Bruno Wenn : « Nous voulons investir 500 millions d’euros par an en Afrique »
On la connaît mal, mais la Deutsche Investitions und Entwicklungsgesellschaft (DEG), l’institution financière de développement allemande, est la première d’Europe. Comment compte-t-elle renforcer sa présence en Afrique ? Son patron évoque les grandes lignes de sa stratégie.
Forte de 1,8 milliard d’euros de fonds propres, la société allemande d’investissement et de développement DEG (pour Deutsche Investitions- und Entwicklungsgesellschaft) investit chaque année près de 1,5 milliard d’euros, sous forme de prêts ou d’injection de capital, dans des entreprises et des projets dans les pays en développement. L’Afrique est sa troisième zone d’intervention, après l’Asie et l’Amérique latine, mais elle figure désormais en tête de ses priorités. Bruno Wenn, PDG de la société, était présent au Forum Investir en Côte d’Ivoire (ICI 2014), fin janvier à Abidjan. L’occasion de décrypter avec Jeune Afrique la stratégie de son institution.
Propos recueillis à Abidjan par Frédéric Maury
Jeune Afrique : Pouvez-vous présenter DEG ?
Bruno Wenn : C’est l’institution financière de développement allemande, chargée de la promotion du secteur privé dans les pays émergents. DEG a été créé en 1962 et entièrement détenu par l’État. Depuis 2001, nous sommes membre du groupe bancaire public KfW. Notre portefeuille de plus de 6 milliards d’euros est investi à long terme en Asie, en Amérique latine, en Europe et en Afrique. En 2013, nos nouveaux engagements ont atteint 1,5 milliard d’euros, dont plus de 326 millions en Afrique.
Comment vous situez-vous par rapport au néerlandais FMO ou au français Proparco ?
Nous sommes la première institution financière de développement en Europe par le total de bilan.
Que représente l’Afrique pour DEG ?
Nos domaines de prédilection : l’agriculture et le secteur manufacturier
C’est l’un de nos continents prioritaires. Nous y sommes actifs dans une trentaine de pays. Nous voulons notamment promouvoir ceux qui pourraient devenir les prochains pays émergents (la Côte d’Ivoire, le Maroc et l’Éthiopie) ainsi que les États sortant de conflits. Notre objectif est que nos investissements en Afrique atteignent un tiers de nos nouveaux engagements, soit plus de 500 millions d’euros par an.
Avec des secteurs privilégiés ?
L’agriculture et le secteur manufacturier. Nous avons par exemple investi dans Kevian, une entreprise kényane qui produit du jus à partir de fruits récoltés par 38 000 producteurs locaux. Nous sommes aussi impliqués dans les énergies renouvelables. Nous finançons une start-up allemande, Mobisol, qui propose de l’énergie photovoltaïque dans des zones rurales ; la clientèle paie par mobile banking. Nous croyons aux vertus des solutions hors réseaux, moins coûteuses que le déploiement de réseaux électriques dans toutes les régions.
Quelque 45 % de votre portefeuille sont investis dans des institutions financières. Un chiffre qui peut paraître élevé…
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C’est aussi le cas de nos confrères. Nous ne pouvons pas soutenir les PME asiatiques, latino-américaines ou africaines depuis La Haye, Paris ou Cologne, cela coûterait trop cher. Nous devons donc nous appuyer sur des institutions locales.
Nous choisissons des banques qui ont une vraie politique envers les PME et un système de crédit adéquat. Nous leur apportons aussi une assistance technique pour les familiariser à la gestion du risque lié aux PME.
Les banques vous semblent-elles plus enclines qu’auparavant à soutenir les PME ?
Les choses changent plus vite en Afrique de l’Est. Les gouvernements ont un rôle important à jouer : en créant des bureaux de crédits où les banques peuvent avoir connaissance de tous les prêts contractés par une PME, ou encore en réduisant les exigences comptables ou les coûts de refinancement.
Est-ce important pour DEG de dégager du profit ?
Bien entendu, car renforcer nos fonds propres nous permet d’assumer des risques élevés. La rentabilité de nos fonds propres est en moyenne de 6 %. Le profit est entièrement réinvesti car nous n’avons pas le droit de verser des dividendes. Les institutions de développement investissent parfois via des paradis fiscaux, ce qui suscite un débat.
Quelle est votre politique ?
Nous ne soutenons pas le passage par ce type de pays pour des questions fiscales. Mais dans ces États, il y a des structures légales et un environnement qui facilitent les investissements. Cela explique que les institutions aient régulièrement recours, pour l’Afrique, à des places financières comme Maurice.
L’Afrique est en plein boom économique. Les entreprises allemandes en ont-elles pris conscience ?
Pas autant que nous le souhaiterions. Le tissu économique allemand est essentiellement composé de PME, qui connaissent de grands succès en matière d’exportation. Pourquoi investiraient-elles ailleurs ? D’autant qu’elles évoluent souvent dans des secteurs à forte valeur ajoutée, plus difficilement adaptables au contexte africain.
Il y a bien de grands noms ?
Oui, par exemple Siemens, qui opère sur le continent depuis cent cinquante ans.
Né en Allemagne, le projet Desertec vise à implanter des centrales solaires en Afrique du Nord pour alimenter l’Europe en électricité. Pourquoi ne fonctionne-t-il pas ?
Nous ne savons pas ce qui se passe. Mais d’un point de vue politique, ce qui est intéressant, c’est la mise en lumière d’un vaste potentiel en termes d’énergies renouvelables.
Travaillez-vous avec les entreprises ou les banques chinoises ?
Non, mais nous aimerions le faire. Nous pourrions notamment partager notre expérience. Mais les Chinois cherchent souvent des co-investisseurs capables d’apporter plus de 50 millions de dollars [37 millions d’euros] par opération. Cela dépasse souvent les capacités des institutions européennes.
Y a-t-il un projet dont vous êtes particulièrement fier ?
Outre Mobisol et Kevian, je citerai un projet qui, à l’époque, a été très controversé parce que personne n’y croyait : Celtel [l’opérateur de téléphonie mobile fondé par Mo Ibrahim à la fin des années 1990].
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