Mutinerie ou tentative de putsch ?

À peine mis en place, le nouveau gouvernement se retrouve soumis à l’épreuve du feu.

Publié le 9 janvier 2006 Lecture : 6 minutes.

Qui a attaqué le camp d’Akouédo, à l’est d’Abidjan, tôt le matin du 2 janvier ? Qui sont ces hommes en armes qui ont pris le contrôle de la poudrière avant d’en être dépossédés ? Pour le compte de qui agissaient-ils ? Voulaient-ils renverser le chef de l’État, Laurent Gbagbo, ou exprimer un mécontentement pour non-paiement de leurs primes, les fameux « haut-les-coeurs » ?
Les hypothèses ne manquent pas : simple mutinerie ; véritable coup d’État ; collusion entre hommes des troupes régulières et va-t-en-guerre en mal de putsch ; montage machiavélique de boutefeux du régime inquiets pour leurs prérogatives… Seule certitude : les combats à l’arme lourde qui ont paralysé Abidjan pendant toute une matinée, causé 10 morts et abouti à 34 arrestations, y compris dans les rangs de l’armée régulière, commencent à livrer une partie de leurs secrets.
Le 1er janvier, alors que bien des Abidjanais se reposent après une soirée de réveillon bien arrosée, on s’affaire dans l’entourage de Laurent Gbagbo, averti depuis plusieurs jours qu’un complot se tramait contre son régime. Le coup de force devait survenir tantôt le 4 décembre, tantôt le 20 ou encore au cours de la nuit de la Saint-Sylvestre, le 31 décembre. La même information a été transmise à des proches du chef de l’État par des hommes qui disent avoir été approchés pour prendre part à un putsch en cours de préparation par le sergent-chef Ibrahim Coulibaly, alias « IB ». Quelle que soit la véracité du renseignement, la hiérarchie de l’armée décide de prendre des mesures de précaution, raffermit l’état d’alerte dans lequel se trouvent les troupes depuis le discret passage dans les casernes, le 22 décembre, du chef d’état-major, le général Philippe Mangou.
Alors que le camp présidentiel concocte des stratégies de riposte, une nouvelle (que seule l’enquête demandée par le Premier ministre, Charles Konan Banny, pourra établir ou non) y tombe dans la nuit du 1er au 2 janvier, entre minuit et 1 heure du matin. « IB vient de téléphoner à ses hommes déjà infiltrés à Abidjan. Il leur demande de différer l’opération compte tenu des difficultés de dernière minute. Mais les éléments de Mathias Doué [l’ex-chef d’état-major qui a quitté le pays au lendemain de son limogeage, en novembre 2004] dans le bataillon ne veulent pas entendre parler de report », indique une « source privilégiée ».
À 5 h 30 du matin, le camp d’Akouédo est pris d’assaut. Armés de kalachnikovs et de lance-roquettes RPG-7, les « assaillants » sont quelque trois cents hommes, répartis entre la caserne attaquée et quelques points stratégiques d’Abidjan. Parmi eux, des va-nu-pieds, des SDF comme le renommé malade mental « Bébé gâté », mais également des soldats de la fameuse promotion 98/2A, qui avaient été incorporés dans la mission onusienne de maintien de la paix en Centrafrique.
À leur tête, des sources proches du renseignement militaire ivoirien croient identifier un sous-officier des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) du nom de Yacé, en poste à Daloa. Les interrogatoires des prisonniers pris par les forces loyalistes après l’échec de l’assaut confirmeront cette information. Réputé proche du général Doué, Yacé aurait un moment travaillé avec lui à l’état-major.
Deux autres hommes se font remarquer au cours des combats. Le premier, selon des soldats loyalistes, serait l’un des frères de Soumaïla Bakayoko, le chef d’état-major des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN, la rébellion qui occupe le nord du pays depuis septembre 2002). Il serait celui qui a conduit l’équipe ayant neutralisé les soldats en faction devant le Bataillon d’artillerie sol-air (Basa) et qui s’est introduite dans l’enceinte de la poudrière. Le second serait un certain Aboudramani, alias Baz, un proche d’IB qui avait déserté les rangs des FN pour se réfugier au Mali.
La progression rapide des « assaillants », devenus sans dommages maîtres de la poudrière, intrigue. « Une avancée aussi facile n’a pu se faire sans qu’il y ait des complicités à l’intérieur de la caserne », assure un responsable de la force française Licorne stationnée dans le pays. Les avis divergent sur l’identité de ces « taupes ». Si l’état-major des Fanci oriente ses soupçons, donc ses premières investigations, vers la poignée d’éléments réintégrés dans les forces loyalistes au lendemain du vote de la loi d’amnistie, le 6 août 2003, certaines chancelleries occidentales en poste à Abidjan accusent les « nouvelles recrues ».
