Le début d’une lune de miel

Kadhafi a tenu sa promesse : la destruction de son arsenal d’armes de destruction massive est en cours. Washington applaudit…

Publié le 6 février 2004 Lecture : 4 minutes.

Américains et Libyens ne s’embrassent pas encore, mais cela ne saurait tarder… À écouter les porte-parole de la Maison Blanche et du département d’État, on croit rêver. Ils parlent de la Libye et de Mouammar Kadhafi en des termes incroyables il y a peine quelques semaines. Nous sommes à des années-lumière des menaces tonitruantes du président Ronald Reagan contre le « chien à abattre » qu’était Kadhafi en 1986. L’ancien « ennemi public numéro un des États-Unis » était donc on ne peut plus heureux lorsqu’il a reçu sous sa tente à Tripoli, le 26 janvier dernier, une délégation de congressistes américains. Ceux-ci venaient le féliciter pour sa décision historique – annoncée le 19 décembre 2003 – de mettre fin à son « programme nucléaire » et de détruire son arsenal d’armes chimiques… Immédiatement saluée par le président George W. Bush et le Premier ministre britannique Tony Blair, cette volte-face marque le début de la fin de la politique antiaméricaine de Kadhafi. Sept semaines plus tard, il est évident que l’annonce du 19 décembre n’était pas une « Kadhafiade » de plus.
Trente-trois ans après l’évacuation de la base américaine de Wheelus (4 600 GI’s), à la demande expresse d’un Kadhafi fraîchement installé au pouvoir (1er septembre 1969), les relations entre Tripoli et Washington se décrispent jour après jour. Scott McClellan, porte-parole de la Maison Blanche, salue le 27 janvier « les progrès excellents » réalisés par la Libye « dans son processus de rapprochement avec le monde ». Le 3 février, c’est au tour de Richard Boucher, porte-parole du département d’État, de déclarer à la presse que « la Libye a fondamentalement changé » et d’annoncer que le secrétaire d’État adjoint William J. Burns entame à partir du 6 février, à Londres, un « dialogue politique » avec les représentants des affaires étrangères libyennes… Pourquoi Londres et pas Tripoli, lui lancent des journalistes pressés ? Burns explique que le processus de réconciliation prendra plusieurs mois et qu’il est encore trop tôt pour rétablir des relations diplomatiques rompues en 1979, lever l’embargo économique et retirer la Libye de la liste des États terroristes. Ce qui n’empêche pas, indique-t-il, qu’un « autre dialogue » se déroule à Tripoli même entre des experts anglo-américains et les autorités libyennes chargées du démantèlement des « armes de destruction massive » (ADM). Leur travail, précise-t-il, progresse très vite.
Effectivement, la première navette aérienne entre Tripoli et Knoxville, au Tennessee, a eu lieu dans la nuit du 26 au 27 janvier. À bord de l’avion-cargo militaire, près de 25 tonnes de « documents et de matériels sensibles », liés à l’enrichissement de l’uranium, ont été transportées au Laboratoire national d’Oak Ridge, chargé de les examiner. Ces équipements sont certes loin de permettre à la Libye de fabriquer une bombe atomique. Mais c’est leur qualité et leur origine qui intéressent le plus les services américains. En termes de tonnage, ils représentent 5 % de ce que les experts anglo-saxons ont répertorié lors de leurs visites sur les sites classés « ADM ».
Une autre équipe d’experts est également sur place pour localiser et détruire les armes chimiques (gaz moutarde et autres) dont la Libye avait nié l’existence en 1986 lors du bombardement américain de Tripoli et de Benghazi (37 morts). Une troisième équipe devra s’occuper prochainement de la destruction des missiles longue portée.
De l’avis même des porte-parole américains, ce processus sera long. Faut-il attendre la fin pour commencer à « remercier » la Libye en démantelant l’arsenal de sanctions américaines imposées depuis 1982 ? Sous la pression des compagnies pétrolières, un consensus se dessine à Washington. Parallèlement à la destruction des ADM, les Américains feront des « gestes » de réciprocité : le premier sera de lever l’interdiction de voyager en Libye pour les pétroliers américains (les autres entrepreneurs attendront) et quelques autres restrictions sur la livraison de certains équipements destinés à remettre en état les gisements abandonnés entre 1982 et 1986.
Outre le rétablissement du « dialogue politique » à Londres, ce geste permettra aux familles des victimes de l’attentat de Lockerbie d’encaisser la deuxième tranche des indemnisations versées par la Libye, mais bloquées en attendant la levée des sanctions américaines (1,62 milliard de dollars, soit 6 millions par famille). Ce sera un bon point pour George W. Bush à la veille de l’échéance électorale de novembre prochain.
Les compagnies pétrolières souhaitent au plus vite retourner en Libye, les unes pour retrouver leurs anciennes concessions (Tripoli ne les a jamais rétrocédées aux compagnies européennes), les autres pour négocier des contrats de prospection. Avec seulement le quart de son territoire exploré, la Libye dispose de 3 % des réserves mondiales (de 30 à 36 milliards de barils), le tiers du potentiel irakien. Mais son pétrole, d’une excellente qualité (« Sweet Crude »), est peu coûteux à extraire (de 1 à 2 dollars le baril). En outre, il est proche du marché européen et moins éloigné pour les Américains, que celui du Golfe. C’est donc tout bénéfice pour les firmes américaines, qui, avec 1 million de barils par jour, assuraient la moitié de la production libyenne il y a trente ans.

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