L’eau un droit universel ?

Alors que les besoins augmentent, les sources d’approvisionnement se tarissent. Après la réflexion, l’heure est à l’action.

Publié le 10 février 2004 Lecture : 5 minutes.

Ala veille de l’ouverture du XIIe congrès de l’Union africaine des distributeurs d’eau
(UADE), qui se tiendra à Accra (Ghana) du 16 au 19 février, 1,4 milliard d’êtres humains
sont toujours privés d’un accès satisfaisant à l’eau potable, dont 450 millions sur le seul continent africain. Un « accès raisonnable » correspond, selon l’ONU, à une quantité de 20 litres par jour et par personne. L’année 2003, consacrée à l’eau douce par les
Nations unies, a certes permis de célébrer ses vertus vitales ! , de recenser les dangers qui la menacent, de mesurer ses enjeux, ou encore de réfléchir aux moyens de mieux la répartir. Mais de véritables avancées ont-elles été enregistrées ? Les chiffres continuent malheureusement à être égrenés comme autant d’épées de Damoclès.
Les réserves de la planète se rétrécissent telle une peau de chagrin pour atteindre aujourd’hui 140 000 km3. Une infime partie de l’eau qui recouvre la planète (2,5 %) est potable… mais pas forcément disponible puisque les trois quarts sont retenus dans les glaces polaires. Or, en un siècle, la consommation d’eau destinée à l’utilisation humaine a été multipliée par six, alors que la population mondiale a « seulement » triplé. Comment résoudre cette équation alors qu’il n’existe pas de substitut à l’or bleu ?
Les enjeux ne sont pas les mêmes pour tous les pays. À l’échelle planétaire, les différences de répartition et d’utilisation de l’eau sont criantes : tandis qu’un Américain consomme en moyenne 600 litres d’eau par jour, l’Africain moyen doit se contenter de 10 à 20 litres. Un chiffre qui ne dit pas tout des disparités flagrantes à l’intérieur même du continent africain.
Pourtant, un tiers des grands bassins fluviaux du monde sont en Afrique. Mais le bassin du Nil, partagé par 10 pays, celui de la Volta (6 pays), du Niger (11 pays), du lac Tchad (8 pays), ou encore celui du fleuve Congo (9 pays) et celui du Zambèze (9 pays) ne suffisent pas à arroser les quelque 30,3 millions de km2 de l’Afrique. C’est l’Afrique équatoriale qui est la mieux lotie. Elle constitue l’un des plus grands réservoirs d’eau douce au monde. En Guinée, par exemple, on dénombre près de 12 bassins fluviaux. En revanche, les pays du Sahel ou du Sahara souffrent régulièrement de « stress hydrique », une situation définie après avoir comparé les quantités d’eau douce consommées et les ressources disponibles. Quand ce rapport est de plus de 40 %, les pays victimes de stress hydrique doivent importer de l’eau ou la fabriquer. L’Afrique du Nord, la Mauritanie et l’Éthiopie, mais aussi les régions semi-arides du Botswana, de Namibie et d’Afrique du Sud doivent régulièrement faire face à de sérieuses pénuries.
Les pays du Maghreb et du Sahel connaissent en effet des périodes de sécheresse sévère et durable, durant lesquelles les populations sont encore plus demandeuses d’eau, qu’elles utilisent principalement pour irriguer les sols cultivés. Dans cette zone, 80 % des réserves en eau sont destinées à l’agriculture. Les bassins fluviaux ne sont toutefois pas inépuisables. Ainsi, le débit du Nil a fortement diminué : de 84 km3 en 1954, il est passé à 52 km3 aujourd’hui. Le lac Tchad, le seul lac de la zone sahélienne au sud du Sahara, est également menacé de disparition. À l’origine, il couvrait 350 000 km2. Dans les années 1960, il ne faisait plus que 25 000 km2, pour aujourd’hui avoisiner les 2 000 km2 ! Les causes de ce désastreux amenuisement sont connues… mais comment lutter contre la sécheresse, les pompages intempestifs ou l’irrigation à grande échelle ? L’urgence est réelle : depuis 1950, le continent africain a englouti les six huitièmes de ses réserves (nappes phréatiques, lacs, fleuves). Et les spécialistes pronostiquent qu’un huitième supplémentaire s’évaporera d’ici à 2025.
