Gabon : plongée dans l’inconnu

Pour relancer une production d’or noir déclinante, Libreville s’apprête à attribuer 14 blocs offshore. Problème : en attendant la refonte du code pétrolier, les grands groupes, prudents, ne se bousculent pas.

En 2012, le Gabon a produit 244 000 barils de pétrole par jour, contre 365 000 en 1997. © Reuters

En 2012, le Gabon a produit 244 000 barils de pétrole par jour, contre 365 000 en 1997. © Reuters

Publié le 17 février 2014 Lecture : 4 minutes.

Le suspense aura duré plus de trois ans, mais le Gabon vient de franchir un pas significatif vers l’exploration pétrolière en offshore profond. Annoncée en 2010, la vente de 43 blocs au large des côtes du pays se précise, après la consultation restreinte lancée par le gouvernement avec plusieurs sociétés pétrolières il y a un peu moins d’un an. Étienne Ngoubou, ministre du Pétrole et des Hydrocarbures, a ainsi dévoilé un premier classement des compagnies ayant fait « les meilleures offres ». Quatorze blocs devraient être attribués dans les mois qui viennent, et les candidatures de treize entreprises ont pour l’instant été retenues.

Candidats

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Pour Étienne Ngoubou, cette opération est un « succès, dans la mesure où les plus importantes sociétés pétrolières évoluant dans ces zones ont répondu favorablement à notre invitation ». Avant de concrétiser la signature de contrats d’exploration et de partage de production dans l’offshore profond, un dernier round de négociations doit permettre, « d’ici à avril » selon le ministre, de départager les candidats encore en lice. Parmi eux, quelques majors comme le géant américain ExxonMobil, jusqu’alors absent du Gabon, et bien sûr Total et Shell, les deux principaux producteurs du pays, où ils sont implantés de longue date et détiennent déjà des permis en offshore profond.

Exxon Mobil, Total et Shell ont répondu présent. Pas Chevron, ni BP.

Plusieurs acteurs du secteur soulignent cependant que l’engouement a été moins fort qu’espéré. « On annonçait d’autres sociétés internationales, comme Chevron ou BP ; on ne les a pas vues. Et de manière générale, les majors ont fait des offres volontairement basses par rapport aux autres compagnies [comme Marathon Petroleum, Perenco ou Cobalt] », assure un opérateur.

Par exemple, sur le bloc C-11, Exxon et Shell arrivent en deuxième et troisième position derrière la société Noble. Sur un autre bloc, Total a été éliminé en raison d’une proposition financière jugée trop faible, alors qu’il était seul en lice.

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Eldorado

Les enjeux sont pourtant colossaux, tant pour l’État gabonais que pour les compagnies. Le Gabon se rêve en nouvel eldorado pétrolier, alors que sa production n’a cessé de décliner depuis vingt ans, passant de 350 000 barils par jour à la fin des années 1990 à environ 250 000 actuellement. Aucune découverte majeure n’a eu lieu depuis celle de Shell sur le champ onshore de Rabi-Kounga (plus de 1,2 milliard de barils) en… 1985. Or la filière fournit environ 60 % des recettes publiques. Le Gabon maintient son niveau de production en maximisant l’exploitation de champs déjà matures ou en développant des gisements marginaux.

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Dans ce contexte, l’offshore profond suscite de grands espoirs. Le potentiel du bassin géologique où se trouvent les blocs en cours d’attribution est jugé immense, du fait de ses similitudes avec un bassin situé au large du Brésil où d’importants gisements de pétrole ont été découverts depuis 2006.

De plus, Total a annoncé mi-2013 une découverte prometteuse de gaz à condensats lors de son premier forage exploratoire ultraprofond sur le permis Diaba. « On aurait préféré que ce soit du pétrole, mais c’est très positif car cela prouve l’existence d’un système pétrolier dans la zone », explique un géophysicien gabonais.

Qui rappelle toutefois que « la partie se joue à l’échelle mondiale. Tant que les compagnies exploitent d’autres réserves importantes – notamment dans les pays voisins comme l’Angola ou la Guinée équatoriale -, elles ne vont pas forcément se précipiter dans un pays où [le succès] est encore hypothétique ».

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Code pétrolier

D’autant que, au moment même où l’État cherche à attirer des investisseurs, il multiplie les signaux contradictoires. Attendu depuis des années, le nouveau code pétrolier, qui doit remplacer l’actuel texte datant de 1962 et devenu obsolète, ne devrait pas voir le jour avant 2015.

Censé permettre à la fois une amélioration de l’environnement des affaires et l’accroissement de la part des bénéfices pétroliers restant au Gabon – actuellement inférieure à 20 %, selon Étienne Ngoubou -, le futur texte suscite une inquiétude croissante chez les opérateurs.

« L’absence de code peut créer une véritable insécurité juridique, car beaucoup de questions restent en suspens. Quelle sera la fiscalité, quelle sera la participation de l’État dans les nouveaux contrats ? Les sommes en jeu sont énormes et le niveau de risque élevé », commente un spécialiste du secteur, soulignant que, pour un seul forage d’exploration en eau profonde, l’investissement est d’environ 150 millions de dollars (110 millions d’euros).

« On ne sait pas du tout où on en est, pas mal de rumeurs circulent », explique un opérateur. Selon le ministère, l’État a l’intention de prendre, dans un avenir proche, des parts dans toutes les sociétés étrangères opérant au Gabon. Le futur texte pourrait notamment autoriser la jeune compagnie nationale, Gabon Oil Company (GOC, créée en 2011), à participer à hauteur de 15 % à tous les contrats.

Contentieux

L’affaire Addax Petroleum a également secoué le secteur. Sanctionnée pour avoir manqué à différentes « obligations contractuelles » fiscales, douanières et environnementales, la filiale du pétrolier chinois Sinopec s’était vu retirer fin 2012 l’exploitation d’un gisement de brut (une première au Gabon) et avait porté le contentieux devant la cour arbitrale de la Chambre internationale de commerce de Paris.

En janvier, l’État a réussi à régler ce bras de fer judiciaire à l’amiable, obtenant, selon l’agence Reuters, une compensation de plus de 400 millions de dollars. Addax Petroleum devait reprendre à compter du 1er février le rôle d’opérateur du champ Obangue – entre-temps confié à GOC.

Un soulagement alors que l’État espère doubler la production nationale pour atteindre 500 000 barils par jour. Il lui faudra de toute façon être patient : à partir d’une découverte significative, une petite dizaine d’années est nécessaire avant de pouvoir lancer l’exploitation.

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