Les nouvelles ambitions de la « Coopé »

Depuis sa fusion, en 1998, avec les Affaires étrangères, le ministère de la Coopération s’efforce d’accroître l’efficacité de l’aide publique au développement.

Publié le 9 janvier 2006 Lecture : 5 minutes.

Jacques Chirac l’a promis. En constante progression depuis cinq ans, l’aide publique au développement (APD) française continuera de croître et représentera 0,7 % du revenu national brut (RNB) en 2012. « Chirac l’Africain » ne sera vraisemblablement plus au pouvoir, mais il respecterait ainsi un engagement pris par François Mitterrand, son prédécesseur, en 1981. Si ce calendrier est tenu, Paris intégrera alors le cercle des « bons élèves » de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Tous les pays membres se sont engagés à atteindre ce seuil des 0,7 % – condition indispensable à la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) adoptés par les Nations unies. Mais peu en prennent le chemin. « Notre effort global en faveur des pays les plus pauvres est passé de 5 milliards d’euros en 2001 à 8,2 milliards en 2006 », se félicitait en Conseil des ministres, le 12 octobre dernier, Brigitte Girardin, la ministre déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie (voir encadré ci-dessous).
Avec 0,47 % en 2006, la France commence seulement à retrouver le niveau de son engagement avant la baisse des crédits amorcée à partir de 1995. La chute du mur de Berlin a, dans un premier temps, réorienté une partie des aides vers l’Europe de l’Est. Le coup de grâce est venu en 1998 avec l’absorption de la Coopération, considérée comme le « ministère de l’Afrique », par les Affaires étrangères. Réforme voulue par Alain Juppé et mise en oeuvre par Lionel Jospin : les « affaires africaines » se diluent dans la diplomatie française, la spécificité des relations avec les anciennes colonies disparaît. « Ni ingérence ni indifférence », proclame le gouvernement socialiste. Sur fond de malentendu, déjà perceptible quatre ans plus tôt au moment de la dévaluation du franc CFA, la France redéfinit ses domaines d’intervention. La notion néocoloniale de « pays du champ », l’ancien pré carré africain francophone, est mise au placard au profit d’une Zone de solidarité prioritaire (ZSP) regroupant une soixantaine de pays. Mais comme le budget reste inchangé, la France se désengage de facto du continent. La part africaine de l’APD dépasse ainsi péniblement les 50 %. « Les diplomates du Quai d’Orsay ont profité de la fusion des budgets pour mettre la main sur l’APD », se souvient un observateur. Dans le même temps, entre 1995 et 2000, les investissements privés ont diminué de moitié et les effectifs militaires sont passés de 8 000 à 5 000 hommes.
« Du fait de la mondialisation, il était indispensable d’élargir la Coopération. Quant à la politique française en Afrique, elle devait évoluer pour privilégier les questions de développement afin de répondre efficacement au défi de la pauvreté. C’est sur ces critères qu’il faut évaluer la politique française. Or je ne suis pas sûre que, ces dernières années, le rendement coût-efficacité de l’aide ait été excellent. Il faut donc accepter de faire son autocritique et prévoir les ajustements nécessaires », commente Brigitte Girardin, qui a repris à son compte une réforme engagée en 2004.
À terme, l’APD reposera entièrement sur des documents cadres de partenariat (DCP). Deux ont déjà été validés avec le Cambodge et le Gabon. Le Ghana, Madagascar, le Maroc et le Mali devraient suivre en Afrique. Ailleurs, le Laos et le Vietnam sont les prochains sur la liste. « À chaque fois, en accord avec le pays bénéficiaire, nous concentrons 80 % de notre aide sur trois secteurs jugés prioritaires. » L’éducation, la santé et les infrastructures sont le plus souvent retenues. Objectif : éviter le saupoudrage et venir en aide aux populations les plus démunies. En 2004, l’Afrique a absorbé 67 % de l’aide bilatérale, contre 64 % en 2000 et 56 % en 1995. Parallèlement, l’aide multilatérale se déploie (30 % de l’APD). La France est ainsi devenue le premier contributeur du Fonds européen de développement, du Fonds africain de développement, mais aussi du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
« L’augmentation de l’APD dégage très peu de ressources nouvelles pour financer le développement, car elle est avant tout la conséquence des annulations de dette. En réalité, l’APD de la France ne progresse pas », regrette Coordination Sud, un collectif d’ONG. En 2005 et 2006, l’annulation de la dette de l’Irak et du Nigeria représente respectivement 500 millions et 1 milliard d’euros. De quoi faire grimper les statistiques.
Coordination Sud conteste par ailleurs le poids prépondérant du ministère de l’Économie et des Finances, déplore la faible place accordée aux ONG et demande une refonte de l’architecture institutionnelle. Selon des chiffres fournis par les services du ministère de la Coopération, les annulations de dette ont représenté 20 % de l’APD en 2002, 28 % en 2003, et 34 % en 2005. Avant de revenir à 23 % en 2006. Le traitement de la dette étant supervisé par les fonctionnaires de Bercy, personne ne peut plus contester le « rôle prééminent des argentiers ». Un rapport du Sénat rédigé en 2001 dénonçait déjà cette « exception française ». En 1995, le ministère de l’Économie et des Finances gérait 44 % de l’APD, contre 18 % pour ceux des Affaires étrangères et de la Coopération. En 2005, la répartition était de 45 %-26 %, le reste étant supervisé par d’autres ministères ou organismes.
« Attention, si l’on prend uniquement en compte les crédits budgétaires, la part de la Coopération est deux fois plus importante que celle de Bercy », souligne-t-on Rue Monsieur. C’est vrai, à ceci près que nombre d’arbitrages financiers se font désormais dans les bureaux de Thierry Breton, et non plus au Quai d’Orsay. « Les fonctionnaires de la direction générale du Trésor et de la politique économique (DGTPE) se sont progressivement substitués à leurs collègues de la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), qui ont dû digérer le regroupement des services », reconnaît prudemment un haut fonctionnaire sous le couvert de l’anonymat.
La perte d’influence de la Coopération française est aussi, en partie, la conséquence de la compression de ses effectifs. La DGCID compte aujourd’hui 485 agents à Paris, contre 637 en 1996. Les chiffres sont encore plus éloquents concernant les postes à l’étranger. « Avant 1995, on recensait au moins 1 500 volontaires du service national pour les Affaires étrangères et presque autant pour la Coopération. Aujourd’hui, 1 100 assistants techniques et 963 volontaires internationaux sont en mission. Les plus grosses baisses ont affecté les enseignants-coopérants et les chercheurs envoyés dans les hôpitaux », précise une responsable du personnel.
Une coopération revue à la baisse ? « Nous sommes les chefs de file de toute la politique de développement, nous remplissons un rôle interministériel et nous pilotons la mise en oeuvre de toute l’APD, s’agace Brigitte Girardin, nommée Rue Monsieur en juin 2005 après un passage remarqué à l’Outre-Mer. Je suis une proche du président de la République, la coopération est l’un de ses domaines réservés et j’ai toute sa confiance. » Une façon, aussi, de répliquer aux nostalgiques de la « Françafrique » qui déplorent la perte d’influence politique de son ministère. « Quand un chef d’État africain vient à Paris, je le rencontre systématiquement. Je travaille sur tous les dossiers traités par la cellule africaine de l’Élysée. J’ai accès à toute l’information. Cela fait gagner du temps, et on est sûr ainsi qu’il n’y a pas de friture sur la ligne », conclut-elle.

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