Une guerre peut en cacher une autre

Alors que l’accord entre le gouvernement et la rébellion sudiste est sur le point d’aboutir, un autre conflit fait rage depuis un an dans l’ouest du pays.

Publié le 6 février 2004 Lecture : 4 minutes.

Des milliers de morts et plus de deux cent mille personnes déplacées ou réfugiées. C’est le triste bilan du nouveau conflit qui fait rage au Soudan depuis un an. À l’heure où le spectre de la guerre civile qui a opposé le Nord au Sud pendant plus de deux décennies disparaît peu à peu, l’ouest du pays le plus étendu du continent s’embrase. Depuis l’échec des négociations entre le gouvernement de Khartoum et les mouvements rebelles en décembre 2003, la région du Darfour est le théâtre d’affrontements de plus en plus sanglants.
Depuis deux mois, des centaines de personnes viennent chaque jour grossir les rangs des réfugiés qui sont parvenus à rejoindre le Tchad voisin. Dispersés le long d’une frontière de près de 600 kilomètres, la plupart vivent dans des abris de fortune construits à partir de foin et de branches. En attendant l’aide internationale, ils survivent grâce à la nourriture et à l’eau fournies par la population tchadienne. Tous racontent avoir fui leurs villages bombardés par l’armée soudanaise avant d’être pillés et détruits par les miliciens janjawids, que les rebelles accusent d’être armés par le gouvernement de Khartoum. Ces hordes de cavaliers déferlent à dos de cheval ou de chameau, dérobent tout ce qu’ils trouvent sur leur passage, brûlent ce qu’ils ne peuvent emporter et massacrent les habitants qui n’ont pas le temps de s’enfuir. Ils auraient ainsi mis à sac des centaines de villages en semant la terreur sur leur passage.
Même après avoir traversé la frontière, les réfugiés ne sont pas en sécurité. Les janjawids n’hésitent pas à pénétrer en territoire tchadien pour attaquer les camps et voler le bétail. Face à ces incursions de plus en plus fréquentes, le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies, qui a ouvert une première structure d’accueil le 17 janvier, s’est fixé comme objectif de déplacer les exilés pour les installer dans des camps situés à 50 kilomètres au moins de la frontière. Le temps presse, car la saison des pluies qui débute en mai rendra les routes impraticables. « Avec l’aide des autorités tchadiennes, nous tentons d’identifier des sites à proximité de nappes phréatiques », explique Hélène Caux, porte-parole de l’organisation onusienne en poste à l’est du Tchad. Un véritable défi dans cette région semi-désertique.
La nouvelle guerre soudanaise qui sévit depuis février 2003 dans ce territoire à cheval sur le Tchad et le Soudan oppose le gouvernement central arabo-musulman à des mouvements autonomistes prenant appui sur les ethnies locales, elles aussi de confession musulmane. Si le conflit ne revêt aucune dimension religieuse, il se nourrit des vieilles querelles entre les populations arabes et africaines, qui cohabitent difficilement depuis des siècles. Le Mouvement de libération du Soudan (MLS) et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE), principales composantes de la rébellion, accusent Khartoum d’avoir complètement délaissé les populations autochtones du Darfour, tant sur le plan politique qu’en matière de développement économique. Ils ont pris les armes pour réclamer un partage du pouvoir et des ressources, sur le modèle de l’accord partiellement conclu entre les autorités soudanaises et la rébellion sudiste. Si le gouvernement n’a nullement l’intention d’accéder aux demandes de ces nouveaux séparatistes, il se dit néanmoins prêt à engager de nouvelles discussions avec eux. En s’empressant d’ajouter qu’il n’hésitera pas à recourir à la force pour remporter la bataille.
À la fin du mois du janvier, le président Omar el-Béchir a déclaré que la fin de cette guerre n’était qu’une affaire de jours. Mais les différents protagonistes, qui se livrent à une bataille de communiqués sur leurs invérifiables victoires respectives, n’ont toujours pas repris le chemin de la table des négociations. Depuis l’échec de la médiation tchadienne en décembre 2003, les pourparlers sont au point mort. Et N’Djamena, déjà confronté au problème des réfugiés et des incursions des milices, craint de voir le conflit s’étendre sur son territoire. Les avions de l’armée soudanaise ont déjà bombardé à plusieurs reprises la partie tchadienne du Darfour, où les rebelles bénéficieraient du soutien de leurs frères zaghawas, l’ethnie du président Idriss Déby, qui était lui-même parti à la conquête du pouvoir à partir du Darfour.
Nombres d’observateurs prévoient une détérioration de la situation. John Prendergast, conseiller auprès de l’organisation International Crisis Group qui a publié mi-décembre un rapport sur l’état des conflits au Soudan, évoque sans détour le risque d’un « nettoyage ethnique » dans la région. La sonnette d’alarme a également été tirée lors de la Conférence internationale sur la prévention des génocides qui s’est tenue à Stockholm du 26 au 28 janvier : le rapport identifiant les pays menacés place en effet le Soudan en première position.
Sans une intervention de la communauté internationale, le traité qui devrait être signé à Washington dans les prochaines semaines par Omar el-Béchir et le leader sudiste John Garang risque malheureusement de ne pas marquer le retour tant attendu de la paix sur l’ensemble du territoire. Au contraire. Une fois le Sud totalement pacifié, les troupes de Khartoum pourraient rassembler leurs forces pour écraser la révolte du Darfour.

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