Gbagbo et Chirac recollent les morceaux

Les discussions entre les deux chefs d’État ont permis de dissiper les malentendus. Et de conclure une « paix des affaires ».

Publié le 6 février 2004 Lecture : 5 minutes.

Au-delà des sirènes des motards, du tapis rouge, des poignées de main, des sourires, des accolades et des embrassades, il s’agissait pour Jacques Chirac et Laurent Gbagbo de recoller les morceaux et de revenir à « l’entente franco-ivoirienne », pièce essentielle de la présence française en Afrique. Au terme du récent séjour du président ivoirien en France, le premier après une année de brouille, on peut dire que cet objectif a été atteint. Pour le chef de l’État français, la Côte d’Ivoire, principal partenaire de son pays en Afrique francophone et dont il considère le premier président, Félix Houphouët-Boigny, comme un « père spirituel », occupe une place à part. On s’en souvient, c’est à ce pays que Chirac, fraîchement nommé Premier ministre de « cohabitation », a réservé – en 1986 – son premier déplacement à l’étranger. Et c’est de la Côte d’Ivoire, secouée à l’époque par une grave crise sociopolitique annonciatrice d’une fin de règne, qu’il avait lancé en 1990 cette phrase, restée dans les annales : « L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie… »
Riche de son cacao et de son café, une Côte d’Ivoire, même ébranlée par plusieurs mois de guerre civile, vaut donc bien une messe. Voué aux gémonies, il y a quelques semaines encore, par certains responsables politiques, chefs militaires et hommes d’affaires, le président ivoirien aura vu défiler à l’hôtel George-V, à Paris, où il s’est installé avec sa délégation, le ban et l’arrière-ban de la République. Ministres et leaders politiques, de gauche comme de droite, ont fait le déplacement pour se rappeler au bon souvenir d’un homme qui reste encore, pour beaucoup d’entre eux, une « énigme ». Mais aussi des chefs d’entreprise, pour certains à la tête de multinationales, comme Bolloré, Bouygues et Vinci, sont, pour leur part, venus, le cartable rempli de projets, discuter de « l’avenir ». Sans oublier le patron d’un important groupe de presse, pour essayer de trouver un « arrangement à l’amiable » afin d’éviter à son titre-phare un procès, à l’issue incertaine, pour diffamation devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Ainsi que des footballeurs ivoiriens évoluant en Europe (Aruna Dindané, soulier d’or en Belgique, Kalou Bonaventure d’Auxerre, Kolo Touré d’Arsenal et Cyril Domoraud, le capitaine des Éléphants de Côte d’Ivoire), des artistes, un lobby de cinquante-huit entrepreneurs regroupés au sein d’un Cercle d’amitié pour le soutien au renouveau des relations franco-ivoiriennes (Carfi), où l’on retrouve, en bonne place, un certain Michel Roussin, ex-ministre de la Coopération et « monsieur Afrique » du patronat français. Sans oublier, bien entendu, le président congolais Joseph Kabila, également présent à Paris début février, dont le pays présente, sous bien des aspects, des similitudes avec la Côte d’Ivoire…

Les sollicitations furent à ce point nombreuses que Laurent Gbagbo, dont le séjour parisien devait initialement s’étaler du 3 au 7 février, a dû jouer les prolongations et différer son retour à Abidjan. De toute évidence, et selon plusieurs sources, ces retrouvailles entre la Côte d’Ivoire et la France ont permis de dissiper les malentendus. Pour y parvenir, Chirac et son homologue ivoirien, à défaut d’entretenir des relations privilégiées, semblent déterminés à jouer, en bonne intelligence, la carte de l’intérêt mutuel. « Je suis venu discuter avec le président Chirac des relations de son pays avec l’Afrique, mais aussi expliquer qu’il est injuste, comme c’est le cas depuis un an, de persister à vouloir faire passer la victime pour le bourreau, confie Gbagbo. J’ai passé trente ans de ma vie dans l’opposition, mais jamais, au plus grand jamais, je n’ai pris les armes contre mes adversaires. Certains de nos camarades, certes, étaient tentés par la lutte armée, mais je me suis toujours refusé de les suivre sur ce chemin. Visiblement, tout le monde ne partage pas cette philosophie puisque, dès que j’ai été élu, certains Ivoiriens ont décidé de me renverser par la force. »
Pour apurer une brouille qui était en passe de s’installer dans la durée, il a donc fallu faire, de part et d’autre, des « efforts ». Chirac, qui, ces derniers mois, a dépêché plusieurs émissaires auprès du président ivoirien, a donné des indications claires que son pays n’entendait nullement « brouiller » le jeu politique en Côte d’Ivoire et assuré qu’à l’avenir il ferait preuve de plus de « réalisme », à défaut de compréhension, dans sa lecture de certaines dispositions de l’Accord de Marcoussis signé en janvier 2003 entre les protagonistes de la crise ivoirienne. Paris s’est également engagé à mobiliser les bailleurs de fonds, l’Union européenne, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international en tête, en faveur de son ancienne colonie, un moment tentée, au plus fort de la crise, de basculer dans le giron américain.

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Conscient que le rétablissement de la paix et une éventuelle reprise économique dépendent fatalement de la bonne disposition de la France à son égard, Laurent Gbagbo a, pour sa part, donné des gages, notamment sur son attachement à l’ancienne « mère patrie ». Au point de rappeler à certains de ses interlocuteurs qu’il a épousé, en premières noces, une Dijonnaise, mère de son fils aîné Michel, mais aussi, par exemple, qu’il doit son prénom Laurent à un commandant de compagnie normand mort dans les bras de son père lorsque ce dernier combattait les troupes hitlériennes en France. Concernant les futures réformes institutionnelles dans son pays, le chef de l’État ivoirien, qui envisageait, il y a quelques semaines encore, d’organiser un référendum sur le régime foncier, le code de la nationalité et les conditions d’éligibilité du président de la République, pourrait lâcher du lest et ne plus se contenter que d’une seule consultation populaire sur l’éligibilité, imposée, celle-là, par la Constitution.
Cela dit, il faut voir dans ces retrouvailles de raison ce qu’un diplomate onusien qualifie, non sans réalisme, de « paix des affaires », où chacun des partenaires trouve son compte. Hier soupçonnées de financer la rébellion, les entreprises françaises sont de nouveau en cour à Abidjan. L’exploitation du terminal à conteneurs dans le port d’Abidjan a été récemment confiée au groupe Bolloré, les concessions délivrées à Bouygues pour la distribution de l’eau et de l’électricité ont été reconduites. Le « roi du béton » serait même en passe de récupérer le marché de construction d’un troisième pont à Abidjan, qui semblait pourtant promis à une firme chinoise. Quant à Vinci, l’autre grande entreprise française du BTP, elle hérite, entre autres, de la construction du palais présidentiel à Yamoussoukro. Autant dire qu’entre les deux pays, c’est de nouveau l’embellie.

Soucieux de prendre une longueur d’avance sur ses adversaires déclarés ou putatifs au scrutin présidentiel d’octobre 2005, Laurent Gbagbo, tout auréolé de son séjour en France, devait entamer, le 10 février, une tournée à travers la Côte d’Ivoire pour exprimer sa « reconnaissance » à ses compatriotes. Il doit commencer par l’Est, mais tous les observateurs ont d’ores et déjà les yeux rivés sur l’escale du 16 février. Si tout va bien, il annoncera, ce jour-là, à Bouaké, la deuxième ville de Côte d’Ivoire, toujours aux mains de la rébellion, la fin « officielle » de la guerre.

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