Beyrouth au féminin

L’écrivain Imane Humaydane-Younes raconte la vie de quatre femmes pendant la guerre du Liban.

Publié le 10 février 2004 Lecture : 3 minutes.

Chez son éditeur, dans le quartier de Saint-Germain- des-Prés, à Paris : Imane Humaydane-Younes est assise devant son ordinateur. Elle envoie des courriels. Sans doute pour ne pas perdre contact avec ce Liban qu’elle ne s’est jamais résolue à quitter, même en temps de guerre. À l’instar des quatre héroïnes de Ville à vif, elle a connu les dix-huit années de conflit qui ont déchiré le pays et divisé son peuple.
Comme Liliane, Imane gardait ses valises bouclées et dévalait les escaliers jusqu’à l’abri souterrain, avec ses enfants, dès que l’alerte était donnée. Comme Warda, elle s’est réfugiée dans la folie pour échapper à celle des hommes qui s’entretuaient. Comme Camillia, elle se raccrochait à la légèreté de la vie, voulait croire à la paix et parcourir le monde. Enfin, comme Maha, elle a toujours refusé la violence, tout en s’y résignant.
Pour autant, ce premier roman, publié en 1997 au Liban et encensé par la critique, n’est pas autobiographique. « Les personnages sont imaginaires. Mais ces femmes ressemblent à toutes les femmes du monde qui ont connu la guerre. Elles ressentent des émotions universelles, telles que la peur, la solitude, la douleur », confie l’écrivain dans un français hésitant. Quatre visages pour des destins croisés, racontés avec une plume neutre, jamais sèche ni fleurie. Des femmes, celles qu’on n’écoute jamais en temps de guerre, celles qui n’en restent pas moins les premières victimes.
Dans Ville à vif, Imane, aujourd’hui âgée de 47 ans, a aussi consigné des souvenirs. Cette mère de trois enfants était bien incapable d’écrire un roman quand les balles pleuvaient et que les corps tombaient. Comme si la violence stérilisait son imagination. « À peine avais-je la force de publier quelques nouvelles, entre deux articles pour des journaux. Car j’avais besoin d’écrire pour supporter ce que je vivais, avoue-t-elle. Mais un roman, c’est un tout. Comment le fabriquer quand on vit dans une ville coupée en deux et quand on est soi-même éclatée ? » Semblable à Talal, l’époux de Liliane, elle « a accumulé des bouts d’histoires amputées, avortées ». Il lui a fallu la paix pour récolter les bribes de sa vie et « recoller les morceaux ».
Le puzzle est aussi miroir. Les quatre femmes qui tentent d’exister dans cette Ville à vif se connaissent. Toutes se sont croisées à un moment de leur vie, à un instant de la guerre, dans le Beyrouth musulman ou le Beyrouth chrétien, dans un immeuble criblé de balles dont les vitres ont éclaté. Liées par leurs histoires, elles auraient dû être séparées par l’histoire de leur pays puisqu’elles sont issues de communautés différentes. Mais ce n’est pas leur appartenance religieuse qui guide Liliane, Warda, Camillia et Maha. C’est leur sensibilité. Ultime pied de nez de la romancière au Liban d’aujourd’hui, « terre de discrimination et d’intolérance » ?
Six ans après sa sortie initiale, Ville à vif reste d’actualité. « La guerre est encore présente. Elle nous a tous traumatisés. Nous n’avons pas tourné la page. Si la reconstruction du pays est avancée, la réconciliation est loin d’être consommée », explique l’auteur.
Imane Humaydane-Younes a pourtant tenté de se détacher de cet épisode douloureux en abordant, dans son second roman, publié en 2000 au Liban, un tout autre sujet : celui d’une famille druze qui vivait, au début du siècle dernier, de l’élevage du ver à soie. Mais, inéluctablement, la romancière est happée par la guerre, comme pour mieux l’exorciser. Il y a trois ans, elle s’est inscrite à l’université de Beyrouth et a entamé une thèse en sociologie sur les familles des disparus. Y a-t-il un lien entre son enquête et son inspiration ? Elle refuse de répondre. Quoi qu’il en soit, le troisième roman sur lequel elle travaille, « très tard la nuit et très tôt le matin », évoque la vie d’une Libanaise, exilée au début de la guerre, à la recherche d’un amour perdu…

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