Le réveil de l’opposition en exil

Depuis qu’ils sont unis au sein du « congrès » lancé à Londres en juin 2005, les dissidents établis à l’étranger font enfin entendre leur voix.

Publié le 9 janvier 2006 Lecture : 4 minutes.

« Kadhafi ne l’emportera pas au paradis. » La phrase revient comme un leitmotiv dans la bouche de Farag Abou Acha dès qu’il est question des atteintes aux droits de l’homme par le régime de Tripoli. En ce jeudi 29 décembre 2005, les paroles de cet intellectuel libyen, âgé de 49 ans et réfugié en Allemagne depuis 1994, prennent du relief. Ses camarades de l’opposition en exil viennent de tenir le même jour à Londres une conférence à l’issue de laquelle ils se sont fixé parmi leurs objectifs prioritaires la traduction en justice des responsables du « massacre d’Abou Slim » perpétré en 1996 par les forces de l’ordre dans le bagne tripolitain du même nom. « Il nous a fallu plusieurs années de labeur pour collecter les preuves et rassembler les témoins sur ce crime contre l’humanité », déclare Abou Acha, membre de l’instance dirigeante du Congrès national de l’opposition libyenne (Cnol) lancé, en juin dernier, dans la capitale britannique.
Rarement évoquée dans les médias internationaux, l’affaire remonte à juin 1996. À l’époque, des milliers de prisonniers politiques de tous bords étaient entassés dans la prison d’Abou Slim, située à l’intérieur même du camp du 28-Septembre, qui abrite également la direction centrale de la police politique. Un jour, leurs querelles verbales avec les gardiens tournent à l’affrontement. Pas moins de 1 170 prisonniers périssent. Des blessés auraient été achevés à l’arme légère par les militaires venus en renfort. Évacués du lieu du drame dans des camions frigorifiques, les cadavres n’ont jamais été découverts. Les familles des victimes demandent depuis lors, en vain, leur restitution.
À en croire le récit d’Ahmed Chaffii, rescapé du carnage qui vit désormais à Londres, l’opération aurait été menée par les hommes du bataillon de sécurité commandé par Mansour Dhaou. Des poids lourds du régime tels Moussa Koussa, actuel chef des services, et son prédécesseur à ce poste Abdallah Senoussi, qui est aussi le beau-frère de Kadhafi, seraient impliqués. Les dirigeants du Cnol se concertent actuellement avec des organisations des droits de l’homme et ont pris langue avec les organismes spécialisés de l’ONU. Leur objectif : « Une enquête internationale sérieuse et transparente sur le massacre puis la punition des criminels. »
Quant à leur discours, il est relayé auprès des Libyens par une dizaine de sites Internet en arabe et par Sawt al-Amel (« Voix de l’espoir »), une station de radio lancée en septembre dernier, toujours à partir de Londres. Des médias qui sont loin de laisser indifférentes les autorités libyennes. La preuve : Daif Ghazal, jeune journaliste de 32 ans, qui contribuait secrètement à l’un de ces sites, a été assassiné à la fin de mai 2005 à Benghazi tandis que son confère Abdel Razak al-Mansouri (voir encadré) a été, pour le même motif, jeté en prison.
Le régime de Kadhafi a également tenté de brouiller les programmes de Sawt al-Amel, qui diffusait par le biais des satellites Hot Bird et Telstar 12, parasitant, du coup, les émissions de BBC World et CNN International ainsi que certains canaux du FBI. Ce qui a valu aux autorités libyennes, début décembre, de vives protestations de la part de l’administration américaine et du cabinet britannique.
Jadis éparpillés, les dissidents libyens sont désormais unis au sein du CNOL, un vaste rassemblement qui regroupe les principales composantes de l’opposition en exil à l’exception notable des Frères musulmans et à celle, beaucoup moins significative, des fidèles du prince Mohamed Hassan Réda Senoussi, héritier de la monarchie renversée le 1er septembre 1969 par Kadhafi. On y trouve notamment le Front national pour le salut de la Libye (FNSL), créé en 1981, et le Rassemblement patriotique démocratique (RPD), fondé, une année plus tard, par l’ancien ministre des Affaires étrangères Mansour al-Kikhia, disparu en 1993 au Caire dans des circonstances jamais élucidées.
Des mouvements de création plus récente font également partie du Congrès. C’est le cas du Rassemblement républicain pour la démocratie et l’égalité sociale, créé en 2002 par Farag Abou Acha, et le Congrès libyen pour l’amazighité, animé, depuis 2000, par Salem Qennan. Des intellectuels indépendants comme Mahmoud Chemmam, le rédacteur en chef de l’édition arabe de Newsweek, en sont proches.
Tous sont d’accord sur trois points : l’éviction du colonel Kadhafi, la mise en place d’un gouvernement national de transition pour une durée d’un an et l’édification d’un État démocratique, représentatif et pluraliste sur les ruines de « l’absolutisme déguisé en démocratie populaire » de l’architecte de la révolution libyenne. Comment atteindre ces objectifs ? Les responsables du Cnol mettent publiquement l’accent sur la désobéissance civile et le soulèvement populaire, mais personne n’ignore les velléités putschistes du FNSL, composante majeure de cette coalition. Dirigé par Brahim Sahad (62 ans), ce mouvement, qui bénéficie de fortes sympathies au sein de l’armée et auquel s’identifie une partie de la puissante tribu de Warfla, avait déjà tenté, en 1985 et 1993, de renverser le maître de Tripoli.
Cependant, les appuis étrangers ne semblent pas nombreux. Après avoir entretenu durant de longues années des relations suivies avec le FNSL, les États-Unis, soucieux de leurs intérêts pétroliers désormais considérables en Libye, ont pris leurs distances. L’Arabie saoudite, qui avait sponsorisé les assises de l’opposition libyenne ayant donné naissance, en juin 2005, au Cnol, leur a emboîté le pas à la suite de sa réconciliation avec la Jamahiriya, traduite en particulier par le retour à Riyad, le 12 décembre, de l’ambassadeur libyen Mohamed Said al-Kachatt. Reste que, dans les relations internationales, le réalisme va souvent de pair avec une certaine duplicité.

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