Pourquoi Hu Jintao a choisi le Gabon

En tournée sur le continent, le numéro un chinois s’est rendu au Caire, à Alger, mais aussi à Libreville pour une visite d’État de trois jours. Un choix qui requiert quelques explications.

Publié le 10 février 2004 Lecture : 5 minutes.

Tapis rouge, garde républicaine, bain de foule et salve d’artillerie. Débarquant à Libreville, le 1er février, pour une visite d’État de trois jours, Hu Jintao, le président de la République populaire de Chine, a été accueilli avec tous les honneurs dus à son rang. Et même un peu plus. Omar Bongo Ondimba a décidément le sens de l’hospitalité. Et puis, ce n’est pas tous les jours que le Gabon reçoit le chef d’un État mille fois plus peuplé que lui !
Pourquoi la Chine s’intéresse-t-elle à ce petit « émirat » que certains prétendent en déclin, alors que, lors de leurs – rares – incursions en Afrique subsaharienne, les grands de ce monde privilégient généralement Abuja ou Johannesburg ? « Le choix de Libreville ne s’est pas fait par hasard, explique Yang Mingzhu, du Quotidien de l’économie. D’abord, il fallait un pays subsaharien suffisamment stable pour que la sécurité du président soit parfaitement assurée. Ensuite, il se trouve que le Gabon nous est toujours resté fidèle depuis l’établissement de relations diplomatiques entre nos deux pays, il y a trente ans. Enfin, la personnalité d’Omar Bongo et son influence en Afrique francophone ont indiscutablement pesé dans la balance. »
Les relations bilatérales ont fait l’objet d’entretiens en comité restreint, dans le Palais du bord de mer. Comme il est d’usage en ces circonstances, la délégation chinoise n’est pas venue les mains vides, et plusieurs accords ont été signés. Les deux premiers concernent l’octroi d’un prêt sans intérêt d’un montant de 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros) et d’un don de 1 milliard de F CFA, l’un et l’autre destinés à plusieurs projets de coopération. Le troisième concerne la prospection et l’exploration pétrolières, la formation de personnel et le transfert de technologies entre la société publique chinoise Sinopec et le ministère gabonais du Pétrole. L’État chinois a en outre réaffirmé son engagement dans divers travaux d’infrastructures. Après avoir pris en charge la construction de l’Assemblée nationale (achevée en 2000), Pékin s’occupe actuellement de celle du Sénat, qui sera livré en avril 2005. Avant de lancer le chantier de la Cité de l’information, immeuble de prestige dans le centre de la capitale.
Générosité ? Kong Quan, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, préfère parler de « réciprocité ». « Il s’agit véritablement de coopération, explique-t-il. En contrepartie, le Gabon nous apporte son soutien diplomatique et exporte ses produits vers la Chine. » En 2003, les échanges commerciaux sino-gabonais se sont élevés à 300 millions de dollars. Les exportations gabonaises représentent 95 % de cette somme. Elles concernent essentiellement le bois, le manganèse et, désormais, les hydrocarbures. Un contrat a été signé le 31 janvier entre Unipec (filiale de Sinopec) et Total Gabon, la filiale du groupe français qui produit 42 % du brut gabonais. Le volume des ventes n’a pas été révélé, mais il pourrait atteindre 1 million de tonnes par an, selon des sources proches de la délégation chinoise.
Mais le voyage de Hu Jintao a largement dépassé les frontières du Gabon. À la tribune de l’Assemblée nationale, le président chinois s’est adressé au continent tout entier, saluant notamment « les efforts des peuples africains dans la construction de leurs pays respectifs » et évoquant « l’avenir radieux » de leur développement. Puis, renonçant à la langue de bois, il a prêché avec conviction en faveur de la coopération Sud-Sud et dénoncé « l’hégémonisme et la loi du plus fort qui prévalent à nouveau dans le monde », tandis que « les antagonismes ethnico-religieux et les conflits territoriaux se succèdent, que le déséquilibre en matière de développement s’accentue et que le fossé entre le Nord et le Sud ne cesse de se creuser ». Dans ce nouveau contexte, « les préoccupations de la Chine et celles de l’Afrique se rejoignent », a-t-il estimé.
Dans le domaine économique et commercial, Hu Jintao s’est engagé à soutenir le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) à travers le Forum de coopération sino-africain. À l’instar des États-Unis avec l’African Growth and Opportunity Act (Agoa), Pékin entend instituer un tarif douanier zéro pour certaines marchandises en provenance du continent, afin d’accroître le volume de ses importations. À cet égard, le président chinois n’a pas caché l’intérêt de son pays pour les matières premières africaines. Si l’Afrique abonde de ressources naturelles et humaines, a-t-il expliqué, la Chine possède, elle, la technologie capable de les valoriser. Se faisant l’avocat d’une « coprospérité sino-africaine », il a pris soin de rappeler que l’assistance de son pays n’est assortie « d’aucune condition politique », en dehors de la non-reconnaissance de Taïwan, alors que les bailleurs de fonds occidentaux, à commencer par le FMI, s’efforcent d’imposer le respect de critères de « bonne gouvernance ». Peu sourcilleux sur le chapitre des droits de l’homme, Pékin est réfractaire à toute forme d’ingérence.
Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine s’estime bien placée pour soutenir les revendications africaines et impulser une réforme de cette institution en vue d’y accroître la représentation des pays en développement. Elle compte convaincre les pays développés d’ouvrir davantage leurs marchés, d’abaisser leurs barrières commerciales, d’augmenter le montant de leur aide publique et de multiplier les annulations de dette. Un vrai discours tiers-mondiste à l’ère de l’OMC !
Bien sûr, la farouche rivalité qui oppose les dirigeants chinois à leurs frères ennemis taiwanais n’est pas tout à fait étrangère à cette sollicitude. En août 2000 puis en novembre 2002, le président taiwanais Chen Shui-bian s’est rendu à deux reprises en visite officielle en Afrique, mais le fait est là : Taipei n’entretient plus de relations diplomatiques qu’avec sept pays du continent. Dans cette course à la reconnaissance internationale, Hu Jintao entend bien marquer de nouveaux points, et Omar Bongo Ondimba a promis de le soutenir dans cette tâche : « Je réaffirme notre attachement aux principes de la réunification pacifique et de l’intégrité territoriale de la Chine, nous continuerons de militer en faveur de cette grande cause auprès de tous nos amis », a souligné le président gabonais. Quarante ans après la spectaculaire, quoique à demi infructueuse, tournée africaine du Premier ministre Chou En-lai, la Chine prend à nouveau rendez-vous avec le continent. Grande différence : elle a aujourd’hui les moyens de mettre en oeuvre une véritable politique africaine.

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