Le livre par qui le scandale arrive

La publication d’un ouvrage dénonçant le « naufrage » de l’alternance enflamme le microcosme dakarois. Un ministre a porté plainte…

Publié le 10 février 2004 Lecture : 5 minutes.

La polémique provoquée par le livre d’Abdou Latif Coulibaly n’est pas encore retombée que, déjà, une autre enflamme le microcosme politico-médiatique sénégalais. Au centre de cette nouvelle controverse : Almamy Mamadou Wane, 40 ans. Longtemps résident en France, il a regagné son pays le 2 novembre 2003. Quinze jours auparavant, le 15 octobre, il avait publié aux éditions L’Harmattan, à Paris, un livre-réquisitoire intitulé Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’alternance, qui n’a suscité l’enthousiasme ni des autorités sénégalaises ni des diverses personnalités qu’il met en cause. C’est le moins que l’on puisse dire.
Le premier à réagir a été Cheikh Tidiane Sy, le ministre d’État à la présidence de la République, qui fut, dans le passé, directeur de l’École nationale d’économie appliquée (Enea), à Dakar, fonctionnaire à l’Unesco, conseiller de l’ancien président zaïrois Mobutu Sese Seko et représentant du secrétaire général des Nations unies. Le 30 décembre, il a demandé au tribunal de grande instance de Paris de déclarer Almamy Mamadou Wane et les éditions L’Harmattan coupables de diffamation, de les condamner à lui payer 76 231,13 euros (50 millions de F CFA) de dommages-intérêts et d’ordonner la publication de la décision à venir dans plusieurs journaux (dont Jeune Afrique/l’intelligent). La plainte vise plus particulièrement un passage du livre dans lequel l’auteur écrit : « C’est à ce moment clé que sont apparus les animateurs de la Françafrique dans toute sa diversité. Ils ont proposé leurs services financiers via Cheikh Tidiane Sy (Enea), devenu président d’une banque de la place (la Bicis), avant d’accéder à la dignité de ministre d’État. Cheikh Tidiane était drivé par l’équipe Foccart, qui à l’époque couvait aussi le conseiller financier de Wade, Samuel Sarr. L’argent de Mobutu a permis de financer la volte-face de l’opposant Wade. Il ne s’agissait pas de l’aider, mais plutôt de le neutraliser au profit de Diouf. »
Le 17 janvier, une dépêche de la Pana, l’agence de presse panafricaine, annonçait que le président Abdoulaye Wade avait à son tour porté plainte auprès du tribunal de grande instance de Paris. Reprise par les journaux sénégalais, l’information a largement contribué à gonfler « l’affaire ». Pourtant, trois semaines après, Wane et son éditeur n’avaient toujours pas reçu la moindre assignation. Le 5 février, Souleymane Ndéné Ndiaye, le porte-parole du chef de l’État, a mis fin au suspense en démentant formellement l’existence d’une quelconque plainte.
En revanche, les intéressés ont reçu la lettre que leur a adressée, le 23 janvier, l’homme d’affaires franco-sénégalais Jean-Claude Mimran, patron de la Compagnie sucrière sénégalaise. Le porte-parole de ce dernier juge certains passages du livre « attentatoires à la dignité et à l’honneur de M. Mimran ». « Vous auriez pu savoir, ajoute-t-il, qu’il n’y a jamais eu aucun décret présidentiel octroyant au Groupe Mimran la moindre parcelle de terrain. […] Je vous somme en conséquence de procéder, dans les plus brefs délais, aux rectificatifs nécessaires aussi bien dans votre ouvrage que par voie de presse appropriée. À défaut, nous ne manquerons pas de saisir les tribunaux français compétents pour exiger réparation et faire valoir nos droits. »
Mais c’est sans doute à l’encontre du chef de l’État que le livre de Wane est le plus sévère. L’auteur affirme que « tout le pays est livré à une corruption inouïe et un néocolonialisme distingué » et que l’alternance est, à l’image du Joola, « en train de faire naufrage ». Il met en cause « les trahisons politiques de l’ancien opposant, ses attaches avec les réseaux françafricains, ses tentatives de diviser le pays par une spéculation sur les liens confrériques ». Une attaque en règle que l’entourage de Wade assimile à « une vengeance de l’auteur pour des raisons familiales ». Almamy Mamadou Wane est, en effet, le fils de Baïla Amadou Moctar Wane, un ancien compagnon de Wade qui fut membre fondateur du Parti démocratique sénégalais (PDS, aujourd’hui au pouvoir) avant d’en partir. À l’âge de 10 ans, Almamy Mamadou vendait à la criée Le Démocrate, le journal du PDS de l’époque. La plainte de Cheikh Tidiane Sy fait également allusion à une possible vendetta.
Pour sa part, l’auteur estime n’avoir écrit son livre que « pour contribuer à corriger les dérives en cours au Sénégal depuis le 19 mars 2000 ». Il n’en est pas à son coup d’essai. Depuis huit ans, il milite à Survie, une association connue pour ses thèses « anti-impérialistes » et altermondialistes. En 1997, il a publié, sous le couvert de l’anonymat, un ouvrage au titre évocateur : France-Sénégal : une vitrine craquelée. Il a également participé à la rédaction de Noir Silence, un brûlot sur la Françafrique qui valut à son auteur, François-Xavier Verschave, le patron de Survie, un retentissant procès. C’est d’ailleurs Me Antoine Comte, qui assista (victorieusement) Verschave contre Denis Sassou Nguesso, Omar Bongo Ondimba et Idriss Déby, qui assure la défense de Wane.
Accablé par les plaintes et les menaces de poursuites, celui-ci affirme néanmoins n’avoir fait jusqu’ici l’objet d’aucune tentative d’intimidation. Il assure détenir suffisamment d’éléments pour sa défense et multiplie les attaques contre Wade sur le thème de la Françafrique. Le chef de l’État est pourtant jugé trop « américanophile » par nombre de responsables français.
Quel que soit le futur verdict, toute cette affaire constitue évidemment une excellente publicité pour le livre, qui en est déjà à son cinquième tirage. C’est la meilleure vente des éditions L’Harmattan en 2003. Il est d’ailleurs permis de se demander si c’est le scandale ou la personnalité même d’Abdoulaye Wade qui constitue le meilleur argument de vente.
À l’instar d’un François Mitterrand, il y a dix ou quinze ans, le chef de l’État sénégalais est en passe de devenir un véritable « phénomène d’édition ». Depuis son arrivée au pouvoir, il y a presque quatre ans, une dizaine d’ouvrages lui ont été consacrés, parmi lesquels Chronique d’une alternance, de Malick Diagne ; Wade, un opposant au pouvoir : l’alternance piégée ? d’Abdou Latif Coulibaly ; Gorgui, de Mbaye Gana Kébé ; et Nous avons choisi la République, d’Abdoulaziz Diop. Le dernier en date, Me Wade et l’alternance : le rêve brisé du sopi, est un autre réquisitoire. Son auteur, Mody Niang, est inspecteur de l’enseignement. Il a présenté son livre au public le 24 janvier.

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