Il existe néanmoins des solutions. L’une d’elles consiste par exemple à cultiver des denrées mieux adaptées. Ainsi, plutôt que de planter du riz, une culture très consommatrice d’eau, le Maroc et l’Égypte ont opté pour les dattes, le raisin ou encore les olives. Autre solution : les projets hydrauliques, avec notamment la construction de barrages. L’Afrique en compte pour l’instant 1 272, sur un total de 25 400 dans le monde. Il existe également des techniques plus sophistiquées, telles le dessalement de l’eau de mer – l’Algérie y recourt, en dépit d’un coût élevé (environ 0,5 dollar le m3) -, l’exploitation des eaux de source offshore, c’est-à-dire en pleine mer, ou encore le recyclage des eaux usées.
Les pays démunis n’hésitent donc plus à contourner le problème. L’exemple de la Libye est à ce titre frappant. À la tête d’un pays désertique, le colonel Kadhafi a lancé en 1985 un gigantesque programme au nom évocateur de « Great Man made River » ou « grande rivière artificielle ». Objectif : extraire les eaux fossiles du Sahara et les acheminer vers la côte libyenne, plus propice à l’agriculture et où se concentrent les trois quarts de la population, soit 6 millions d’habitants. D’après les premières analyses, les réserves d’eaux souterraines sont énormes : elles s’étendent sur 250 000 km2 et avoisineraient les 120 000 milliards de m3 ! Le projet, dont le coût s’élève à 30 milliards de dollars sur vingt-cinq ans prendra fin en 2010, et permettra la production de 6,5 millions de m3 par jour. Une quantité trop élevée par rapport aux besoins réels. Le programme misait sur une utilisation essentiellement agricole qui peine à prendre son essor. En dépit des critiques émises à l’encontre de ce projet titanesque, d’autres pays, comme l’Afrique du Sud, en étudient les avantages.
Loin de se cantonner à un problème quantitatif, l’eau, en Afrique, souffre aussi d’une qualité de plus en plus médiocre. Résultat : elle est aujourd’hui responsable de très nombreuses maladies et d’un tiers des décès dans les pays en développement.
Enjeu vital, l’or bleu peut être source de conflits. L’ONU a identifié dans le monde 300 zones d’antagonisme potentiel lié à cette ressource… Non seulement le fleuve peut causer un litige parce qu’il fait office de frontière – l’Afrique compte 70 fleuves transfrontaliers, comme l’Okavango entre le Botswana et la Namibie, ou encore le Zambèze entre la Zambie et le Zimbabwe -, mais aussi parce qu’il abreuve plusieurs pays. La Guinée, par exemple, où le fleuve Niger prend sa source, peut être critiquée dans sa gestion par les pays situés en aval, c’est-à-dire le Mali, le Niger et le Nigeria. Le barrage d’Assouan, construit en 1902 par les Anglais puis rehaussé en 1971 par Anouar al-Sadate, protège les habitants des crues du Nil mais n’empêche pas les inondations au Soudan…
L’eau, qui est au coeur du développement durable du continent, nécessite une gestion multilatérale et un partage équitable. C’est pour cette raison que les organisations régionales ou internationales se sont mobilisées sur la question, avec plus ou moins de succès. Au niveau local, les pays du bassin du Nil ont par exemple souscrit en 1999 à l’Initiative pour le bassin du Nil. Objectif : exploiter au mieux ce fleuve, le plus long du continent. Quarante-cinq pays africains ont par ailleurs adopté l’Initiative 2000 pour l’eau et l’assainissement, qui incite les gouvernements à mutualiser leurs compétences et leurs matériels. En mars 2003, 23 agences des Nations unies se sont réunies à Kyoto pour dresser un état des lieux, mais aussi pour envisager des solutions viables et rapides à mettre en oeuvre. L’ONU s’est fixé comme objectif de diviser par deux le nombre de personnes qui n’ont toujours pas accès à l’eau potable d’ici à 2015. L’or bleu deviendra-t-il alors un droit universel ?

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