Mama Koité Doumbia : « Les accusés de la CPI intéressent malheureusement plus que les victimes »
Présidente du Fonds au profit des victimes de la Cour pénale internationale (CPI), un organe peu connu de l’institution, la Malienne Mama Koité Doumbia et son équipe se battent pour venir en aide aux victimes.
C’est l’une des figures de la défense des droits humains en Afrique de l’Ouest. Depuis 2016, Mama Koité Doumbia tente de venir en aide aux victimes des crimes les plus graves grâce à un organe peu connu de la Cour pénale internationale : le fonds pour l’indemnisation des victimes. Ouganda, Côte d’Ivoire, Mali, Centrafrique, RDC… Après les procès de Laurent Gbagbo, de Jean-Pierre Bemba ou encore de Bosco Ntaganda, c’est elle et son équipe qui ont pris le relais. Entretien.
Jeune Afrique : Qu’est-ce que le Fonds au profit des victimes et à quoi sert-il ?
Mama Koité Doumbia : Le Fonds répond aux préjudices liés aux crimes relevant de la compétence de la CPI en apportant des réparations [financières] et en proposant des programmes d’assistance aux victimes et à leurs familles. Le conseil du fonds d’indemnisation que je préside a été mis en place pour aller chercher des financements. C’est spécifique à la Cour pénale internationale car les tribunaux ad hoc, comme le TPIY (tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie) ou le TPIR (tribunal pénal international pour le Rwanda) ne s’en occupaient pas.
Les États pourraient davantage prendre leurs responsabilités de dédommagement des victimes
Comment ce fonds est-il financé ?
Les textes disposent qu’il doit être approvisionné par la contribution volontaire des États. Cependant, ils ne sont pas tenus de verser un montant minimal. Des fondations, et parfois même des individus, contribuent. Les États pourraient davantage prendre leurs responsabilités de dédommagement des victimes. Nous tentons de sensibiliser les gouvernants. Mais malheureusement, les procès et les accusés attirent davantage l’attention que les victimes.
Les pays africains contribuent-ils ?
Nous n’avons pas les financements à la hauteur de nos ambitions. La majorité des victimes des affaires que nous traitons se trouvent en Afrique, mais les pays africains ne contribuent malheureusement pas assez. Sur le continent, seulement six États l’ont alimenté : la RDC, l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Mali, la Sierra Leone, et le Nigeria. L’Afrique représente seulement 16% des contributions volontaires quand l’Europe occidentale émarge à 42%. J’ai tiré la sonnette d’alarme, sans effet pour le moment. Il faut dire que la pandémie de Covid-19 a été un coup dur pour les économies de tous les pays. Ça ne nous a pas aidé.
Y-a-t-il une procédure de saisine des biens des personnes condamnées ?
Oui, mais dans la plupart des cas, l’auteur est indigent [par rapport aux indemnisations demandées, NDLR]. Le juge nous donne alors un mandat d’ordonnance pour trouver les financements ailleurs. C’est le cas dans l’affaire du Malien Ahmad Al Mahdi [condamné par la CPI à 9 ans de prison en 2016 pour la destruction des mausolées de Tombouctou, NDLR] : on nous a donné pour mission de trouver 2,7 millions d’euros afin d’aider à la reconstruction de Tombouctou. De telles procédures ont également été engagées pour les affaires Thomas Lubanga, Germain Katanga et Bosco Ntaganda.
Dans le dossier Ahmad Al Mahdi, nous avons davantage entendu parler du versement d’un euro symbolique…
Cet euro symbolique était à destination de l’Unesco et de l’État malien, afin de leur reconnaître le statut de victime. L’organisation onusienne avait participé à l’entretien des mausolées de Tombouctou, inscrits sur la liste du patrimoine mondial. L’Unesco avait donc subi un préjudice. Pour le Mali, il y a eu un préjudice moral.
En plus de cette réparation symbolique, 2,7 millions d’euros seront versés aux familles traditionnelles au titre de réparations individuelles, car les monuments leur appartiennent. À ce jour, nous n’avons réuni que la moitié de cette somme, qui a déjà été versée à 500 familles. Le Canada s’est engagé à alimenter la seconde moitié. Avec cet argent, nous mettrons en place des activités génératrices de revenus, ainsi que la sécurisation du site afin d’éviter de futurs dommages. Nous comptons aussi relier ces zones au réseau électrique, les rendant ainsi fonctionnelles pour les populations qui tirent leurs ressources du tourisme.
Le versement des réparations aux victimes prend souvent des années. Que répondez-vous à ces critiques sur la lenteur des procédures ?
Elles sont fondées ! Prenons l’exemple du cas Ntaganda en RDC. Parmi les victimes, il y a des enfants-soldats et des enfants nés de l’esclavage sexuel, pour des faits survenus en 2002 et en 2003. Aujourd’hui encore, nous travaillons sur l’identification des victimes. Cela signifie qu’elles seront dédommagées, au mieux, en 2022… Mais nous y travaillons. Un rapport est en cours pour réduire la lourdeur administrative et le temps d’attente des victimes. De nombreuses recommandations sont attendues.
Nous indemnisons les victimes même si Jean-Pierre Bemba et Laurent Gbagbo sont acquittés
Jean-Pierre Bemba et Laurent Gbagbo ont finalement été acquittés. Pourtant, dans ces deux affaires, des crimes ont bien été commis en Centrafrique et en Côte d’Ivoire. Le fonds viendra-t-il tout de même en aide aux victimes?
Oui, nous indemnisons les victimes même si les accusés sont acquittés. Nous avons déjà commencé pour le cas de Jean-Pierre Bemba : six programmes ont été mis en place en Centrafrique. Nous allons bientôt initier le processus en Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, sur tout le continent, nous en sommes à 28 programmes d’indemnisation.
Dans quelques semaines vous quitterez la présidence du conseil du fonds d’indemnisation. À 72 ans, allez-vous prendre votre retraite?
Je souhaiterais être, de façon bénévole, ambassadrice du fonds au Mali. Je connais cette institution, je la porte en moi, et je compatis aux souffrances des victimes.
Je suis présidente de la Plateforme des femmes leaders du Mali et membre du Réseau francophone égalité femmes-hommes de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). La question des violences faites aux femmes dans les conflits ainsi que celle de leur présence dans les processus de décision sont des questions qui me tiennent à cœur.
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