Requiem pour ECP, leader historique du capital-investissement en Afrique
Plus de vingt ans après avoir démarré ses activités sur le continent, le gestionnaire panafricain Emerging Capital Partners ne signera pas pour une nouvelle saison. Décryptage de la fin d’une aventure.
[Classement] Top 200 Banques – Top 100 assureurs : le palmarès exclusif de 2021
À l’occasion de la publication du classement Jeune Afrique des 200 premières banques et des 100 premiers assureurs du continent, la rédaction vous propose un large tour d’horizon du secteur financier africain, qui a fait la preuve de sa résilience dans un contexte de crise sanitaire et économique inédit.
Certains les disent, bien volontiers, fatigués. Exténués par plus de vingt années de capital-investissement en Afrique, avec leurs lots de stress, de batailles, mais aussi d’accomplissements et de réussites dont seul le continent détient le secret. Dans le petit milieu panafricain du private equity, on le sait très bien : deux décennies passées dans la « machine » peuvent user. Alors que les fondateurs d’Emerging Capital Partners (ECP) approchent de la soixantaine, le moment semble venu de lever le pied.
« J’aurai 58 ans le mois prochain et je suis dans le capital-investissement africain depuis la fondation de l’équipe ECP il y a plus de vingt et un ans [à l’époque, Emerging Markets Partnership (EMP) lance son premier fonds dédié à l’Afrique, rebaptisé ECP quelques années plus tard]. Et je travaille dans la finance depuis près de trente-huit ans au total », évoque, depuis Washington, Hurley Doddy, co-PDG du gestionnaire de fonds franco-américain. Il rappelle que le dernier véhicule d’investissements en date (ECP Africa Fund IV), dont le premier closing est intervenu en juillet 2016, est arrivé à la fin de sa période d’engagement au mois de juillet dernier.
« À ce moment-là, j’ai dit à mes associés que je ne voulais pas m’engager à lever et à investir un cinquième fonds, car j’aurai presque 70 ans à son échéance définitive », poursuit-il. Doddy, ancien de Princeton, tombé dans le private equity après un début de carrière dans la finance internationale, précise qu’il continuera à gérer les actifs du fonds IV « jusqu’à la fin de sa durée de vie », ramenée à 2025. Le terme initial du fonds était au départ prévu en 2028, soit dix ans après sa finalisation.
Le temps des départs
La décision finit par emporter l’adhésion des associés cofondateurs d’ECP : sa compatriote Carolyn Campbell, directrice des opérations, ainsi que son codirigeant, le Franco-Camerounais Vincent Le Guennou, lui aussi né en 1963. Mais elle est lourde de conséquences puisqu’elle conduit au départ de ce dernier, qui vient d’être nommé DG d’Africa50 Infrastructure Acceleration Fund, le nouveau véhicule de la plateforme d’investissement Africa50. Cette décision aboutira aussi au départ de deux associés de la génération suivante : Bryce Fort et Paul Maasdorp, à la tête du bureau kényan du capital-investisseur.
Ce dernier fonds avait été bouclé dans une course contre la montre
Vincent Le Guennou, dont la nomination est effective depuis le 5 octobre, soutient qu’il continuera d’assurer ses mandats d’administrateur au sein des entreprises du portefeuille d’ECP et veillera lui aussi à accompagner les investissements toujours en cours. Une obligation contractuelle vis-à-vis des souscripteurs des différents fonds encore actifs.
À venir enfin, et vraisemblablement pour 2022, la clôture du fonds III avec la sortie d’ECP du groupe bancaire ouest-africain Oragroup et du gestionnaire de tours télécoms IHS. Restera ensuite à gérer les participations du fonds IV jusqu’à leur arrivée à maturité.
Ce dernier fonds avait été bouclé dans une course contre la montre en juillet 2018, d’après un document interne dont JA a pu consulter une copie. En trois mois, entre avril et juillet 2018, la taille d’ECP Africa Fund IV est passée de 414 millions de dollars à 640 millions, établissant par la même le record du capital-investisseur (contre 613 millions de dollars pour le fonds III en 2010). La sortie d’Eranove sera gérée différemment, puisque ECP a annoncé en août la création d’un holding codétenu par A.P. Moller Capital, les banques de développement DEG et IFU Danemark.
Pas de crise, pas de tensions, la fin annoncée d’ECP sera gérée de manière collégiale
Les dirigeants d’ECP entendent donc tenir leurs engagements, eu égard au passif de l’un des pionniers du capital-investissement africain qui revendique quelque 3,6 milliards de dollars levés depuis sa création. Cette performance le place parmi les leaders en Afrique, aux côtés de Helios Investment Partners ou encore de DPI (Development Partners International).
Perte de valeur
Face à cette décision de ne pas lancer un nouveau fonds, ECP choisit de parler de cohésion. « Une équipe très soudée », d’une part. « Un commun accord », de l’autre. Pas de crise, pas de tensions, la fin annoncée d’ECP sera gérée de manière collégiale. Chez les anciens de la « maison », aucun ou presque n’ose commenter la nouvelle ou s’épancher. Tout juste peut-on constater que la société n’avait pas pu retenir ces dernières années des cadres importants comme son directeur des investissements (CIO), Andrew Brown, mais aussi Alex-Handrah Aimé (Johannesburg) ou Ghislaine El Alami (Casablanca/Paris).
