Bénin : face à Patrice Talon, Iréné Agossa, opposant isolé ?

Le « ticket » qu’il formait avec Corentin Kohoué à la présidentielle a été accusé de n’avoir été qu’un faire-valoir de la candidature de Patrice Talon. Iréné Agossa s’impose pourtant aujourd’hui comme le représentant de « l’opposition réelle » au président béninois. Mais aura fort à faire pour convaincre de sa bonne foi.

Iréné Agossa, ex-candidat à la vice-présidence du Bénin. © PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Iréné Agossa, ex-candidat à la vice-présidence du Bénin. © PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Publié le 18 septembre 2021 Lecture : 5 minutes.

À défaut de la vice-présidence de la République, il se contente aujourd’hui de la présidence de son parti, « Restaurer la confiance », qu’il a porté sur les fonts baptismaux en juin dernier. Bâtie sur les cendres du mouvement qu’il avait constitué pour porter le « ticket » qu’il présentait aux côtés de Corentin Kohoué à la présidentielle d’avril dernier face à Patrice Talon, la jeune formation devra jouer des coudes pour se faire une place sur la scène politique béninoise. Surtout, il va falloir à Iréné Agossa déployer des trésors de persuasion pour convaincre ses contempteurs qu’il n’est pas le traître qu’ils dépeignent.

Rêve d’alternance

Dans le vaste bureau blanc où il accueille ses visiteurs, aucune photo, pas un tableau n’orne les murs. Irénée Agossa, fils de paysan de 52 ans qui a fait ses premières armes dans les syndicats étudiants au sein de l’Union nationale des étudiants du Bénin (UNEB), entretien une image d’ascète. C’est ici que l’opposant élabore la stratégie de son parti avec, affirme-t-il, un objectif en tête : les législatives de 2023. « Le parti Restaurer la confiance, est la suite logique de la dynamique lancée lors de la campagne présidentielle », assure-t-il. « Le peuple n’a plus confiance en ses institutions », estime celui qui se présente comme un « opposant républicain » et plaide pour un « sursaut démocratique ». Ses cibles récurrentes ? « La corruption et l’accaparement de l’économie nationale par une minorité » et « la logique ultra capitaliste à l’œuvre depuis 2016 ». Et il n’hésite pas à se fixer un horizon pour le moins ambitieux : « Nous pouvons parvenir à une alternance. »

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Il y a loin de la coupe aux lèvres. Et l’opposant le sait. Les premiers qu’il devra convaincre figurent parmi ses anciens alliés au sein de l’opposition. Jusqu’aux derniers jours précédant le dépôt de leur candidature commune pour la présidentielle d’avril dernier – à l’issue de laquelle ils n’ont recueillis que moins de 3% des voix – Agossa et Kohoué comptaient parmi les principaux cadres du parti Les Démocrates, créé par l’ancien président Thomas Boni Yayi, tout entier lancé dans sa croisade anti-Patrice Talon.

Tandis que les discussions sur la désignation des candidats battaient son plein, Agossa et Kohoué s’épanchaient dans la presse

Tandis que les discussions sur la désignation des candidats battaient son plein, les deux hommes s’épanchaient dans la presse et critiquaient la tournure prises par les débats internes. Les deux hommes sont exclus. Et lorsque le parti désigne Réckya Madougou et Patrick Djivo  pour porter ses couleurs, Agossa et Kohoué se précipitent à la Commission électorale nationale autonome pour déposer leur dossier de candidature. Au sein des Démocrates, on accuse le duo de félonie, d’autant que les deux hommes, à la différence du duo dûment désigné, a pu présenter les précieux parrainages exigés.

Les candidatures de Réckya Madougou, ainsi que celles de Joël Aïvo sont rejetées. Seuls restent en lice, face à Patrice Talon et sa colistière Mariam Chabi Talata, les duos Kohoué-Agossa et Alassane Soumanou-Paul Hounkpè, pour les Forces cauris pour un Bénin émergent. Au terme d’une campagne atone, à l’issue de laquelle Patrice Talon a réalisé le « coup KO » tant annoncé par ses partisans, Kohoué et Agossa finissent bon dernier, avec un tout petit 2,25% des voix.

Ligne de crête

Paul Hounkpè hérite du rôle de « chef de file de l’opposition », créé à la faveur de la dernière réforme constitutionnelle. Agossa, abandonné par Corentin Kohoué qui a décidé de ne pas poursuivre l’aventure politique à ses côtés, se retrouve bien seul. Et si l’homme prend un plaisir évident à user de sa voix de velours pour tenter de convaincre ses interlocuteurs, il peine encore à trouver la tonalité sur laquelle jouer sa partition au sein d’une opposition en pleine recomposition. Entre la frange « dure », dont certains des représentants sont actuellement incarcérés (à l’image de Madougou et Aïvo, quand d’autres ont choisi l’exil après avoir été condamnés par la justice de leur pays), et un chef de file qui entend occuper la place « d’opposant ouvert au dialogue », la ligne de crête est fine.

Il rejette la « rupture démocratique » qu’il accuse Patrice Talon d’incarner

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Le quinquagénaire a déjà une longue carrière politique derrière lui. Après ses premiers pas dans le syndicalisme estudiantin, il va créer son premier parti en 1998, le Front pour la République, avant de cofonder l’Union pour la relève, en 2004. Après un passage au sein de la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication, où il siège en tant que représentant de l’Assemblée nationale, il se verra confier par Thomas Boni Yayi les rênes de la Société nationale de commercialisation des produits pétroliers. Un passage en tant que directeur général de la Sonacop dont il sera suspendu sur fond de soupçons de mauvaise gestion, en 2016, devenant ainsi le premier protégé de Thomas Boni Yayi à « sauter » quelques jours seulement après que Patrice Talon ne prenne ses quartiers au Palais de La Marina.

Aujourd’hui, cet ancien allié de Lionel Zinsou tente de jouer la carte « républicaine ». D’un côté, il rejette la « rupture démocratique » qu’il accuse Patrice Talon d’incarner. Un président « venu par les urnes, mais qui a tout fait pour que le Parlement soit géré uniquement par sa tendance politique, qui fait passer des lois qui s’imposent à tous sans qu’il soit possible d’entendre un autre son de cloche sur la gestion des affaires publiques ». De l’autre, il dénonce « ceux qui appellent à la violence » et se défie des appels au boycott. « Nous respectons les lois de la République, même si nous ne sommes pas d’accord avec elles. Nous ne pourrons les rectifier qu’en passant par les urnes », insiste-t-il.

Partisan d’un « retour des opposants exilés »

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En attendant de (re)constituer une base militante à même de lui permettre d’envoyer d’éventuels députés à l’Assemblée, le patron de « Restaurer la confiance » se dit partisan d’un « retour des opposants exilés » et affirme être prêt à discuter avec Paul Hounkpè, en vue de la mise en place d’une « plateforme commune de l’opposition »… Tout en affirmant tout de go qu’il a un « problème de principe » avec le chef de file de ladite opposition qu’il accuse d’avoir « un problème de légitimité ».

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