Le temps des incertitudes

Publié le 9 janvier 2006 Lecture : 3 minutes.

En ce vendredi 6 janvier, Ariel Sharon est entre la vie et la mort, mais son « dernier combat » est perdu d’avance. La disparition politique du Premier ministre israélien ne fait aucun doute. L’après-Sharon a commencé avec, pour l’État juif, la Palestine et l’ensemble du Moyen-Orient, des conséquences multiples, certaines prévisibles et d’autres aujourd’hui insoupçonnées.
Sharon occupait une place à la mesure de son embonpoint. Il était excessif en tout. Avec bonheur, comme dans l’opération du Déversoir qui a permis à son armée pendant la guerre d’octobre 1973 de retourner la situation en sa faveur. Avec moins de réussite lorsqu’il mena l’invasion du Liban en 1982, mettant son pays dans une mauvaise passe et provoquant au passage des massacres comme ceux de Sabra et Chatila. Le « bulldozer » fera preuve de la même détermination dans la politique de colonisation engagée en tant que ministre de la Construction et de l’Aménagement ou dans l’édification du mur. Il arrive que son jusqu’au-boutisme le conduise sur des chemins moins familiers : en août 2005, il mène à bien l’évacuation de Gaza, bousculant les colons et son parti, le Likoud. Depuis, l’image de Sharon – et peut-être Sharon lui-même – ont sensiblement changé. Sans y croire vraiment, on commençait à se dire que cet homme était capable de tout, y compris du meilleur, de la paix.
Après Gaza, le Premier ministre a connu une période faste. Tout semblait lui réussir, dénouant, l’une après l’autre, les crises à son profit. Le Likoud lui fait-il défaut, les travaillistes se retirent-ils du gouvernement sur ordre de leur nouveau leader Amir Peretz ? Il crée son propre parti, Kadima, qui bénéficie aussitôt d’adhésions substantielles (Shimon Pérès, Shaul Mofaz, etc.). Il est crédité des meilleurs scores aux futures législatives, avec au moins 40 sièges (sur 120). Fort d’un troisième mandat, allait-il, à 78 ans, terminer sa carrière en beauté en offrant aux Palestiniens un État viable et à son pays paix et sécurité ? On ne le sait pas. On ne le saura jamais. Ariel Sharon emporte avec lui son ambiguïté et ses desseins secrets.
Sa disparition politique provoque un bouleversement de l’échiquier israélien. Pour commencer, l’avenir de Kadima est entouré de toutes les incertitudes, et rien n’indique qu’il puisse survivre à son fondateur. Ehoud Olmert, qui succède à Sharon à la tête du gouvernement (ou de ce qu’il en reste…), n’a peut-être pas la carrure pour reprendre un parti fait sur mesure pour un autre. À vrai dire, l’éloignement de Sharon, personnage hors normes, risque plutôt d’entraîner une normalisation de la vie politique israélienne avec, à la clé, d’autres incertitudes. Kadima décapité, n’occupant plus la première place, on pourrait retrouver aux législatives une polarisation somme toute classique de la vie israélienne. On aurait, d’un côté, le Parti travailliste, situé clairement à gauche depuis l’élection d’Amir Peretz, aussi bien sur le plan économique que sur la question palestinienne, et de l’autre, le Likoud de Benyamin Netanyahou, ultralibéral et ultranationaliste, tout aussi clairement orienté à droite, sinon à l’extrême droite. Une telle polarisation sera-t-elle un facteur de paix ? Ce n’est pas sûr. L’évolution de l’opinion israélienne, désormais ouverte à un règlement avec les Palestiniens, se reflète mieux dans le parti centriste plus pragmatique qu’idéologique sur lequel le Premier ministre avait jeté son dévolu.
Regrettera-t-on Sharon ? Des voix parmi les Palestiniens le laissent entendre. Ce sera certainement le cas si on a le choix, après les élections de mars, entre une gauche animée de bons sentiments mais impuissante et une droite qui ne connaît que la force et le mépris. À titre posthume, Sharon jouira d’un surcroît de popularité : lui, au moins, il allait faire quelque chose. Enfin, comment ne pas relever cette malédiction qui frappe les faiseurs de paix réels ou supposés en Israël. Ariel Sharon comme Itzhak Rabin quittent la scène après que des rabbins fanatiques eurent appelé sur eux les foudres du ciel…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires