Destination Afrique ?

Les enfants du continent n’ont jamais eu la cote auprès des familles françaises. Une tendance qui s’inverse lentement. Explications.

Publié le 10 février 2004 Lecture : 5 minutes.

«J ‘ai toujours dit à mon fils qu’il allait se faire arrêter, un jour ou l’autre, et qu’il aurait à souffrir du « délit de sale gueule », comme on dit. Il ne voulait pas me croire, jusqu’au jour où c’est arrivé. » Martine Zeisser est française ; elle a adopté deux enfants au Rwanda, juste avant le génocide de 1994. Ils ont grandi tranquillement en Alsace, mais les adolescents qu’ils sont devenus souffrent aujourd’hui du racisme. « C’est extrêmement choquant pour un enfant », explique-t-elle. D’autant qu’ils ont été élevés dans une famille blanche, où la couleur de peau ne comptait pas.
Les foyers français qui adoptent des enfants (en général parce qu’ils ne peuvent pas en concevoir, mais aussi par choix délibéré) en Afrique n’ont jamais été très nombreux. Poids des préjugés envers le continent ? Réticences, pour des parents, d’avoir à élever un enfant d’une couleur de peau différente ? Blocages administratifs dans les pays d’origine ? Les raisons sont complexes et, heureusement, la tendance s’inverse.
En 1998, 649 petits Africains franchissaient les frontières françaises en toute légalité, tenant la main de leurs nouveaux parents. En 2002, ils étaient déjà 890. Associations et pouvoirs publics s’accordent pour dire que le nombre d’adoptions en Afrique ne cessera de croître dans les prochaines années. Elles représentent aujourd’hui 25 % des adoptions internationales, contre 17 % seulement en 1998. À l’époque, l’Asie était le continent privilégié par les futurs parents adoptifs. Les traditions d’adoption dans les sociétés asiatiques sont beaucoup plus développées qu’en Afrique, où la famille élargie jouait, jusqu’à l’urbanisation récente, un grand rôle dans l’accueil des enfants orphelins. La France avait ainsi réussi à établir de bonnes relations avec le Vietnam, le Cambodge et la Chine. À tel point que, devenant quasi automatiques, les procédures se sont un peu relâchées. En constatant des dérives graves de trafics d’enfants, les gouvernements cambodgien et vietnamien ont brutalement fermé leurs frontières à l’adoption à la fin des années 1990, afin d’éviter que des parents occidentaux ne se retrouvent avec un enfant vendu par ses parents naturels. Aujourd’hui, ils sont prêts à reprendre la coopération en matière d’adoptions, mais le Vietnam doit d’abord satisfaire les demandes pendantes avant de recevoir de nouveaux dossiers.
En attendant, un certain nombre de familles se sont tournées vers l’Afrique. « Le racisme et les préjugés sont moins tenaces aujourd’hui, grâce au métissage de la société française », estime Sylvie Dufeu, présidente de Demisenya (« petite enfance », en bambara), une association de parents adoptifs du Mali. « Mais ce n’est toujours pas le premier venu qui adoptera en Afrique. En général, ce sont des Français qui ont voyagé et ont aimé la culture des pays qu’ils ont visités. » Un critère fondamental tant le lien avec la culture d’origine de l’enfant doit être maintenu.
En raison des besoins grandissants des orphelinats africains, l’évolution est positive. Avec respectivement 209 et 281 enfants adoptés en 2002, l’Éthiopie et Madagascar sont les deux pays les plus ouverts. Le Mali vient ensuite avec 95 adoptés en 2002. Malgré les menaces proférées par les autorités maliennes de suspendre les adoptions si la France continuait de rendre difficile l’obtention de visas pour les Maliens, le système est bien rodé et, selon Sylvie Dufeu, continue à fonctionner comme avant. Ces trois États n’ont pas ratifié la convention de La Haye, mais ont l’avantage de posséder des procédures d’adoption centralisées et transparentes. Signé en 1993 et ratifié par 42 pays, ce traité international relatif à l’adoption prévoit une coopération entre les pays d’origine des enfants adoptés et leurs pays d’accueil, fondée essentiellement sur la centralisation des organismes étatiques. La convention garantit une meilleure protection de l’enfant, puisqu’elle oblige les pays qui l’ont ratifiée à mettre tout en oeuvre pour que les enfants orphelins restent dans leur pays, avant d’envisager l’adoption.
À ce jour, sur le continent, seul le Burkina Faso a ratifié la convention de La Haye. Mais depuis 2000, le nombre de demandes d’adoption faites auprès du ministère burkinabè de l’Action sociale et de la Solidarité nationale a explosé, passant à 130, alors que le nombre d’enfants adoptables n’est que d’une cinquantaine par an. Pour le moment, l’adoption en provenance du Burkina est suspendue tant que les dossiers en cours n’auront pas été traités.
Malgré l’augmentation du nombre d’enfants adoptés en Afrique, on ne peut toujours pas parler d’engouement. Et les associations de parents adoptifs estiment que c’est une bonne chose. « Il faut éviter que la machine s’emballe, sinon il y a de fortes chances que les garanties éthiques soient mal maîtrisées, explique Marie-Hélène Theurkauff, l’une des responsables de l’association Enfance et Familles d’adoption (EFA). Ce serait très dommageable, pour les enfants laissés dans les orphelinats, d’en arriver ensuite à un arrêt brutal de l’adoption, comme au Vietnam. »
C’est notamment à cause du terrain « vierge » que représente la majorité des pays africains que Médecins du monde (MDM) estime n’avoir toujours pas réuni les conditions administratives et juridiques suffisantes pour garantir l’adoptabilité d’un enfant sur le continent. MDM est l’organisme agréé par l’État (OAA) qui réalise le plus grand nombre d’adoptions par an (300 environ). « Je n’irai pas en Afrique pour le moment, explique Guy Douffet, directeur du programme d’adoptions internationales de l’ONG. Il faut d’abord aider ces pays à développer des infrastructures et des procédures administratives pour correspondre sur un pied d’égalité. On est peut-être un peu trop pointilleux, mais, pour nous, il est essentiel de pouvoir retracer l’histoire de l’enfant adopté. Un jour, il la demandera à ses parents et il faut qu’ils soient capables de lui répondre. » À MDM, on préfère donc pour le moment promouvoir des opérations de parrainage, où les familles aident un enfant à grandir chez lui. « Il ne faut pas oublier qu’on cherche toujours une solution nationale d’abord. C’est un drame pour un pays de laisser ses enfants partir à l’étranger », souligne encore l’ONG. Au Mali, par exemple, une vingtaine d’orphelins trouvent une place dans une famille malienne chaque année, et ces dernières sont prioritaires par rapport aux étrangères. « L’adoption et la coopération doivent être menées de front », explique-t-on également au ministère français de la Famille, qui travaille en ce moment sur une refonte du système d’adoption. Le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui désire voir doubler le nombre d’adoptions dans les prochaines années (8 000 agréments ont été délivrés à des familles par les services de l’Aide sociale à l’enfance en 2002, et seulement 4 700 d’entre elles ont pu effectivement adopter), a annoncé fin janvier l’éventuelle création d’une agence nationale de l’adoption, qui regrouperait tous les organismes en charge de ce dossier aujourd’hui. « Car il s’agit toujours de trouver une famille à un enfant et non l’inverse. Le don de matériel, la formation dans les orphelinats sont des instruments à utiliser. » Histoire d’éviter que les Occidentaux n’aillent faire leur « marché » dans les pays du Sud, que les dérives de « vente » d’enfants constatées en Asie et en Amérique latine ne déteignent sur l’Afrique, et que l’adoption demeure toujours le dernier recours pour un enfant abandonné.

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