Le pouvoir de la pensée positive

Des médecins expérimentent l’effet placebo dans l’espoir de rendre les médicaments encore plus performants. Comment réagissent les patients.

Publié le 10 février 2004 Lecture : 6 minutes.

Les spécialistes de l’effet placebo ont longtemps expliqué que l’état de certains patients s’améliorait après avoir pris un faux médicament parce qu’ils croyaient en avoir pris un vrai. Aujourd’hui, les médecins cherchent à percer les secrets de ce mystérieux effet afin d’augmenter l’efficacité des vrais remèdes. Et cela pourrait avoir d’importantes répercussions financières, dans la mesure où les ordonnances sont de plus en plus coûteuses. Par ailleurs, les médecins l’affirment : s’ils arrivaient à comprendre le fonctionnement de l’effet placebo et à l’utiliser, ils seraient alors à même de diminuer les doses pour un grand nombre de patients. Outre la notable économie qui en résulterait, cette découverte contribuerait aussi à limiter les effets secondaires des traitements. Et les ordonnances seraient sans doute mieux suivies.
De nombreux praticiens affirment avoir vu des malades guérir plus vite, simplement parce qu’ils semblaient mieux réagir à un « pronostic positif ». « Cette idée a longtemps été assimilée à une pratique s’apparentant au vaudou », explique Lanny J. Rosenwasser, spécialiste de l’asthme au National Jewish Medical and Research Center de Denver. Mais de nombreux essais cliniques sont en cours pour confirmer ces observations. Si c’était le cas, les visites médicales pourraient prendre une autre tournure. En attendant, les chercheurs se livrent à des expériences fort diverses.
L’une d’entre elles, qui cherche à établir si l’action du Montelukast®, un médicament contre l’asthme, ne serait pas plus forte s’il était valorisé par un emballage plus gai, a consisté à administrer des traitements différents à deux groupes de malades.
À ceux du premier, on a dit : « En prenant ce médicament, vous vous mettrez à l’abri d’une crise d’asthme », ou encore : « Les gens qui ont pris ce médicament ont non seulement amélioré l’état de leur asthme, mais affichent aussi une meilleure santé et une meilleure qualité de vie. » Les patients du second groupe se contentaient de lire des documents sur les méfaits de l’asthme, l’importance de suivre une thérapie contre la maladie et autres sujets relatifs à ce mal. On attend, pour l’instant, les résultats.
Cependant, vouloir renforcer l’efficacité d’un médicament au point de manipuler l’opinion d’un malade peut aussi poser de délicates questions d’éthique. Tous les médicaments ont des effets secondaires, et il est fort possible que l’effet placebo disparaisse si un praticien commence à les énumérer un à un à son patient. En même temps, négliger de les citer ne serait pas déontologique.
Ces recherches sont facilitées par de formidables progrès techniques qui permettent désormais aux scientifiques d’étudier la manière dont le cerveau réagit. Grâce aux nouveaux équipements visuels, les chercheurs peuvent voir quelle partie du cerveau est affectée lorsque le patient prend tel médicament ou un placebo. Ils peuvent voir si un changement se produit dans l’activité du cerveau lorsqu’un malade espère qu’un médicament sera efficace.
Autre motivation : le mécontentement grandissant de beaucoup de médecins pratiquant les soins intégrés qui sont contraints de réduire sévèrement le temps passé auprès de leurs patients. L’une des priorités des chercheurs est de vérifier si la relation qu’entretient un médecin adepte de la pensée positive avec le malade peut éventuellement contribuer à augmenter l’efficacité d’un médicament.
Les médecins pourraient alors réclamer une marge de manoeuvre plus importante, ainsi qu’une rétribution pour le temps supplémentaire passé auprès des patients.
Cet intérêt grandissant pour la promotion d’un traitement lors de sa prescription – un autre type d’effet placebo – arrive au moment où le placebo classique tombe en disgrâce. D’autant que se pose de plus en plus le problème éthique de savoir si l’on peut continuer à utiliser des comprimés factices lorsqu’on fait des tests de médicaments. Pour couper court aux critiques, on inclut désormais le placebo dans nombre d’expériences destinées à vérifier si la réaction positive d’un patient à un nouveau médicament est davantage suscitée par le médicament lui-même que par son espoir d’aller mieux.
