaux d’irrigation dans le désert. La consommation des terres anciennement irriguées aurait ainsi dû diminuer, elle est en réalité en forte augmentation. Les agriculteurs, pour améliorer leurs revenus, ont choisi de produire une plante plus gourmande en eau.
Le cas de la Tunisie est aussi révélateur des difficultés rencontrées par les gouvernements dans la gestion des ressources hydriques. L’État a augmenté les tarifs de l’eau agricole, tout en incitant à l’achat de systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte, plus efficaces. Mais, contrairement aux prévisions, la consommation d’eau a augmenté, car les cultivateurs ont choisi d’élargir le périmètre cultivé grâce à cette technique d’irrigation plus performante !

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