Mais ce n’était pas la première tempête traversée par le capital-investisseur. ECP aurait pu disparaître il y a dix ans déjà. En effet, à la fin des années 2000, ECP avait été chahuté, cette fois par la perte de valeur des actifs du deuxième fonds – essentiellement miniers, donc très affectés par la volatilité des cours et par la crise financière, qui l’avait contraint à réduire ses ambitions pour son troisième fonds dont le montant était au départ fixé à 1 milliard de dollars (encadré au bas de l’article).
On ne transmet pas un gestionnaire de fonds comme on transmet une usine
À cette période, les divergences de vues entre Washington et Paris – les deux sièges du capital-investisseur – sur la stratégie à adopter étaient exacerbées. Selon nos informations, les actionnaires d’ECP réclamaient alors une plus grande présence sur le terrain des associés. Seul Vincent Le Guennou multipliait jusqu’alors les allers-retours entre son bureau à Abidjan et celui de Paris. Bryce Fort atterrit donc à Nairobi avec Namita Shah. Celui-ci effectue une série d’investissements au Kenya, nous confie un investisseur qui connait bien l’histoire d’ECP.
Avec le Zimbabwéen Paul Maasdorp, le neveu de Hurley Doddy est à l’origine de quasiment tous les derniers investissements réalisés au titre du quatrième fonds d’ECP en Afrique anglophone. Ensemble, ils continueront de gérer les actifs du périmètre actuel – notamment les investissements au Kenya dans ArtCaffe, Gas Logistics (via Africa Bovine) ou Grain Port Logistics.
Effet de surprise
En parallèle, les deux financiers vont poursuivre leurs activités sous une autre bannière en rejoignant Alterra Capital, créé par d’anciens salariés de Carlyle qui, en accord avec ce dernier, gèrent les actifs du Carlyle Sub-Saharan Africa Fund (CSSAF). L’histoire rappelle la création d’ECP, quand Thomas Gibian, Hurley Doddy, Carolyn Campbell et Vincent Le Guennou avaient repris le portefeuille de leur employeur, EMP, et lancé un deuxième fonds pour créer ECP. « On ne transmet pas un gestionnaire de fonds comme on transmet une usine », constate Vincent Le Guennou.
Alterra surprend tout le monde en annonçant le deal avec la jeune garde d’ECP
Chez Alterra Capital, Bryce Fort retrouve une autre ancienne d’ECP, Genevieve Sangudi. Les deux capital-investisseurs se sont rencontrés au milieu des années 2000. Ils n’ont alors pas encore 30 ans et apprennent les ficelles du métier dans une Afrique en plein boom, avec un fort besoin en infrastructures, se souvient un témoin de l’époque. Celtel, Orascom Telecom Algérie, Cosmivoire (devenu Siph), SAH en Tunisie, seront signés à cette période… Tous deux, ainsi qu’une cohorte de jeunes investisseurs formés par les cofondateurs, montent rapidement en compétence et en responsabilités. Plutôt que de s’embarquer sur le fonds IV, Sangudi, qui se retrouve un temps à la tête du bureau de Lagos (fermé depuis), rejoindra Carlyle pour monter son fonds panafricain.
Après le départ de Genevieve Sangudi, les deux Américains ne se sont néanmoins pas perdus de vue. Au point « de surprendre tout le monde à la mi-juillet en annonçant le deal d’Alterra avec la jeune garde d’ECP », commente un ancien proche du capital-investisseur. S’ils en parlent positivement avec le recul, puisqu’il implique l’idée d’une transmission « en famille », la nouvelle a obligé les dirigeants du gestionnaire de fonds panafricain à se dévoiler, eux si peu coutumiers de l’exercice.
Quelques semaines plus tard en effet, nos confrères de Jeune Afrique Business+ révélaient le départ de Vincent Le Guennou d’ECP, annonçant la fin programmée d’un des principaux capital-investisseurs africains, qui, dans les pays anglophones comme francophones, a participé pendant plus de vingt ans – et au travers de 70 investissements – à faire émerger de nouveaux champions continentaux.
ECP en quelques chiffres
Premier fonds (EMP Africa) : lancé en 2000 ; près de 400 millions de dollars levés. Clôturé.
ECP Africa Fund II : lancé en 2005 (finalisé en 2007) ; 523 millions de dollars levés. Clôturé.
ECP Africa Fund III : lancé en 2008 (finalisé en 2010) ; 613 millions de dollars levés. En cours.
ECP Africa Fund IV : lancé en 2014 (finalisé en 2018) ; 640 millions de dollars levés. En cours.
Nombre total d’investissements : 72.
Nombre de sorties : 59.
Valeur totale des investissements d’ECP : plus de 1,6 milliard de dollars.*
Valeur totale des sorties d’ECP : 1,5 milliard de dollars.*
* source : Emerging Capital Partners, septembre 2021
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