Pour beaucoup de médecins, compte tenu du nombre de traitements efficaces existants, il serait plus éthique de confronter les nouveaux médicaments à ceux qui existent déjà plutôt qu’aux médicaments factices.
Dans une étude plutôt contestée publiée en 2001 dans The New England Journal of Medicine, deux chercheurs danois analysaient les résultats de 114 enquêtes concernant 40 maladies différentes et y trouvaient peu de confirmation de l’efficacité des placebos. Selon eux, la raison pour laquelle l’état d’un malade s’améliorait lorsqu’il prenait des pilules factices était probablement dû au fait que même dans les maladies les plus graves, les périodes de rémission et de rechute alternent.
De nouvelles études sont en cours pour étudier l’impact de l’effet placebo sur les vrais médicaments. Les National Institutes of Health américains financent actuellement plus d’une demi-douzaine d’enquêtes qui vont dans ce sens. Les études se focalisent sur des maladies telles que l’asthme et l’hypertension, connues pour avoir des effets psychologiques qui intensifient les symptômes du malade. On pourrait connaître les résultats dès cette année.
Le docteur Rosenwasser travaille dans un département sous l’égide du Mind Brain Body and Health Initiative, à Galveston, au Texas, pour découvrir si le Salmeterol®, un médicament courant utilisé contre l’asthme, agirait mieux si le médecin en vantait les bienfaits. Un premier praticien se montrera plein d’entrain envers le médicament et engagera une discussion avec les malades à ce propos. Un second médecin sera plus distant et bref, consacrera moins de temps aux malades et quittera la pièce après seulement une ou deux minutes de conversation. Ted Kaptchuk, qui dirige une équipe travaillant sur le placebo à la Harvard Medical School, supervise une étude sur un médicament utilisé pour traiter un mal courant et rebelle affectant les voies digestives. Des malades prendraient le médicament sous le contrôle d’un médecin chaleureux et positif à l’égard du remède. Il prendrait le temps de s’asseoir pour les écouter avec attention et se pencherait vers eux de temps en temps pour les toucher. D’autres seraient soignés par un médecin qui leur ferait une rapide présentation sur les bienfaits du médicament avant de quitter la pièce. « Ces médicaments, qui sont par ailleurs excellents et ne cessent de s’améliorer, nous les possédons déjà, affirme Kaptchuk. Mais nous croyons que la perte de l’art de la médecine les rend bien moins efficaces qu’ils ne pourraient l’être. »
Jusqu’ici, la plupart des recherches sur l’effet placebo se focalisaient sur les réactions provoquées par la pensée positive, après absorption par des malades de comprimés factices. Aujourd’hui, on se demande si l’effet placebo ne pourrait pas augmenter l’efficacité de vrais comprimés.
Larry Streeter, un homme de 47 ans, originaire de Natick, dans le Massachusetts, qui a survécu à un lymphome, a été l’un des premiers à se rendre compte du rôle important que pouvait jouer un médecin dans la lutte contre une maladie. Après le diagnostic de son cancer, il a subi un traitement lourd avec radiothérapie et chimiothérapie. Tout au long de cette épreuve, son médecin n’a cessé de se montrer optimiste, lui affirmant à chaque fois qu’il le voyait qu’il vaincrait son cancer.
C’est seulement une fois la chimiothérapie achevée que Streeter a interrogé son médecin sur le degré de gravité de sa tumeur. « Vos chances de survivre étaient à moins de 50 % », lui dit le médecin. Et lorsqu’il a demandé au docteur pourquoi il ne lui avait pas dit qu’il avait si peu de chances de s’en tirer, ce dernier lui a répondu : « Comme vous ne me l’aviez pas demandé, j’ai supposé que vous ne vouliez rien savoir. »
Cela fait maintenant dix-huit ans que Streeter est guéri. Aujourd’hui encore, il reste persuadé que le comportement de son médecin a joué un grand rôle dans sa guérison. « Son attitude dès la première minute où je l’ai rencontré m’a donné la certitude que mon cancer pouvait être et serait vaincu. »

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