Au nombre de 4 000, ces hommes du rang, enrôlés en 2003, traînent plus de cinq mois d’arriérés de primes et tardent à être fixés sur leur sort à l’issue du programme de Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR). Les auteurs du coup de force manqué auraient réussi à en rallier certains, leur faisant accroire qu’ils ne seront pas payés et qu’ils risquent d’être démobilisés et radiés à la fin de la crise. C’est du moins ce qu’aurait confessé l’un d’entre eux, en service au Bataillon des commandos parachutistes, fait prisonnier au moment des combats.
Certaines sources françaises ne disent pas autre chose, qui penchent pour la thèse de la mutinerie. Elles citent, notamment, l’inquiétude des soldats, liée aux primes impayées, à la nomination d’un nouveau ministre de la Défense peu ou pas connu d’eux. Mais aussi la place grandissante des mercenaires libériens au sein des forces loyalistes, le rattachement de la Réinsertion au ministère détenu par le leader de l’ex-rébellion, Guillaume Soro…
« Il ne s’agit nullement d’une mutinerie, rétorque Philippe Mangou. Nos hommes ont toujours fait preuve d’esprit de compréhension, et ils se sont toujours bien comportés face aux retards des primes. » Avant de crier victoire : « Les deux camps d’Akouédo ont été attaqués par des éléments infiltrés. Nous sommes là pour rassurer la population, pour lui dire que la situation est sous contrôle. Nos éléments procèdent au ratissage. »
Les Fanci remportent donc une bataille qui met en cause – sans preuves formelles pour l’instant – deux ex-gradés de l’armée ivoirienne. Entré dans la clandestinité au lendemain de son limogeage, avant de se retrouver en exil, le premier, Mathias Doué, ex-chef d’état-major, ne fait aucun mystère depuis plusieurs mois de sa volonté de renverser le régime de Laurent Gbagbo. Coauteur du coup d’État de décembre 1999, le second, « IB », qui réclame la paternité de la rébellion des FN et dont on voit la main presque partout, fait de nouveau parler de lui après avoir été arrêté en août 2003 à Paris pour tentative de déstabilisation de la Côte d’Ivoire.
Ennemi intime de Guillaume Soro, « IB » avait commencé à tisser une alliance objective avec Laurent Gbagbo. Lequel a mis fin aux poursuites engagées contre lui en France en retirant sa plainte, en octobre 2005. Une façon de donner du fil à retordre à Soro, un moment sérieusement ébranlé au sein des FN par la dissidence des « pro-IB ». Ce n’est donc pas un hasard si des sources concordantes indiquent que c’est Guillaume Soro lui-même qui a fourni à Gbagbo tous les détails sur la préparation de l’opération.
Intervenue alors que le gouvernement de réconciliation nationale – mis en place le 28 décembre – n’avait pas encore pris fonction, et en l’absence du Premier ministre, Charles Konan Banny – qui séjournait à Dakar où il a passé les fêtes de fin d’année en famille -, l’attaque d’Akouédo renforce à court terme Laurent Gbagbo et Philippe Mangou. Dès la cessation des combats, le chef de l’État s’est rendu sur les lieux, a félicité les « braves » soldats, rassuré la population, et s’est ainsi positionné comme le (seul) défenseur de la Côte d’Ivoire « agressée ». Un message qui ne saurait échapper au frais émoulu premier chef du gouvernement, revêtu de l’essentiel du pouvoir exécutif par la résolution 1633 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Arrivé à Abidjan dans la soirée du 2 janvier, Charles Konan Banny semble privilégier la thèse de la mutinerie, contrairement à l’état-major de l’armée. Est-ce pour cette raison que le 3 janvier au matin, sur le chemin d’Akouédo, lui et son cortège, arrivés au niveau du quartier résidentiel de la Riviera, ont été obligés de revenir sur leurs pas ? En tout cas, comme un coup de semonce, une rafale de balles tirées en l’air leur a annoncé qu’ils n’étaient pas les bienvenus au camp. Et fait comprendre à l’ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest toute la brutalité du jeu politique dans son pays.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires